C'était un jour de
presque fraîcheur qui me disait de m'occuper équipement automnal ou
hivernal. C'était un jour de ciel en pagaille, de traînées en tous
sens mêlées à de ronds nuages. C'était un brouillon de ciel, un
tableau où plusieurs mains se seraient essayées. C'était un jour
de froid intérieur, de trous, de volonté en allée. C'était un
jour de promesses dans la ville, et d'indifférence absolue, de non
désir de choisir. C'était un jour de petites corvées exécutées
lentement, parce que pourquoi pas.
C'était, tant pis pour
les éventuels passants, un jour de reprise du picorage envisagé, ou
d'une partie, de celle pour laquelle je m'étais rêvée renouant
avec cette habitude ancienne de lecture couchée sur les tomettes,
dans le rayon de soleil qui les faisait tiède, face à la porte
fenêtre sur le balcon... la rue Michelet en chute abrupte vers le
Littoral qui n'était pas encore bordé de plages de sable importé,
l'ouverture de la rade, la silhouette de Saint Mandrier.
Ça aurait été
s'absorber dans la lecture de Tous les diamants du Ciel de
Christophe Claro (Actes Sud) – et pour finir reprendre mes petites
notes
En partant d'un fait
divers réel, à Pont Saint-Esprit, en 1951, la psychose des mangeurs
de pain, et les explications, de l'ergotisme à la CIA, l'histoire du
mitron jusqu'en 1970 – en l'entremêlant à celle de Lucy,
américaine de toutes expériences, drogue et sexe, et CIA itou, en
ajoutant la France profonde des années 50, New York en face dure,
Los Angeles, l'Allemagne, Paris, la guerre d'Algérie... avec
toujours drogues, commercialisation du sexe et CIA, immuablement –
en six actes de trois scènes, comme une succession de tableaux des
Mystères, nous embarquer, nous faire galoper ou flâner..... Sur
tout cela la langue de Claro, sa façon de rendre sensibles les
contacts de matières, goûts, air.. de résumer une société en
formules ciselées et efficaces, en passant, par des comportements,
des détails, son ironie, son jeu avec le lecteur.
Et, tout à fait au
hasard, ou presque, le choix serait trop grand
Nous nous prenons
d'abord nous-mêmes en otages, puis nous soudoyons nos idées les
plus pures, nous testons leur résistance, avec une certaine cruauté,
enfin nous procédons à des échanges, nous prélevons un peu
d'argent sur le magot destiné à la collectivité et nous achetons
de la poudre, perlin ou pinpin, on s'en fout, avec laquelle nous
lavons le cerveau, puis nous l'essorons, et l'eau qui goutte à nos
pieds, nous comprenons et proclamons que c'est le fleuve du temps,
qu'il coule dans une direction et pas dans une autre, et quand notre
vision s'altère, nous desserrons d'un cran le bandeau qui nous gêne.
Ou
ça
aurait été déguster, en prenant son temps, pour ne pas en rester
au feu d'artifice, au plaisir immédiat L'auteur et moi d'Éric
Chevillard.
L'histoire racontée par
lui-même d'un homme fugitif, qui peut être accusé d'un meurtre
après avoir refusé, injurié, oh combien, un gratin de chou-fleur,
par amour pour la truite aux amandes (pas d'accord, personnellement
dit Brigetoun), qui rencontre une fourmi, s'en fait rempart, se
renforce d'une jeune fille de légende, rencontre un tamanoir et un
enfant, récit fait avec la logique loufoque et l'éventuelle
mauvaise foi que l'on peut attendre d'un être né de l'écriture
d'Éric Chevillard. Mais tout autant, ou plus, et tenant autant de
place, plus peut-être, commentaire par l'auteur, justification de
ses choix, refus d'être soupçonné de cynisme, d'ironie et de
formalisme, théorie du roman, polémiques, adresses au lecteur,
portrait sans complaisance de l'époque, vie de l'auteur qui est
peut-être Chevillard lui-même (d'ailleurs on rencontre Agathe et sa
soeur, ses filles, au coin d'une phrase) en «notes de bas de page»,
qui peuvent envahir toute la page... sans compter des passages en
italique qui s'insèrent avec une liberté apparente, décrivent une
autre action, ou sont contrepoints. La haine, la crainte du gratin de
chou-fleur reprenant le dessus, tenant lieu de tout.
