Sur la place Pie, il y a
les Halles....
car Perrinet Parpaille,
rude réformé, fut pris à Bourg-Saint-Andréol en l'an 1561 et
condamné à mort, sa grosse maison près de Saint Jean-le-Vieux
pillée et rasée, car on mit sur son vide une colonnade, trois
rangées de piliers en attente de toiture (longue, longue fut
l'attente) et y vinrent les maraîchers vendre leurs légumes après
qu'en 1563 Laurent Lenzi, vice-légat, ait béni l'endroit - et l'on
mit dans les fondations médailles et pièces d'or et d'argent aux
armes des puissants, de la ville, du général des armes Fabrice
Serbelloni, du vice-légat Lenzi, du légat Farnèse et du pape
Pie.-... Années vinrent, et parties de toiture, la place s'agrandit,
fut la première et principale en la ville, fut place d'armes – et
avec la colonnade furent aménagés chapelle et corps de garde, et
passe le temps..
Mais à Toulon le Cours
Lafayette descend longuement sous le ciel jusqu'à la mer...
Fin novembre, sur les
trois étals maraîchers des halles de ma ville, ne sont plus que
tomates de serre, courgettes, mais dernières, sont salades et mâche
pour verdir l'hiver, sont les côtes blanches, fortes et courbes des
cardes, sont, doux vert pâle, les longs coeurs tendus des chayottes,
avec leurs côtes faussement régulières, sont navets, encore,
ronds, légèrement rosés, ou en longs cônes à côté de ceux,
barbus, des panais et des longues carottes, sont les grosses tranches
oranges des potirons, les petites torsades des crosnes, les bouquets
d'artichauts, viennent les brocolis, s'installent les choux, sont
encore les derniers champignons, l'opulence des cèpes aux pieds
terreux, les tourbillons roux des girolles, les entonnoirs bruns des
lactaires, les pleurotes qui semblent s'évanouir sous les yeux, les
bruns et les beiges des chanterelles, non pas les truffes qui sont
trop onéreuses mais la blancheur gourmande des champignons de Paris,
sont...
Sur la place Pie, il y a
les Halles...
car Jean-Baptiste Franque,
après avoir percé une rue vers la place, après avoir construit la
boucherie, la poissonnerie, la triperie de la rue Aquaviva que l'on
dit du Vieux-Sextier, eut l'idée d'une halle de pierre sous greniers
d'abondance, car son fils construisit pour cela une belle bâtisse
avec des arcs sur la place du marché, car le sextier y fut
transporté et une nouvelle chapelle aménagée, car le temps
passa....
Mais à Toulon le Cour
Lafayette descend longuement sous le ciel jusqu'à la mer...
Fin novembre, aux
halles de ma ville, on trouve belles grappes de raisin teintées
d'or, des pommes golden bien banales et sobrement délicieuses, de
lourdes grises du Canada, des figues si mures que presque éclatées,
et les premières caissettes de figues sèches, des clémentines
grenues pour réchauffer le regard, des poires allongées ou rondes
et roses comme joues, les premiers kakis ces boules de succulente
chaleur et des grenades d'un rose doré sur grains sanguins, et pour
annoncer le Noël les noix, les noisettes, les sacs de mendiants..,
et règnent les oranges.
En tout temps, aux
halles, sont aussi les traiteurs avec cuisines recherchées mais
aussi les caillettes, les pâtes, etc... et bien entendu les bouchers
mais ça ne me concerne pas et je passe vite sauf si, par
extraordinaire, veux faire une daube, pour être d'ici.
Sur la place Pie, il y a
les Halles....
car l'hôtel de Joannis de
Nochères fut détruit, et maisons autour, car le moderne 19ème
siècle, celui qui fit les rues droites et les places de la ville,
agrandit la place sur la commanderie de Saint-Jean-le-Vieux, ouvrit
la rue Thiers et construisit à la place des hôtels, de cafés, et
de la place du Père Eternel, une grande halle centrale, en fer,
briques et pierres, sur belles caves étanches, comme un petit écho
des halles de Paris, car furent vivantes, coeur de la ville et des
entours, car le temps s'installa et puis passa...
