Ce serait un fauteuil qui
m'aurait séduite. Ce serait m'y installer, rogogner un peu parce
qu'il est trop bas. Ne pas s'enfoncer dedans, étendre les jambes, et
puis oublier tout, l'encombrement un peu trop luxueux de la pièce devinée, et même
l'étiquette sur le bras... ouvrir Ici ça va de
Thomas Vinau, acheté l'autre jour à la Mémoire du monde,
pour entrer dans le plaisir, le charme grave de sa lecture.
Un peu plus d'une centaine
de pages - l'histoire, en une langue simple et discrètement lyrique,
d'un retour dans la maison de l'enfance, d'une reconstruction. Avec
l'aide de la nature, de la présence attentive et de la vitalité de
sa compagne, de l'apprentissage ou redécouverte des taches manuelles
observées autrefois, des saisons, d'un vieux paysan et de sa petite
fille sourde, du frère retrouvé.
Un texte sensible, sans
cri, sans effets, en tranquille profondeur..
Depuis l'arrivée,
l'entrée dans la maison et dans le livre. Ici ça va. La maison
n'est pas neuve mais elle est propre et les plafonds sont hauts. Au
moment où Ema a ouvert la porte grinçante, dont le bois humide
avait gonflé autour des gonds et de la serrure, il y a eu comme un
grand silence de poussière et de souvenirs. Arrivée dans une la
maison qu'il a quitté enfant, après la mort du père, on le
découvre peu à peu, qui s'est effacée de son esprit, entrée dans
une nouvelle vie, une vie où reprendre souffle, goût, où tourner
le dos aux angoisses. Nous nous sommes endormis comme ça. Bien au
chaud dans nos projets. Avec demain comme couverture.
Le jardin auquel Ema donne
vie, la maison retapée peu à peu, prendre son temps avant de
rechercher emploi, jouir de l'amour de sa femme et de son chien, d'un
peu de vent, du soleil, de la rivière (et rencontrer des images qui
viennent peu à peu de ce temps d'avant) – ouvrir la caisse où
l'ancien propriétaire a regroupé ce que la mère et les enfants
avaient abandonné.
En ouvrant la caisse
j'ai senti l'odeur d'un pays mort. D'un pays que je connaissais.
Depuis que nous sommes ici des choses reviennent. Des parfums. Des
objets. J'arpente un territoire sauvage où bourdonne mon sang. Dans
la caisse il y avait des outils d'électricien....
ou Ce
matin dans la cuisine, je me suis accroupi sous l'évier pour
déboucher le siphon. En relevant la tête, sans déplier les jambes,
j'ai vu la maison comme je la voyais lorsque j'étais petit... Le bas
des murs. Les plinthes. La lumière qui vient du haut. Le plâtre
était abimé...
Mais
je vous conseille de le lire, de trouver tout ce que je ne saurais
re-dire, le portrait merveilleux de la jeune-femme, l'arrivée de
l'hiver, l'entente avec le vieux paysan qui l'emploie, l'accord entre
la petite fille sourde et Ema, le sauvetage – rupture avec le choix
des paysans vaguement coupable – d'un bébé ragondin - Nous
éprouvons une certaine tendresse solidaire avec les survivants -,
la visite du frère, de la femme qu'il a épousée au loin, de sa
fille, la complicité retrouvée... l'assurance à vivre qui revient,
lentement
Certains
matins je me réveille en pensant que des gens sont à cet instant
même en temps de mourir. C'est une drôle de façon d'aborder le
jour, n'est-ce pas ? C'est comme un petit courant d'air glacial. Et
puis rapidement, un détail dans la lumière, une odeur, un geste
d'Ema et le courant vivant reprend la main.
et
pour renouer avec le père, retrouver la pêche à la main dans la
petite rivière au bout du jardin.
.. Une
main solidement agrippée à la berge boueuse, je me suis baissé,
jusqu'à ce que ma joue atteigne presque l'eau. J'ai respiré, le
plus calmement possible, malgré le froid. Puis j'ai glissé l'autre
main, tout doucement, sous la berge, dans le ventre de la rivière.
J'ai tendu mon bras le plus loin possible entre les racines et le
limon. Dans l'obscurité aquatique. Avec peur et confiance mêlées.
Sans savoir ce que je trouverais.
Reste
mon petit espoir arrogant : que ma maladresse et mon pillage me
soient pardonnés.
Dans le réel de l'antre, comme il est imitation vague d'une maison, mais comme je ne saurais pas être tout à fait, malgré mes tentatives, conforme, il y a deux bacs plastiques dans lequel s'entassent des années de traces d'une partie des spectacles vus, et je considère qu'on dirait que c'est une table basse.
Dans le réel de l'antre, comme depuis que suis avignonnaise j'achète les programmes, ou garde souvent ceux qui sont donnés, me suis aperçue, brusquement, que l'aspect de l'ensemble devenait par trop étrange, qu'il semblait difficile d'y poser un objet en équilibre... et m'y suis attaquée, en essayant de ne pas trop ouvrir, lire, tenter de trouver souvenirs. Me suis arrêtée, après un début de tri hasardeux, et que regretterais sans doute, si je cherche quelque chose dans le semblant d'ordre rétabli, quand j'ai rempli deux sacs en papier que suis allée jeter, dans la nuit, aux remparts, avec un petit sentiment stupide de perte d'un peu de mon passé (je ne regarderai jamais ce
qui reste là, qui est encore beaucoup trop – mais il reste un
petit espace vide sous le couvercle redevenu plat)
8 commentaires:
Un espace à remplir...
Un peu rustre le fauteuil pour les dos de nos âges !
Difficile de jeter, de déchirer le temps. Un coup de folie comme on attrape un rhume et hop le tour est joué.
Le tri des souvenirs (et leur presque disparition) est souvent un crève-coeur.
Beau masque, comme aurait dit Vailland.
Ces petits pillages nous sont d'une telle utilité parce qu'ils nous ouvrent un monde inconnu. Et nous comblons ainsi bien égoïstement un espace vide...
Mais quel bonheur d'avoir une caisse qui a surnagé contre tous les vents sur le flot de la vie qui va. Quand le dernier d'un vieux couple s'en va le contenu des caisses est éparpillé, partagé, jeté parfois aussi, le souvenir s'y étant mal accroché...
se décompose lentement mon masque, mais loupé ou non j'ai une petite tendresse pour lui
C'est un peu de soi que l'on retrouve en lisant certains passages non pas pillages mais pêche en eaux profondes
itou, ne regarde jamais les boîtes pleines de programmes dont il faut se séparer de temps en temps
...et tant de choses aussi
Merci Brigitte !
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