Le gratin s'est
accroché, ayant cette propriété d'adhérer à tout ce qu'il touche
jusqu'à la confusion moléculaire. On ne sait pas s'il ronge les
surfaces ou s'il s'y enracine ; il s'y trame plutôt, comme le
lichen, il y infuse, comme la feuille morte – ce qui vole n'est
jamais hors d'atteinte pour lui ; la mouette s'y englue
pathétiquement.
….
… puisqu'il est mort
pour apprendre encore un chose à l'auteur, après lui avoir appris
la vie, pour lui apprendre la mort, que l'on meurt, ce que l'auteur
croyait savoir, sur quoi l'auteur écrivait volontiers et qui lui fut
révélé pourtant quand son père mourut, qui lui fut révélé
comme s'il n'en avait jamais rien su, cette révélation aussi
surprenante que l'eût été pour lui celle d'une vie sur la lune,
une révélation stupéfiante, douloureuse, car c'est aussi le fils
qui meurt quand meurt le père, tout ce temps partagé qui d'un coup
rejoint le passé révolu, la préhistoire, c'est la vie du fils qui
se fractionne, qui soudain n'est plus enclose dans celle de son père
et désormais s'inscrit dans le vide..
ou
parce que c'est
relativement court, parce qu'il y a le rythme d'un polar, parce que
son thème est le bienvenu, parce qu'il y a une femme drue,
chaleureuse, dure, et émouvante, parce qu'il y a de beaux portraits
en quelques mots, parce que c'est Didier Daeninckx La route du Rom
une histoire du poulpe, où il
intervient à côté de ses amis roms en butte à la bêtise cruelle
des habitants actuels et passés (camp sous l'occupation) d'une
petite ville.
Quand je disais
«sous-merde», tout à l’heure, j’exagérais pas, c’est ce que
nous étions, tous ceux de notre peuple. Juste au-dessus, à peine
plus fréquentables, on trouvait les Allemands de Saxe et de
Rhénanie, à égalité avec les pédés, ensuite les politiques
principalement des communistes. Les maîtres du jeu, c’étaient les
cinquante droits communs, c’est eux qui faisaient le boulot de
l’administration du camp.
Et
pour ne pas achever de lasser, je garde mon dernier petit groupe de
lecture, et la photo, l'attitude qui les réunit, pour un autre jour.
Ce fût
le sol de la cour humide après une ondée, ce furent des moutons
blancs flottant dans le ciel bleu au dessus de la cour. Ce fût ce
qu'on appelle je crois beau temps variable.
7 commentaires:
Lectures d'une grande profondeur qui nous incite à méditer sur la vie, sur la mort. Un compte rendu sans artifices. Et ces journées qui ne cessent plus de refroidir, il nous faut bien trouver une quelconque chaleur humaine.
Extrait de la route du Rom par le groupe toulousain "l'air de rien" :
- "Serions nous donc jaloux
qu'ils vivent au grès du vent ?
Ou avons nous peur de tout
ce qui est différent ?
on est toujours méfiant
on aime jamais beaucoup
ces gens qui vont errants
pas terrés comme nous
Y'a même des excités
qui, pour rendre service,
rêvent de remonter
une petite milice
reprendre les choses en main
et passer au Karsher
Tous ces roms ces roumains
qui n'ont qu'le droit d'se taire..."
Éclectisme de vos lectures (donc temps variable)...
Un ciel brouillon avec ratures
un ciel chaffoin de questions sans réponses
un ciel de roman noir
à vous faire préférer le vol-au-vent au gratin
un ciel d'incertitude
temps variable avec éclaircies.
Le nez dans le livre ... à en chavirer de plaisir
La douceur humide incite au retour sur soi, le bruit des gouttes de pluie sur le toit de la véranda chante l'endormissement de la nature et permet le libre cours des pensées. Très belle promenade à tes côtés. Merci.
Parfois, les mots sont comme un essaim, on s'émerveille de la pause où l'on peut observer une seule abeille en train de vivre sa vie entre la ruche et le nectar.
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