On dirait que
on dirait qu'il y aurait
deux tables, soeurs et dissemblables, et assez de chaises,
on dirait que ce serait un
endroit que nous ferions secret, mais pas trop pour que ceux qui
veulent, et qui nous seraient semblables, presque, pas exactement,
s'arrêtent et s'assoient un temps ;
on dirait qu'il y aurait
des maisons (aux murs aveugles) et arbres proches, pas trop, juste
pour casser un peu ce sacré, ce fff vent, et puis quelques pavés,
une porte, une cuisine et les promesses d'un intérieur ;
on dirait que nous serions
là, avec du thé, du vin rosé ou du vin de citron, de l'eau
fraîche, du sirop d'orgeat, et puis du sirop de menthe pour les
enfants qui viendraient poser des questions, et les reposer sans se
fatiguer ;
on dirait qu'on serait là
avec des nouvelles, des mots, des silences ;
on parlerait de gens,
juste de gens sans colère, ou qui ne mériteraient pas colère, et
puis du temps un peu ;
il y aurait des mots
isolés que nous comprendrions ;
quelqu'un lirait
Mandelstam
«Le son vibre encore
quand la cause du son a disparu.
Le cheval gît dans la
poussière, il hennit, couvert d'écume,
Mais la torsion violente
de son cou
Garde mémoire de la
course aux foulées gaspillées,
Lorsqu'il avait non pas
quatre membres
Mais autant qu'il y a de
pierres sur la route,
Quadruplement relayées
A chaque rebond sur la
terre de son amble brûlant....»
(via Poezibao
http://poezibao.typepad.com/poezibao/2012/04/anthologie-permanente-ossip-mandelstam.html)
et, en regardant le soleil
traverser les branches, juste un petit peu plus loin, là où portent
les yeux qui veulent rêver, je penserais à
«ça
s'est produit après les dernières maisons du village peu après
qu'ils eurent dépassé un cheval mort à moitié recouvert d'une
boue ocre liquide (mais comment diable puisqu'il n'avait pas plu
depuis plusieurs jours ?) étalé sur le flanc de travers dans le
fossé les jambes de devant repliées comme s'il sautait un obstacle
ou faisait sa prière sorte de mante religieuse l'encolure et la tête
aux longues dents jaunes empiétant sur le côté de la chaussée.»
(Claude Simon - «Le Jardin des Plantes»)
ou à
«Presque
aussitôt ses jambes fléchissent et elle se recouche dans l'herbe.
Il se retourne plusieurs fois sur sa selle et voit le tas sombre
qu'elle fait dans le petit jour, au bas du pré dont l'herbe à ce
moment est grise (il lui semble revoir les longues dents jaunes, les
épaisses lèvres noires fripées ou plutôt froncées, comme du cuir
de gants, sur lesquelles il versait le contenu du seau, les longs
poils clairsemés poussant sous le menton).» («Les Géorgiques» du
même), avec une vague envie d'aller vers la maison la bibliothèque,
la route des Flandres, mais il y aurait un mouvement, un sourire ou
une voix, et l'après-midi continuerait, doucement, dans l'attente
d'une nouvelle.
Et, au
delà de la maison et de l'arbre les plus proches, le ciel, comme
celui sous lequel j'avançais dans la même attente ce mardi matin,
serait d'un bleu merveilleux, fort et lumineux, sans brutalité,
parcouru de longues traînées blanches pleines d'élan, fuyant dans
le vent, avec nos yeux et nos rêves.
9 commentaires:
Au jardin des plantes de Claude Simon s'ajoute le jardin des mots de Brigetoun. Je les cueille un à un pour m'en constituer un beau bouquet.
et l'attente a fini bellement, et l'attendu est arrivé au téléphone, puis dans ma messagerie et sur ma page Facebook (moi qui n'ose le montrer ,)
@ brigetoun : le mystère peut-il être éclairci ?
Après Mandelstam et Claude Simon, on dirait...
Sans le montrer, merci de nous associer discrètement à une belle chose, à un beau mystère.
Je réitère un commentaire que j'avais déjà fait:
Brigetoun, REGINA COELI.
C'est vrai qu'à Avignon vous êtes gâtés.
Mystère et l'espoir renaît un petit plus pour reprendre goût à la vie fuyante ...
c'était tout simplement un superbe bambino qui se faisait attendre et flottait derrière tout, le soleil et même les chevaux morts - rien ne lui fait peur (hésitait seulement à venir)
Les malheureux chevaux devenant fous dans la guerre
auxquels Simon a rendu hommage de multiples fois. Et Géricault les a peint...
Ce rêve bleu
C'est un nouveau monde en couleurs
Où personne ne nous dit
C'est interdit
De croire encore au bonheur
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