Suis-je
allée à Barcelone ?
Tu es allée à
Barcelone
Je croyais
que j'avais pris des photos, en noir et blanc, avec un vieil
appareil, mais ne les trouve plus.
Tu
les as jetées, c'étaient des souvenirs d'idées de photos (alors
j'en ai prélevé sur
http://www.tripadvisor.fr/LocationPhotos-g187497-w58-Barcelona_Catalonia.html
et http://www.beglob.com/barcelone-espagne
et les ai martyrisées pour me les approprier)
j'ai gardé ces mots :
j'aime Barcelone, comme une vérité, perdue dans une brume
Tu
te souviens pourtant, l'hôtel Colon, le grand hall, qui n'a plus que
cette taille dans ta mémoire, le bataillon de vieillards en
uniforme, assortis à son âge – et tu étais honteuse, sans le
montrer, de laisser porter cette valise qui te semblait si lourde –
le grand ascenseur dans sa dentelle métallique – je me demande
si ce n'est pas une invention, peut-être mais je veux y croire.
Tu
te souviens pourtant - la grande chambre, les fenêtres, ou
porte-fenêtres tu ne sais plus, ouvrant sur la cathédrale.
Tu
te souviens - les voûtes, le choeur et les stalles, l'élégance
parisienne des sculptures du monument de Sainte Eulalie. Tu te
souviens surtout que tu es restée un temps, arrêtée, dans le
cloître – tu as toujours aimé les cloîtres – et qu'il y avait
un petit musée dans une salle, à côté.
Tu
te souviens que tu as aimé les traces de Rome, tu te souviens –
cela s'éveille lentement, affleure – d'une salle du musée Marès,
d'un bas-relief aux formes rondes et douces au milieu de bois rudes
aux peintures déteintes. (et il y avait aussi, dans un autre
quartier la richesse de ce musée, où après les fresques, les
christs, tu étais tombée sur une exposition de toiles modernistes -
ta surprise amusée en constatant que, sur les grands panneaux
explicatifs, tu comprenais plus aisément le texte catalan que le
castillan que tu as soit-disant appris)
Tu
te souviens des rues, des hautes façades de belles pierres, autour
de la cathédrale et du palais de la Généralité, d'une belle
place.
Tu
te souviens que tu aimais les petites rues, où tu souriais, te
sentant chez toi, où tu ne t'arrêtais pas parce que ce n'était pas
le cas.
Tu
émergeais brusquement sur les ramblas, et tu te souviens que c'était
joyeux.
Tu
te souviens de la noblesse un peu provinciale de la place Reial, des
affiches sur la façade du Liceu.
Tu
te souviens surtout de tes flâneries sous les voûtes métalliques,
dans l'abondance des fruits, légumes, viandes, poissons du Mercat de
la Boqueria – tu achetais une petite salade, des tomates parfois,
pour tes dîners dans ta chambre, avec une boite de thon
Tu
te souviens que tu sortais vers minuit, et que tu savourais,
distraite, concentrée sur ton plaisir simple, une crème catalane
dans un bar trop éclairé – un décor froid de molesquine et
formica – en regardant la nuit derrière les grandes vitres, et
cette rue que tu suivais, le matin, pour une pause dans le parc de
la Citadelle, près de l'amical squelette
métallique de l'Umbracle.
dans mon
souvenir il n'y a pas d'humains, aucun visage même flou, aucune
rencontre.. je crois que j'étais trop triste, ou fatiguée, si
triste.
Tu
ne tolérais pas les gens attablés aux cafés ou dans les
restaurants, les oisifs.. Tu n'as pas aimé la Diagonale, le passeig
de Gràcia, ou plutôt tu n'as pas aimé y être, comme sur les
Champs Elysées, malgré les façades des Casas. Tu t'es arrêtée un
moment devant la Sagrada Familia, mais tu étais trop absente pour la
voir.
Tu
aimais flotter au milieu de corps actifs, comme un truc étranger et
invisible.
je me
souviens que je suis allée à Barcelone, et qu'il me semble que
c'était bien.. mais je croyais que c'était il y a plus de quarante
ans
Tu
es allée à Barcelone un an avant les jeux olympiques, il y a donc
vingt deux ans – et tu t'es perdue dans les routes en travaux sur
la colline de Montjuic.
Tu
es dans une tranchée, entre deux pentes raides de terre remuée, tu
ne sais pas comment en sortir, tu as un peu peur des machines qui
dorment, qui pourraient s'éveiller, te coincer.
Tu
es assise sur le sol, tu masses tes chevilles, je crois, tu regardes
au dessus de toi la barre du pavillon de Mies Van der Rohe, tu te
sens en sécurité, comme si tu étais assise devant une revue
d'architecture, à la BPI.
Tu
as marché, tu as été fascinée par le palais de la Musique, bijou
étrange, et par la conque tordue du plafond en haut de la maison que
Gaudi a construit pour la famille Güell – tu as passé de longs
moments, dans un sourire ravi, dans une admiration joyeuse, au musée
Miro.
