C'était ne plus avoir
qu'une petite pomme de terre de Noirmoutiers, bien mignonne, la juger
insuffisante, et c'était prendre couffin et sac
c'était croiser sur mon
chemin des bagages, dans la rue Saint Agricol désertée
c'était des ombres, des
dalles éblouissantes de soleil, de la lumière entre les branches,
une belle chaleur – c'était avoir en tête une très jolie phrase,
je crois très jolie, mais ne plus avoir dans sac le calepin et
crayon voués aux spectacles et aux notes jamais relues, et la phrase
s'est envolée
c'était des halles avec
des achats sans attente, et quelques touristes photographes isolés,
c'était une belle richesse en légumes et fruits, c'était pas de
bintjes mais ce n'est pas la saison, alors des spuntas...
c'était être obligée de
charrier une bouteille d'huile, parce qu'il n'y avait plus de bidon de deux litres - c'était le poissonnier préféré avec peu de choix parce qu'il part
en vacances - c'était se rabattre sur solettes et congre, et
batailler pour ne pas partir avec la moitié dudit, ce qui, même
très frais, même soldé, même donné, aurait été nettement
excessif
c'était poser un instant
la charge et prendre conscience que les tueurs d'affiches
n'avaient pas encore agi, tant suis habituée à les voir,
c'était découvrir que
les chanteuses de cosi fan tutte, appliquant leur titre, donnaient
encore leur spectacle ce 29 à 12 heures 30 (pas très loin de la rue
des marchands, au Rouge-gorge, derrière le palais)
c'était être saluée par
les cloches de Saint Pierre, mais ne pas oser le prendre pour soi,
c'était faire cuisine,
trier achats, se laver les cheveux, constater que la cour était
vraiment trop chaude pour ne pas s'y désintégrer, mais de moins en
moins ensoleillée, c'était ne rien faire, et surtout rien
d'intelligent.
Ah, si, pardon.. j'ai commencé à
découvrir ce qui est arrivé après que Bonaparte ai vaincu à
Saint-Jean-d'Acre.
Il y a des professeurs
d’humanités qui exhalent, en chaire, des regrets poignants, à
l’idée qu’Annibal n’a pas marché sur Rome, après la bataille
de Cannes. Ces professeurs ne s’en consolent pas : on dirait qu’ils
eussent gagné quelque chose à cette marche d’Annibal, et que
leurs appointements universitaires auraient été doublés. Je
ressemble un peu à ces professeurs, moi ; mes regrets, toutefois me
paraissent plus légitimes. Je n’ai jamais versé des larmes sur
les délices de Capoue, mais je me suis attristé profondément sur
l’échec de Saint-Jean-d’Acre, la perte de l’Inde et la défaite
de notre héroïque allié, le sultan du Mysore. Un coup de soleil
indien m’a endormi dans ces pensées, et, dans une série de rêves
éclairés aux flammes de Bengale, j’ai vu toute une autre histoire
française, commençant au soixante et unième assaut victorieux de
Saint-Jean-d’Acre, et finissant à l’entrée triomphale de
Bonaparte dans la capitale de Typpoo-Saïb. On se console avec des
rêves, et les mensonges de nos nuits nous dédommagent souvent des
vérités de nos jours.- Joseph
Méry – Histoire de ce qui n'est pas arrivé
http://www.publie.net/fr/ebook/9782814505322/histoire-de-ce-qui-n-est-pas-arrivé
10 commentaires:
Je constate que l'ordinaire reprend ses droits. Simplicité volontaire mais non dénuée d'intérêt. Train-train quotidien qui n'engage pas de s'ennuyer. Et encore tant de choses à voir ou à montrer, n'est-ce pas? Et trois fois les cloches de Saint-Pierre ont sonné.
C'est Avignon déserté par tous ces touristes qui s'en vont et qui prennent le poissonnier au passage....
ça va être comme en juin le temps des touristes, mais en visite rapide - reste l'autre poissonnier qui a l'amabilité de me sourire alors qu'il sait que je ne viens que quand je ne peux faire autrement (bon poisson mais surtout des gros, moins "sophistiqué")
on replie bagage
on va on vient
les touristes tels les hirondelles
un petit tour et puis s'en vont
Je n'ai pas mis les pieds dehors de la journée !
moi ce serait aujourd'hui (d'autant que j'essaie de retrouver faculté de mettre mots les uns derrière l'autre, et cours après idées pas trop bêlantes pour le vase de vendredi) seulement : me moque trop du calendrier et n'ai plus de médicament depuis hier, donc vaille que vaille tente sortie urgente...
et puis regarde vitres et repassage avec un oeil mort et ne veux pas penser à eux
Merci pour ces promenades avignonaises pendant et après le festival. @allerarom
An moins deux coïncidence...je lis un "Méry" et j'ai acheté ce matin 1 kilo de pommes de terre de Noirmoutiers...voilà qui est intéressant tu vas me dire !!!
au moins autant que mon billet !
Temps mort ... en attente et rêvant encore à ce qui a été
Avons Besoin de cet espace en équilibre
Enregistrer un commentaire