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désolée, Paumée se veut à l'abri, sauf quand un acte fait déborder le vase, des allusions à la politique ambiante.. et si je suis reconnaissante aux envies de commenter je vous demande de me pardonner de rétablir la modération

mercredi, décembre 05, 2012

Lire "Ici ça va" de Thomas Vinau – et petit tri de souvenirs


Ce serait un fauteuil qui m'aurait séduite. Ce serait m'y installer, rogogner un peu parce qu'il est trop bas. Ne pas s'enfoncer dedans, étendre les jambes, et puis oublier tout, l'encombrement un peu trop luxueux de la pièce devinée, et même l'étiquette sur le bras... ouvrir Ici ça va de Thomas Vinau, acheté l'autre jour à la Mémoire du monde, pour entrer dans le plaisir, le charme grave de sa lecture.
Un peu plus d'une centaine de pages - l'histoire, en une langue simple et discrètement lyrique, d'un retour dans la maison de l'enfance, d'une reconstruction. Avec l'aide de la nature, de la présence attentive et de la vitalité de sa compagne, de l'apprentissage ou redécouverte des taches manuelles observées autrefois, des saisons, d'un vieux paysan et de sa petite fille sourde, du frère retrouvé.
Un texte sensible, sans cri, sans effets, en tranquille profondeur..
Depuis l'arrivée, l'entrée dans la maison et dans le livre. Ici ça va. La maison n'est pas neuve mais elle est propre et les plafonds sont hauts. Au moment où Ema a ouvert la porte grinçante, dont le bois humide avait gonflé autour des gonds et de la serrure, il y a eu comme un grand silence de poussière et de souvenirs. Arrivée dans une la maison qu'il a quitté enfant, après la mort du père, on le découvre peu à peu, qui s'est effacée de son esprit, entrée dans une nouvelle vie, une vie où reprendre souffle, goût, où tourner le dos aux angoisses. Nous nous sommes endormis comme ça. Bien au chaud dans nos projets. Avec demain comme couverture.
Le jardin auquel Ema donne vie, la maison retapée peu à peu, prendre son temps avant de rechercher emploi, jouir de l'amour de sa femme et de son chien, d'un peu de vent, du soleil, de la rivière (et rencontrer des images qui viennent peu à peu de ce temps d'avant) – ouvrir la caisse où l'ancien propriétaire a regroupé ce que la mère et les enfants avaient abandonné.
En ouvrant la caisse j'ai senti l'odeur d'un pays mort. D'un pays que je connaissais. Depuis que nous sommes ici des choses reviennent. Des parfums. Des objets. J'arpente un territoire sauvage où bourdonne mon sang. Dans la caisse il y avait des outils d'électricien....
ou Ce matin dans la cuisine, je me suis accroupi sous l'évier pour déboucher le siphon. En relevant la tête, sans déplier les jambes, j'ai vu la maison comme je la voyais lorsque j'étais petit... Le bas des murs. Les plinthes. La lumière qui vient du haut. Le plâtre était abimé...
Mais je vous conseille de le lire, de trouver tout ce que je ne saurais re-dire, le portrait merveilleux de la jeune-femme, l'arrivée de l'hiver, l'entente avec le vieux paysan qui l'emploie, l'accord entre la petite fille sourde et Ema, le sauvetage – rupture avec le choix des paysans vaguement coupable – d'un bébé ragondin - Nous éprouvons une certaine tendresse solidaire avec les survivants -, la visite du frère, de la femme qu'il a épousée au loin, de sa fille, la complicité retrouvée... l'assurance à vivre qui revient, lentement
Certains matins je me réveille en pensant que des gens sont à cet instant même en temps de mourir. C'est une drôle de façon d'aborder le jour, n'est-ce pas ? C'est comme un petit courant d'air glacial. Et puis rapidement, un détail dans la lumière, une odeur, un geste d'Ema et le courant vivant reprend la main.
et pour renouer avec le père, retrouver la pêche à la main dans la petite rivière au bout du jardin.
.. Une main solidement agrippée à la berge boueuse, je me suis baissé, jusqu'à ce que ma joue atteigne presque l'eau. J'ai respiré, le plus calmement possible, malgré le froid. Puis j'ai glissé l'autre main, tout doucement, sous la berge, dans le ventre de la rivière. J'ai tendu mon bras le plus loin possible entre les racines et le limon. Dans l'obscurité aquatique. Avec peur et confiance mêlées. Sans savoir ce que je trouverais.
Reste mon petit espoir arrogant : que ma maladresse et mon pillage me soient pardonnés.


Dans le réel de l'antre, comme il est imitation vague d'une maison, mais comme je ne saurais pas être tout à fait, malgré mes tentatives, conforme, il y a deux bacs plastiques dans lequel s'entassent des années de traces d'une partie des spectacles vus, et je considère qu'on dirait que c'est une table basse.
Dans le réel de l'antre, comme depuis que suis avignonnaise j'achète les programmes, ou garde souvent ceux qui sont donnés, me suis aperçue, brusquement, que l'aspect de l'ensemble devenait par trop étrange, qu'il semblait difficile d'y poser un objet en équilibre... et m'y suis attaquée, en essayant de ne pas trop ouvrir, lire, tenter de trouver souvenirs. Me suis arrêtée, après un début de tri hasardeux, et que regretterais sans doute, si je cherche quelque chose dans le semblant d'ordre rétabli, quand j'ai rempli deux sacs en papier que suis allée jeter, dans la nuit, aux remparts, avec un petit sentiment stupide de perte d'un peu de mon passé (je ne regarderai jamais ce qui reste là, qui est encore beaucoup trop – mais il reste un petit espace vide sous le couvercle redevenu plat)

8 commentaires:

chri a dit…

Un espace à remplir...

jeandler a dit…

Un peu rustre le fauteuil pour les dos de nos âges !
Difficile de jeter, de déchirer le temps. Un coup de folie comme on attrape un rhume et hop le tour est joué.

Dominique Hasselmann a dit…

Le tri des souvenirs (et leur presque disparition) est souvent un crève-coeur.

Beau masque, comme aurait dit Vailland.

Pierre Chantelois a dit…

Ces petits pillages nous sont d'une telle utilité parce qu'ils nous ouvrent un monde inconnu. Et nous comblons ainsi bien égoïstement un espace vide...

DUSZKA a dit…

Mais quel bonheur d'avoir une caisse qui a surnagé contre tous les vents sur le flot de la vie qui va. Quand le dernier d'un vieux couple s'en va le contenu des caisses est éparpillé, partagé, jeté parfois aussi, le souvenir s'y étant mal accroché...

Brigetoun a dit…

se décompose lentement mon masque, mais loupé ou non j'ai une petite tendresse pour lui

arlette a dit…

C'est un peu de soi que l'on retrouve en lisant certains passages non pas pillages mais pêche en eaux profondes
itou, ne regarde jamais les boîtes pleines de programmes dont il faut se séparer de temps en temps
...et tant de choses aussi

thoams a dit…

Merci Brigitte !