Mais à Toulon le Cour
Lafayette descend longuement sous le ciel jusqu'à la mer.....
Fin novembre, aux
halles de ma ville, le marchand de pommes de terre a de nouveau des
bintjes qui sont les plus terreuses, abîmées, humbles, mes
préférées, et à défaut des sambas, mais plus de béas de la
région, des vitelottes pour amusement des yeux mais que n'aime pas,
des rattes de Privat, les dernières Noirmoutiers, et puis bien
entendu la peau fine et presque blanche des charlottes, des oignons
de paille et jaunes des Cévennes, blanc de Paris, rouges, plus guère
d'échalotes grises et encore moins de roses, mais on trouve les
têtes ou chapelets d'ail rose du Var ou de Lautrec, de la Drôme
voisine, à côté du cerfeuil tubéreux et des roses sales des
patates douces.
En novembre, aux halles
de ma ville, mon marchand d'olives n'a plus de bidon d'huile et
attend la nouvelle récolte, mais les pavés de morue sont épais,
noirs et blancs, sous couche épaisse de sel, les filets sont une
symphonie jaunâtre... les bidons d'anchois, les tapenades, les
tomates sèches, les bacs d'olives cassées au fenouil, de Nyons, de
Luques, farcies, à l'ancienne, kalamatas, au herbes, petites, toutes
les variétés ravissent les touristes et je dois attendre pendant
que les garçons font les beaux et servent des petits cornets pleins
de ce que demandent des doigts faute de mots.
Sur la place Pie, il y a
les Halles...
car furent détruites en
1972 les belles halles centrales, car fut construit un gros pavé
rectangulaire, avec, sur les halles, des étages de voitures, car ce
sont les halles où je vais, car les grandes surfaces et les marchés
hors rempart ont tué les commerces dans la ville, car les halles
sont là, pour nous, pour les touristes, pour servir de vitrine aux
agriculteurs de la région,
Mais à Toulon le Cour
Lafayette descend longuement sous le ciel jusqu'à la mer...
Fin novembre, dans les allées des halles de ma ville, je file le long des morues vers le poissonnier, les coquillages, les coquilles Saint Jacques, les grosses gambas - mais n'y a plus de chevrettes - les longues lanières épaisses d'un blanc verni découpées dans les encornets, le tas d'un brun si doux des poulpes visqueux, les fusées des calamars, parfois le luxe de la piste, et puis les sardines, les grosses et celles qui viennent de notre mer, les solettes, les soles, les cabillauds à découper, les splendides rectangles blancs des dos de cabillaud, les vives, les petites rascasses et poissons de roche pour la soupe ou la bouillabaisse, les rougets de toutes tailles, du rose presque bleu des petits pour la friture au rose chaud des plus gros, les loups, les daurades royales - ce n'est plus le temps des autres - les sars, les tranches de thon rouge que l'on achète avec un remords furtif, et celles d'espadon avec le dessin des fibres sur rose blanc, les jaunes filets de lieu, et puis les maquereaux, les lisettes, les bonites parfois, leurs formes vives et leur goût, et tous les poissons qui font habillé.
Sur la place Pie, il y a
les Halles...
car il y a quelques années
ce cube mort a été orné, sur la place, d'une nature qui se nie,
d'un beau, très cher, très exigeant, mur planté, car je le
réprouve un peu, mais je me réjouis en le regardant, quand au
printemps le vent joue dans les tiges et qu'une verte mer verticale
se met à danser, car je le vois se flétrir avant l'automne, se
garnir, parfois, de longs stalactites de glace au coeur de l'hiver
Mais à Toulon le Cour
Lafayette descend longuement sous le ciel jusqu'à la mer...
