Bien enfermée dans
l'antre, ayant un peu vaqué, presque satisfaite de moi, ai pris les
photos loupées pour cause flash.. me suis transportée dans la
visite de samedi, dans ma ballade à travers le
livre-qu'est-pas-tout-à-fait-un-catalogue, me suis laissée aller au
plaisir de reconstituer grâce à des emprunts (y compris quelques
photos loupées pour cause de flash) au livre-qu'est... ce que
j'avais vu, sans tenir compte de l'ordre exact des salles, mais
presque, et c'est démesurément long, jamais été aussi long, comme
un dimanche d'adolescent qui n'a pas le droit de sortir – êtes
prévenus
Ces dernières années,
d'éminents penseurs et chercheurs ont analysé cette longue histoire
en profondeur. Des écrivains et des artistes ont aboli en acte la
frontière entre l'Orient et l'Occident et se sont forgées des
identités culturelles plurielles. Des efforts ont été consentis
pour réintroduire l'héritage arabe dans la culture européenne, y
compris dans les manuels scolaires. Farouk
Mardam-Bey à la fin d'un texte retraçant à grands traits des
siècles de proximité, éloignement, influences mutuelles,
incompréhensions et luttes – et après temps de longue coupure
(sauf commerce et ports) le temps des voyageurs de Chateaubriand,
Flaubert, d'autres et Loti
Il faut bien qu'il se
soit joué là-bas un acte inoubliable de cette féerie noire qui a
été ma vie, pour que je m'inquiète ainsi de la pensée d'y
retourner ; pour que tout ce qui en vient, un mot tartare qui me
repasse en tête, une arme d'Orient, une étoffe turque, un parfum,
aussitôt me plonge dans une réverie d'exilé où réapparaît
Stamboul ! (Fantôme
d'Orient)
et
puis, plus tard ceux qui ont laissé les lettres, croquis et carnets
de voyage qui figurent dans l'exposition comme Isabelle Eberhardt,
Théodore Monod (ci-dessus croquis sur une lettre), les stéréoscopies
de Jean Nouvel (que n'ai pas vues, pas eu la patience de faire la
queue)
les
formidables croquis d'Auguste Chabaud, tant aimé ici, dont
j'apprécie moins les tableaux, Barcelo
et
puis les architectes Pascal Coste (bien aimé les petits croquis,
comme ceux que nous devions ramener d'un voyage d'été.. mais ai
abandonné l'école avant)
et
Le Corbusier (belle série) L'architecture
arabe nous donne un enseignement précieux. Elle s'apprécie à la
marche, avec le pied ; c'est en marchant, en se déplaçant que
l'on voit se développer les ordonnances de l'architecture. C'est un
principe contraire à l'architecture baroque qui est conçue sur le
papier autour d'un point fixe théorique. Je préfère l'enseignement
de l'architecture arabe.
Le
second thème était «Tangerama» et un texte de Mona Thomas
Chacun allait trouver à
Tanger et à d'autres oeuvres que la sienne le réconfort nécessaire
pour surmonter et dépasser un moment délicat du parcours.
Influences, révérence, rivalités bien tempérées, beaux gestes
imprévisibles, parfois miraculeux ; un nadir a existé,
exubérant ou secret, signalé d'abord par Matisse embarqué sur les
brisées de Delacroix...
Matisse
(ce petit dessin, près d'une porte, sautait aux yeux) Il
pense beaucoup à l'exposition d'art islamique qui à Munich l'a tant
impressionné, il aspire à la couleur pure et au mouvement délié
qu'il a admirés chez Delacroix... Aller plus loin dans la peinture
lui devient synonyme de Tanger. Deux hivers entiers, Matisse connaît
une fluidité sans accroc, une ouverture plus haute que le ciel de
l'Ile de France, un soleil non parcimonieux, un bleu qui engendre
d'autres bleus dans la lumière qui blessera si durement les yeux de
Francis Bacon et qui lui est «tellement douce»..
et
plus tard l'époque qui a fait la gloire un peu sulfureuse de la
ville...
mais
pour Rauschenberg et Twombly (un portrait du premier par le second)
juste un passage, sous la pluie,et ils franchissent
les portes de la ville en direction de Tétouan la Mauresque et des
montagnes du Rif.
une
photo d'une série (table et chaise à Tétouan) de Cy Twombly que
j'ai beaucoup aimé (celles, plus nombreuses de Rauschenberg, moins
extra-territoriales, aussi)
Bowles
a préparé la balade, Yacoubi, prince et pâtissier en paradis
artificiers est le guide. On file en décapotable... On n'est pas
plus de passage ici qu'en Amérique, il s'agit de vivre son art
partout où il n'est pas évident qu'il soit... C'est plus que jamais
apprendre, sans qu'il soit besoin de demander à Ahmed de traduire le
dialecte des montagnes puisque la vie est là. On est ébloui. Et
comme on était disponible on a été touché..
