Puisque carcasse est un
peu plus clémente, mais puisque ma cour était tristounette sous
ciel mouvant, puisque ai pris trop de temps à réfléchir aspirateur
avant de le promener, à rêver sur cafetière, à repasser sur coin
de table un chandail et un veston légèrement fripés par la densité
de la penderie, pour les rependre et mettre un chemisier de flanelle,
puisque donc ne suis pas sortie, puisque j'avais été titillée par
le dernier billet de Pierre Ménard sur ses ateliers d'écriture à
Sciences Po,
http://liminaire.fr/liminaire/article/inventer-la-ville-un-recit,
me suis installée devant, ai lu un peu de ce qui s'était écrit, en
ai aimé une grande partie, ai admiré peu ou prou le fonctionnement
des cervelles, mais me sentais peu concernée, et hors de niveau,
pour : développer l’imagination créative,
le sens de l’observation, l’analyse
critique, la capacité à s’exprimer en public et à argumenter ;
l’aptitude à la prise de responsabilités et à l’autonomie,
la faculté à susciter une pensée originale et décentrée et le
sens du collectif.
Ces
enseignements invitent les élèves à s’interroger sur les arts en
tant que moyens d’étude, d’approfondissement et de
représentation des enjeux contemporains. Ils cherchent, en outre, à
stimuler la sensibilité, les facultés
de communication et l’acuité intellectuelle de nos étudiants,
lesquels sont encouragés à libérer leur imaginaire, à explorer
leurs capacités d’expression écrites, orales, sensorielles,
corporelles, la connaissance d’eux-mêmes et de l’autre.
Et
bien entendu étais seule, loin, et n'avais pas participé aux phases
précédentes, en commun, même si Maryse Hache et d'autres s'étaient
livrés à l'exercice, ce qui ne me rassurait guère. Et, malgré
moi, l'ai dénaturé parce que des souvenirs venaient et
s'imposaient.
Alors,
puisque dans un texte j'ai lu rue des Saints Pères, boulevard Saint
Germain, puisque ce furent des lieux très familiers en temps
anciens, me suis armée de souvenirs, les ai repoussés, me suis
installée au coin, ai essayé de capturer photo - mais mon sacré
flash s'est manifesté, oublions le.
Il y a
la chapelle, il y avait, longtemps de cela, mon premier travail,
l'atelier d'architecte que l'on ne devine pas, la préfiguration de
la tour Montparnasse, la Faculté des Sciences, mon apprentissage,
humble du boulot de toute petite secrétaire, mais des amitiés, la
découverte de ce qui se passe en dehors des planches à dessin, les
brides de travail, de discussions qui parvenaient jusqu'à moi, les
explications que me donnaient le responsable du chantier de
Montparnasse, pour mettre en forme ses idées peut-être, un
affairement amical qui se figeait lors des passages des patrons.
Il y a
le quartier qui a plaqué des couches d'argent successives, jusqu'à
occulter presque ce qui était le bain de culture si ordinaire
qu'inconsciente de la bourgeoisie érudite, des artistes en voie de
célébrité mais familiers, une société qui ne voulait pas sentir
que s'installait sa dégradation brillante. Il y a toujours un
charme, celui d'un passé raconté, chanté, invisible mais toujours
présent, même s'il n'y a plus d'après à Saint Germain des Près.
Il y a un scooter impressionnant, le souvenir des vespas a disparu.
Il y a une jeune femme en robe d'été que je regarde depuis mon
automne. Il y a des passants, toujours, et toujours peu nombreux. Il
y a un air de légèreté malgré les grands pas, la démarche du
parisien ordinaire. Il y a bien sûr, toujours, le flot des voitures,
qui coule sans arrêt, et les arbres du petit square, des affiches
dont je n'arrive pas à distinguer ce qu'elles signalent, un concert
de jazz ? (mais ne sont plus les derniers lieux qui survivaient de
mon temps, qui n'étaient pour moi que des noms, sauf un soir de
tentative de rencontre invitée par un barbu qui aurait pu me devenir
cher, quelque part près de Saint André des arts). Il y a sur le
trottoir d'en face des vitrines de boutiques qui se déguisent en
anciennes, des coffrages de bois en gris clair, en bleu passé, en
vert sombre.
Il y
a, plus bas, passée la «nouvelle» Faculté de Médecine, qui était
pour moi des mémoires de travaux d'entretien à arrêter
interminablement, et, en face, l'École des Ponts-et-Chaussées, une
galerie - il y en a toujours - et deux femmes, mes contemporaines je
pense, qui cheminent, tendues vers un but, mais liées à leur monde
par leurs téléphones, l'une qui parle, l'autre qui l'a éteint,
regarde l'écran avant de le ranger, ou hésite à appeler... et puis
un ristorante qui profite du charme presque villageois de la bâtisse
pour se donner un air d'habitué, installé depuis toujours.
Incapable
de la suite, n'étais pas assez intelligente, rapide, spirituelle ou
peut-être tentée – ai abandonné, mais je suis revenue à
http://letourdujour.tumblr.com/
, j'ai vu une ville une phrase, villes, là,
tweets autour d'une ville, ici et là etc...
et me suis embarquée, pour mon petit plaisir, et tant pis si ce
n'est pas de même qualité.