Tu
te souviens vaguement du sourire, des gestes d'accueil aimables,
d'une galeriste... et des oeuvres de jeunesse, un peu boueuses, de
Picasso, de ses dessins du Paris fin de siècle aussi
(l'avant-dernier, je ne me résigne toujours pas à penser que mon
siècle est fini), dans le merveilleux musée aux pierres anciennes
(il est toujours bien logé)
Tu
te souviens de cette boutique vêtue de bois, aussi douce qu'une
armoire ancienne, près d'une belle église gothique, et d'y avoir
acheté, pour ton plaisir, une plaque de chocolat si noir et épais
que tu as eu du mal à la casser, et les turons que tu devais ramener
aux secrétaires parce qu'elles s'y attendaient.
Tu
te souviens du port, du peu que tu en as vu. Tu te souviens que le
soleil était superbe, qu'il se déployait, que tu étais bien.
Tu
te souviens que tu as erré, un long moment, sous les voûtes du
Musée maritime, et que tu croyais tenir la main de ton père,
écouter ses commentaires.. tu te souviens que tu as choisi la photo
du bateau le plus humble possible, l'équivalent catalan d'une
tartane, pour la lui envoyer.
Tu
te souviens que tu as cru être là presque en communion avec la
force de la ville. Tu as su que Barcelone est ancienne, puissante,
orgueilleuse, vivante, richement bourgeoise et industrielle aussi –
je n'ai pu que flotter, un instant, à sa surface, j'étais trop
fatiguée et seule pour elle à cette époque..
P.S.
Et
pendant que Brigetoun rêvait, cherchant des souvenirs un peu trop
évanescents, Christophe Grossi allait à Barcelone.
Christophe
Grossi qui gentiment accueille ici mes élucubrations, et se charge
d'embellir Paumée http://brigetoun.blogspt.com
Christophe
Grossi qui, non moins gentiment, avait proposé, s'il en avait le
temps, de prendre pour moi des photos (et j'avais cité le marché de
la Boqueria), et qui, alors que je n'osais y croire, m'en a envoyées
cinq trop belles, trop fermes pour ma rêvasserie, la couverture
métallique reprise en quatrième position, la cascade verte,
mousseuse de lumière, ci-dessus, deux abondantes, images de
Barcelone la riche, l'industrieuse, la goûteuse, en sa réalité,
enfin, qui vont clore ce trop long billet... et des bonbons que j'ai
gardés pour moi.
Je reprends
ma participation aux vases communicants de mars, parce que suis un
tantinet dans un trou, en voie d'effacement et d'éloignement, sans
que je sache si l'effacement crée l'éloignement ou le contraire,
parce que
cet échange avec Christophe Grossi fut un plaisir,
parce que
c'est peut-être ma dernière participation, mon carnet de bal est
vide et j'ai eu l'honneur et le plaisir d'avoir à peu près tous les
vis-à-vis de belle essence que j'avais rencontrés virtuellement.
13 commentaires:
...tu te souviens que tu as choisi la photo du bateau le plus humble possible... pour un beau retour que nous apprécions.
Reprise appréciée !
Votre passage à vide est temporaire, on s'en doute.
pour les vases il faut être deux, et comme suis passée de mode..
Un investissement, c'est certain, cet échange. Bon courage Brigitte.
Comme un parfum de déroutement et d'abandon
Un peu comme ce souvenir prenant "d'idées de photos"
croyais être résignée et plutôt contente, mais là de mauvais poil hier soir et ce matin, et du coup ai kidnapé quelqu'un
Admirable séquence. Ça communique beaucoup plus encore que vous n'imaginez, les gars, les filles.
Peut être parce que j'aime tellement Barcelone, sans parler de la Cité des French Popes. Signé Losted.
Je suis allée une fois à Barcelona, la ville m'a ravie. Merci pour le rappel, brige !
chez moi, il n'y a pas de vase(mais des marécages)
et des pages réservées aux invité(e)s
enfin, ce n'est pas pour vous que je vais déballer le tapis des explications puisque vous êtes la première à ouvrir chaque nouvelle page
malgré 1700 km de bouchons pour cause de neige hystérique ce matin
et les moins 10 annoncés pour cette nuit
vous seriez la très bienvenue
Je me souviens de la statue de Christophe Colomb dont le doigt pointe sur le nouveau monde à Barcelone.
Je me souviens des statues vivantes sur les ramblas de Barcelone.
Je me souviens de la Boqueria de Barcelone.
Je me souviens du musée Picasso de Barcelone.
Je me souviens des tapas de Barcelone.
Je me souviens de la rue d'Avignon de Barcelone.
Je me souviens...
(pastiche)
JEA - vous êtes très gentil, et je sais que par chez vous les gens savent être gentils et joyeux, mais suis une fille du sud (ou Paris)
Michel, bien le pastiche, et moi je ne me souviens pas ou ne me souvenais plus de la statue de Colomb (l'ont récupéré les catalans ?)
J'y serais fin avril ..à Barcelone, j'aime beaucoup ta troisième photo.
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