Ce serait, samedi matin,
sortir dans la cour, pieds nus sur les dalles mouillées, cheveux
lavés gouttant entre pull et peau, pour aller voir,
précautionneusement, sans exigence, où en sont les efforts de la
petite fleur miraculeuse qui tente, première en quatre ans de
production forcenée de feuilles, qui ose tenter, un peu folle, de
venir à l'existence, et ne pas oser regarder les cinq autres boutons
résolument fermés sur leurs promesses.
Ce serait cueillir une
partie des dommages de la dure pluie tambourinant l'entrée de la
nuit.
Ce serait frissonner un
peu, rentrer, mettre du café froid sur la crispation de carcasse,
sur le vide du crâne qui recule devant tout effort de mots, qui ne
veut croire en soi.
Ce serait chercher traces
de neige dans la pagaille de mes photos, et reprendre un vrai ou faux
souvenir, piètre paragraphe mais qui existe, qui a fait partie d'un
convoi des glossolales, http://leconvoidesglossolales.blogspot.fr/,
juste pour savoir qu'il a existé, tel qu'il est (mais le retoucher
tout de même un peu)
C'était, à Ivry, dans la
cour de l'usine, les pieds dans la neige tassée et sale de la cour,
à côté du camion, voir les deux hommes sortir des paquets, lire
l'étiquette décrivant l'intérieur, décider, ou tenter de répartir
les cadeaux entre les enfants du personnel, à l'usine, dans les
ateliers et chantiers de province, à l'aide d'une liste de noms.
C'était pester quand aucun âge n'était mentionné, pour les sexes
se baser sur les prénoms... mais il y a des prénoms androgynes,
comme Claude et ceux en ique qui font la nique (pardon). C'était les
têtes qui se penchaient un instant aux fenêtres au dessus de nous,
c'était une petite joie, une respiration. C'étaient deux voitures
passant le portail, c'était la patronne lançant une plaisanterie et
demandant, entre sourire et fermeté, que je me dépêche parce que
suis nécessaire. C'étaient, dans la seconde voiture, les deux
commerciaux de province rescapés de la dernière charrette. C'était
parler un instant avec eux, c'était flottant en moi petite rancune
en pensant aux deux éliminés que j'avais reçus, fait attendre en
les laissant parler de leur ville, pour rien, les agaçant peut-être
un peu, juste pour les détendre. C'était la boite prenant poids,
rachetant, gardant les ouvriers et les intérimaires le cas échéant
mais ne pouvant conserver deux commerciaux dans chaque région.
C'était des hommes installés, ou qui le croyaient, avec petite
maison, voitures, enfants. C'était ne pas oser se plaindre de
trouver cela pesant. C'était finalement ne plus pouvoir et
démissionner. En attendant monter dans les bureaux pour la réunion,
pour passer non pas les petits gâteaux mais presque, en fait surtout
les dossiers et documents. C'était chercher du boulot.
6 commentaires:
Aujourd'hui chercher traces de neige dans les souvenirs. Demain fuir traces de neiges dans les rues d'Avignon. Et en intermède collation du bout des doigts de petits gâteaux pour combler l'attente
Admirable !! courir parce que "je suis nécessaire"
comme la petite fleur qui cherche à survivre
mais souvenirs tristes de ces licenciements, déjà
Chercher du boulot ou , fort rare, gagner le gros lot. Homo faber; le sapiens marqué par l'histoire de la nécessité.
@ brigetoun : le Vatican va demander leur interdiction (celle des prénoms androgynes) et revoir tout son saint calendrier !
mais ne pourra rien faire contre la doucereuse et inévitable dureté du monde du travail
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