Ce serait être noiseuse,
saumâtre un peu, fond de port, marécage
Ce serait vouloir donner
coup de pied sur ce qui reste de solide et embarquer
Ce serait, oui, rêver
d'embarquer sur longue nef et prendre large sur la mer violette
Ce serait tirer nef sur la
plage
Mais ce serait trouver
guerre, ville qui flambe, princes qui fuient, femmes violées, airain
qui luit et cris des mères serrées sur enfants
Ce serait dire non,
Ce serait choisir une
lourde coque latine pour caboter au commerce
Ce serait voir bonne foi
et tromperie, ce serait voir colonies, ce serait voir richesse
apportée, ce serait voir marchands durs et arrogants, ce serait voir
notables spoliateurs, ce serait voir intermédiaires probes respectés
comme irréels et parfois ruinés, ce serait voir petit peuple, ce
serait aimer les mélanges de peuples, ce serait voir les trafics,
les couteaux, le fouet, les prostituées
Ce serait descendre la
nuit sur le sable noyé d'obscurité
Ce serait s'accroupir ou
s'agenouiller devant la lueur de la lune dansant sur le murmure
ondulant du flot
Ce serait gueuler en
silence, apostropher, maudire, injurier les dieux et les hommes
Ce serait tomber de
lassitude sur la tendresse du sable, les petites bosses dures de
brindilles
Ce serait sombrer
Ce serait se réveiller
dans l'inconfort bienvenu du frais, se relever transie, courbatue,
épaules contractées
Ce serait regarder le
sable gris prendre couleur, ce serait contempler l'argent pâle de la
mer
Ce serait regarder le jour
s'installer et rentrer dedans.
16 commentaires:
Encore un que j'adore ! C'est vraiment la forme, brige ! Brava !
merci - et quelle rapidité ! brava
Il y a tant de conditions qui font d'une vie un bonheur ou un chagrin. Chacune d'elles mérite qu'on s'y attarde un peu pour passer en revue, dans une belle forme poétique, la fluidité de certains évènements qui l'ont tant marquée. Très beau texte.
Quel beau rêve...
C'est ça.
Rêver, se réveiller... le bateau bleu métallique tient les flots.
Litanie d'une vie secrète d'espoir et de mélancolie
Bien vu
loupé mon coup là - pour moi c'était protestation contre la fureur du monde ...
...et sans mal de mer bien entendu
grand merci pour ce retour en mémoire grâce à vous : soit une navigation en mer exactement violette, en Irlande, quand Mme Tatcher reprenait un verre de gin tandis que mourraient vraiment de faim des garçons murmurant "freedom..."
Mes morceaux préférés :
Ce serait être noiseuse, saumâtre un peu, fond de port, marécage
Ce serait se réveiller dans l'inconfort bienvenu du frais
Quel beau mot que ce " noiseuse ", une douceur dans la mot et la chose.
Pierre, d'autant plus qu'en fait il n'existe pas je crois.
Merci à vous
Mais colère et fureur sont aussi litanie de mélancolie tout au fond du fond !!! Avais bien ressenti chère Brigitte
Si noiseuse existe, c'est probablement le féminin de noiseur ou noiseux, et celui-ci se rattache à "noise" (chercher noise à quelqu'un = chercher querelle), ainsi la noiseuse serait la "querelleuse" et c'est amusant parce que l'étymologie habituellement proposée pour "noise" est le mot latin "nausea" qui signifie "nausée, mal de mer" : il me semble qu'on est en plein dans le ton de "protestation contre la fureur du monde", par contre y manque la douceur à laquelle la douceur phonétique du mot invite et l'a fait utiliser avec un autre sens (?) qui n'existe pas.
Il y a un ton épique dans le texte que je trouve magnifique !
il y a même eu "la belle noiseuse" (qu'est pas moi)
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