Fin novembre, au centre
des halles de ma ville, trône l'étal de mon fromager, et, comme les
autres, il présente encore de tout et des chèvres mais ce n'est
plus le grand temps des banons, va finir la bonne époque des
pélardons - puisque chèvres ne pâturent plus, en principe,
pourtant j'ai trouvé l'autre jour un pélardon pâmé en sa crème
qui était saveur extrême - et des lingots de brebis tout de
maturité, mais, bon, nous en sommes toujours au règne des
Pont-Lévèque, des Coulommiers, fermiers of course, et de leurs
parents les deux bries, des Langres ridés avec leur crâne enfoncé,
des Munsters, et c'est la grande époque de l'Espoisses et celle du
Vacherin du Mont-d'Or bordé de sombre, des boulettes d'Avesnes et du
Maroille – mais pas encore du Camembert et du roi Livarot, bien
sûr des fromages lents, des tommes de vache, de brebis, de chèvre,
des Pyrénées, d'Ardèche, d'Aubrac ou de Lozère, des provinces
plus septentrionales, et des presque introuvables tommes de Camargue
ou de Combovin – ne pas oublier le Saint-Nectaire – de la
souplesse des Reblochons au goût de noisette délicate, et, bien
entendu du Gaperon mon très aimé, et des persillés, du Roquefort,
de la fourme d'Ambert grassement terne, des bleus de toutes
provenances... et il y a les italiens (pour ce qui est du Gruyère,
de l'Edam... ne les aime en aucune saison)
Sur la place Pie, il y a
les Halles, et je suis dans leur temps présent...
mais pour trouver le
marché, mon gros marché de Provence, j'ai descendu, dans le reste
de gouaille, d'accent plus solide, de nourritures plus brutes,
drettes, le Cours Lafayette – l'est à Toulon, ô étrangers –
jusqu'à la mer, ou au port, et pour qu'il soit un peu là, le cours,
les photos en proviennent, sauf bien entendu celles du mur planté.
Sont parents les halles et
le cours, même si à Toulon les marchands viennent maintenant plus
souvent de l'autre côté de la mer, et sont donc un peu plus
réservés que dans mon souvenir, et que ne le sont les vedettes des
halles, même si le ciel remplace les tubes de lumière, même si,
là, les étals partent et reviennent, réguliers comme les heures,
même si on y trouve, aussi, des savons, des vêtements, des
fleurs....
20 décembre, il pleut
depuis la fin d'après-midi sur Avignon, l'antre a retrouvé son
aspect habituel, la journée fut simple, gaie, détendue et amicale,
la nappe est dans le sac blanchissage, Brigetoun digère et reprend
sa contribution aux vases communicants de décembre, en contrepoint
du «on remballe» de Poivert
http://brigetoun.blogspot.fr/2012/12/on-remballe.htm
7 commentaires:
Cela me fait penser au prochein, merci !
Mais, comme pour certains concerts, on bisse (ou plus).
Ah oui j'avais beaucoup aimé !
Il fallait qu'il soit ici.
Grande fraîcheur des mots pour profiter pleinement de la fraîcheur de ces victuailles toutes exposées sur les étals. En ces temps pluvieux beau rappel de temps passés et à revenir.
Justement en redescendant "le cours Lafayette qui descend jusqu'à la mer"
je pensais à toi qui sais si bien parler des fruits et légumes et autres nourritures présentées , alors que je file bien souvent en raccourci sans rien voir ni sentir
!!!Ben ! oui j'avoue
Beau parallèle, gourmand et esthétique. Merci pour cet article fort bien documenté.
Arlette, moi aussi - mais là Poivert avait choisi et me disait qu'elle allait passer une matinée dans un marché, en interrogeant les vendeurs et acheteurs pour nourrir son texte, alors...
J'avais beaucoup aimé (comme Michel !) et j'aime toujours. Comme une rengaine (Mais à Toulon le Cour Lafayette descend longuement sous le cile jusqu'à la mer), une ritournelle à la Villon.
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