à
Paris, sur le pont Royal du côté du Louvre, où la beauté du ciel,
de l'ouverture du fleuve embrassant le Vert Galant, m'a saisie un
jour au delà de ce qui en est écrit depuis des siècles, où me
suis arrêtée des centaines de fois sans retrouver la même
intensité
à
Londres où le froid de la neige qui me fouettait, en revenant à
pied de Saint Paul, une veille de Noël, avait transi mes os, enserré
mon crâne, teinté d'angoisse mon vague ennui, où me suis réfugiée
dans l'une des deux églises de Wren au milieu du Strand – une
charmante petite vieille dame m'a servi un thé que j'ai bu dans la
nef
à
Londres où suis arrivée dans une église au moment où un choeur
merveilleux répétait dans l'obscurité des voûtes gothiques, et je
n'ai rien fait d'autre ce jour là
à
Londres où je suis tombée amoureuse d'un paysage de Rubens
à
Londres où le Barbican était tout neuf la première fois que j'y
suis allée
à
Lisbonne où on trouve aux coins de rue des marchandes de soupe
à
Lisbonne où j'aimais un jardin suspendu au dessus du Tage, sous le
château, terrasse entourée d'azulejos avec un ou deux pots de
fleurs, et le fleuve qui prenait toute la place.
à
Florence où j'ai donné à la patronne de la pension sur la place du
Dôme un bouquet de violettes, où elle m'a offert un mouchoir de
linon brodé – ma chambre ne contenait qu'un lit, une chaise, et
une pomme de douche derrière un rideau – elle s'ouvrait sur un
petit balcon, presque contre le dôme
à
Florence où je mangeais des soupes de poissons ordinaires, debout
dans une taverne en forme de tunnel près du marché
à
Venise où je revenais un jour sur trois à la Scuala San Rocco pour
l'amour du Tintoret
à
Venise où j'ai mangé à minuit des cigales de mer crues en
regardant la Ca d'Oro, ou les échafaudages qui me disaient sa
présence, de l'autre côté du canal
à
Venise où j'ai marché, sous l'oeil un peu hostile des femmes
assises sur leurs chaises, dans les rues désertes écrasées de
soleil après l'Arsenal
à
Clermont Ferrand où j'ai tourné en rond en attendant celui qui
n'est pas venu
à
Sienne où j'allais m'asseoir sur un muret, à côté d'un cyprès,
devant Santa Maria dei Servi pour lire Dante, en français et en italien que je ne
connaissais pas, mais que je devinais, au dessus de la ville
à
Sienne où mon vieil appareil de photo est tombé du haut du musée
de l'oeuvre du Dôme, et n'a pas survécu
à
Sienne où les garçons, au crépuscule, faisaient ronfler le
changement de vitesse de leurs scooters sous ma fenêtre au
rez-de-chaussée de l'hôtel, à la lisière du quartier piéton
à
Lyon où j'aimais aller quand me sentais perdue
à
Séville où j'ai marché dans les rues toute une nuit de Noël, ou presque
à
Séville où un choeur de chanoines dans la nuit de la cathédrale
était si triomphant que me suis sentie mudéjar, cachant ma peur de
l'inquisition
à
Séville où j'ai aimé marcher, voir...
à
Berlin où ne suis pas allée, comme à Sorrente, et j'ai gardé les
billets quelque temps pour en rêver
à
Paris où j'ai vécu, marché, si longtemps, que je croyais une partie de
moi, et qui s'efface.
9 commentaires:
Entre réalité et souvenirs il y a tout un monde. Et que des souvenirs soient de fiction ou si près de la réalité il y a eu forcément une vie généreusement remplie d'heures de voyage et de conquête.
AH!! la rue des St pères... point de chute de mes escapades et même sur ta photo le petit Hôtel où je descendais Mais il y a toujours autant d'étudiants joyeux et des scooters qui nous frôlent et traversent à ce feu rouge sans regarder Le Monde est là aussi à
15H chez le kiosquier grognon
Un quartier pas tellement éloigné de mon quartier sorbonnard et que je fréquentais pour le disquaire (disparu) ou le cinéma... promenade dans les souvenirs où nous nous sommes peut-être croisés sans l'imaginer.
Un écran se photographie sans flash.
Sinon, il y a une touche "print screen" ou "imp ecran" qui copie l'écran. Dans un logiciel de traitement d'image quelconque, faire "nouveau document" (ctrl N ou pomme N), puis coller (ctrl V ou pomme V). Recadrer. Enregistrer l'image.
je sais qu'un écran se photographie sans flash mais mon petit appareil ne le sait pas et je n'arrive pas à le bloquer - merci pour tuyau
Des vespa (les vraies), il y en a toujours, et la rue des Saint-Pères, et le restaurant pas loin "La Petite chaise", Saint-Sulpice...
Malgré tout, Paris garde encore nos souvenirs.
Nostalgie d'automne ? J'ai suivi à petits pas.
L'Europe en mélancolie rêveuse... Mais se souvenir du futur. Le sang des solitaires fait lien entre tous.
merci à vous pour vos passages et vos mots
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