Il
y a une armoire grillagée marquetée d'ivoire qui contient des
albums, des livres et une partie de la collection de la revue de
Bowles et Ahmed Yacoubi «Antheus», organe décisif d'une
littérature prometteuse et qu'aucun océan ne sépare vingt-quatre
années durant, poètes berbères et nouvelles américaines se
côtoient, récits de rêves, contes et compte-rendus de lectures,
Mohammed Choukri, Joyce Carol Oates, Yannis Ritsos, Mohammed M'raber,
Cormac MacCarthy, Ann Sexton. Et Bowles vieilli fait le lien avec
Barcelo.
Un
des bustes de Charles Cordier qui occupent le centre de la grande
galerie bleue de l'étage, entourés de grands tableaux
orientalistes venus des musées de la région.. et ce n'est pas parce
que je m'impatientais dans mon désir de voir la troupe de Madame le
maire accélérer que je n'y ai guère porté attention,
à
part ces deux études de têtes d'Isidore Pils,
mais
au centre, dans des tables vitrines faiblement éclairées, pour les
mettre en valeur, une assez belle collection d'arme
et
d'objets réunis par André Réda-Dadoun
Et
puis, au dernier étage, qui n'est plus envahi par les fumigènes, la
partie intitulée, comme il se doit, le bain turc, avec ce lit
de harem turc, belle cage ciselée et doré
et
une Odalisque de Matisse
Les
odalisques étaient les fruits d'une nostalgie heureuse, d'un rêve
beau, vif et de l'expérience presque extatique et enchantée de ces
jours et nuits, dans l'incantation du climat marocain. J'ai senti le
besoin d'extase, de nonchalance divine, dans les rythmes colorés
correspondants, les rythmes de figures ensoleillées (Matisse)
avec,
face à elle, ce très beau fantasme, un moniteur où se meuvent des
naïades modernes, de grosses femmes âgées nimbées de vapeur
dans les scènes de bain turc filmées par Tacita Dean (Éric
Mézil, directeur de la Collection Lambert, commissaire de
l'exposition) et elles sont lourdes, vieillies, mais ni laides ni
tristes.
-
et, sans rapport, mais on la découvre depuis une arche ouverte à
côté de ce film, dans un des espaces sous combles, dans la
pénombre, cette merveilleuse installation (en semoule de couscous) de Kader
Attia -
Le
fantasme des turqueries avec l'enlèvement au sérail de
Mozart, avec tous ces opéras et pièces, et j'ai aimé les projets
de costume (dans un autre espace sous comble) de Marie-Hélène Dasté
pour le Bourgeois gentilhomme
et,
dans une autre des alvéoles, les broderies, les bijoux
Avant
l'odalisque, une version plus contemporaine, avec les grandes photos
de Nan Goldin qui photographie non plus des femmes aux bains, mais
Jabalowe, son amant égyptien, aussi sensuel sous une moustiquaire
qu'alangui après l'amour. C'est le même homme qui navigue sur le
Nil non loin de Louxor et dont le regard atemporel fixe sa
photographe-amante.
Et
ma foi, je vous, je me fais grâce, et j'en reste sur eux.
Je
redescendrai demain, vous êtes prévenus, vers notre monde
contemporain et ses tumultes ou détresses, ses grâces aussi.
PS
Et bien entendu j'ai passé sous silence beaucoup de choses
5 commentaires:
Avec pareil éclectisme et un si important éventail d’œuvres d'art, que d'heures il faudrait pour arpenter pas à pas tous les étages de ce musée. De Monod à Mozart, la gamme est complète ;-)
architecture, photos... pour tous les goûts, ce voyage.
Merci à vous!
Merveilles !!! et mine d'or , je n'avais abordé l'Orientalisme qu'à partir des peintres!! quelle lacune!!
tentation de mieux approfondir cette exposition
Merci Amie
Une incroyable exposition, sur les pas d'une non moins incroyable et infatigable guide. Un grand merci.
L'évènement du moment en votre bonne ville !
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