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désolée, Paumée se veut à l'abri, sauf quand un acte fait déborder le vase, des allusions à la politique ambiante.. et si je suis reconnaissante aux envies de commenter je vous demande de me pardonner de rétablir la modération

vendredi, mars 02, 2012

Témoignages de rien 


Un jour, alors qu'elle était petite fille, S. est tombée à plat ventre dans le square des Ornettes. 

Le grand-père : « Elle jouait avec ses amis, elle avait quoi cinq ans, six ans ? J'avais dû l'accompagner jusqu'au milieu du square parce qu'elle était timide ; fallait toujours faire ça. Puis elle m'avait lâché la main. Elle était partie en courant sans regarder où elle allait. Pas faute de l'avoir mise en garde, mais tu crois qu'elle écoute ?... Cette chute, elle l'avait bien cherchée : elle a buté dans une racine de marronnier saillante, et je nous l'ai vue partir, droite comme un i, à peine les mains devant pour amortir le choc. Elle s'est tout de suite mise à chougner. »

La grand-mère : «C'était une petite fille trop prudente. On s'inquiétait souvent pour ça, avec sa mère. Je me souviens des conversations, les mercredis au soir, quand elle venait la récupérait à la maison et qu'elle me demandait : alors cette fois elle a joué ? - avec un regard qui n'osait plus l'espoir. Parce qu'S., on la trouvait trop calme. Jamais elle ne courait, jamais non plus ne se mêlait aux autres petits. Elle se tenait accoudée contre le bas-muret, elle disait «je préfère regarder». Lorsque ses camarades l'invitaient à jouer, c'était toujours refus muet. Ce jour-là, dont vous me parlez, Gilbert lui avait un peu forcé la main, parce que ça l'irritait qu'elle ne fasse pas comme tout le monde. Il aurait voulu être fier d'elle ou pouvoir dire d'un ton égal «j'ai conduit ma petite-fille au parc». Alors il l'a menée non loin du marronnier central et il a tourné les talons. Voilà. Elle se trouvait juste au milieu du square. Une dizaine de gosses s'étaient mis à l'apostropher, sans qu'elle leur adressât ni regard ni parole en retour. Un modèle d'immobilité. Les yeux tout fixes, comme pour s'extraire de là. Puis à la longue, je pense qu'ils en ont eu assez - vous savez, des enfants qu'on frustre... Ils se sont mis à la pousser. Il n'y ont pas vu le mal. A cet instant, Gilbert et moi on aurait dû intervenir mais on a hésité. Elle est tombée presque tout de suite. Elle n'a rien fait contre la chute. Et une fois étalée à terre, elle y est restée, silencieuse.»

Gilles (l'un des enfants présents ce jour) : «S. ? Vous devez faire erreur, je ne l'ai pas connue. »

La mère d'Alicia : «Si je m'en rappelle ? Bien sûr ! Cette pauvre fillette. Ce jour-là, son grand-père l'avait traînée au milieu du square comme une poupée de chiffons. Elle s'était laissée faire. Il avait menacé, «tu restes là, maintenant, tu joues !». Avec Madame De Luze on avait échangé un regard entendu. La petite n'avait pas bougé. Tous les autres gamins étaient venus lui tourner autour. Elle
contrastait vraiment. On l'eût crue plus vieille qu'eux, incapable d'enfance. Une sorte de petit fantôme. Elle a eu un geste maladroit, comme pour s'extraire du groupe ou comme pour se débattre, mais prise dans la cohue elle a perdu l'équilibre et elle est tombée près de l'arbre. Madame De Luze qui était près de moi, a bondi sur ses pieds : « sa tête elle aurait pu cogner ! » 

S. : «Je n'aime pas trop les parcs. Les rires des enfants me font peur. Je me souviens d'un carnaval grotesque. Partout, la lumière blanche, et dedans, noyés, des visages. L'un d'eux est tout peinturluré, peut-être un indien ou un chat ; et moi je suis un papillon fragile, un papillon bleu clair. Autour tout est vacarme, il y a la brutalité. Il y a que l'on m'a mise ici sans que je ne suive le mouvement. Avant, je restais toujours derrière un petit mur où j'étais bien tranquille. Maintenant je suis un poteau obligé. Je me tapis en moi. Je cherche mon muret partout. Je m'abstrais totalement, il me faut un recul, j'ai besoin de créer la distance. Par contre quand vous me dites que je suis tombée, ça m'étonne.»


Paumée est tout ému (oui, il est un blog, donc masculin), d'accueillir une petite S. qui lui paraît être ici chez elle. Petite fille dont l'histoire est racontée, à travers des souvenirs divergents, par l'auteur du texte Justine Neubach, pendant que, chez elle http://justineneubach.fr, Brigetoun parle d'un qui revient dans la ville qu'il avait quittée et effacée plus ou moins.
Deux textes ayant pour point de départ cette phrase de Raymond Federman, dans «Chut» : «Se souvenir, c'est faire du cinéma mental qui fausse toujours l'événement original. Les souvenirs ne sont que des fictions.»

Rappel :
Tiers Livre et Scriptopolis sont à l'initiative d'un projet de vases communicants : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d'un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… "Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre."
La liste des participants, que j'espère correcte se trouve ci-dessous ou sur un blog dédié à ce seul usage http://rendezvousdesvases.blogspot.com pour simplifier les choses pour les participants

9 commentaires:

Dominique Hasselmann a dit…

Petite S., solitaire, cruauté de l'enfance inconsciente, paradis peut-être de la chute.

jeandler a dit…

" Les souvenirs ne sont que des fictions.", une mise au goût du jour, ine réaactualisation. On croit se souvenir: on crée.

arlette a dit…

Entre le regard du parent et le sentiment réel de l'enfant il y a interprétation aussi...
"Elle aimait regarder"seulement

Michel Benoit a dit…

Qui S ?

Anonyme a dit…

Si S pouvait franchir les rêves et devenir réalité...

Pierre R. Chantelois

Brigetoun a dit…

dommage que j'ai mal répondu

Gérard a dit…

Les souvenirs s'effilochent, se déforment et peuvent même disparaitre

Brigetoun a dit…

me sens très proche d'elle (euh pas pour l'âge)

32 Octobre a dit…

ce texte donne envie de la protéger cette petite S... qu'est-elle devenue ?