Ce serait le ciel bleu,
séché, avec juste un petit reste d'humidité cachée pour
l'adoucir, qui accueillerait ma sortie vers le
teinturier-blanchisseur, les produits d'entretien, des cigares et le
canard que j'avais oublié pendant un jour (l'enchaîné), un ciel
qui saluerait mon freinage, talons bloqués dans le réel, sur la
douce pente de mon marasme... et profond désintérêt, entre autres, pour Paumée.
Ce serait se souvenir - ah
oui c'est vrai, c'était lundi je crois - le ciel était d'un bleu
nourri, un peu granuleux, hésitant, gros des nuages à venir – le
vent était léger, mon coeur aussi,
et les halles étaient
presque désertes, avec des étals assez pauvrement fournis, enfin
presque,...
et des vendeurs en veine
d'échanges légers, de plaisanteries douces..
C'était un parfum de
printemps fragile, délicieux d'une petite menace suspendue, qui ne
fut que pluie, des heures plus tard
Ce fut saluer, en
redescendant vers l'antre, la nuit qui devait venir, avec un sourire
d'espoir
Ce fut partir dans la
nuit, en attente, vers Jenufa, dans une coproduction des
opéras de Bordeaux et Avignon, pleine de promesses – ce fut le
plaisir de l'arrivée dans nos murs d'une musique qui m'est plus
sensible que Donizetti ou Puccini
Ce fut une mise en scène
lumineuse de Friedrich Meyer-Oertel, des chanteurs acteurs, entre
réalisme et stylisation, qui jouaient leur rôle, chaque geste
servant à transmettre les émotions, ce fut un beau décor très
simple, un accord d'ocre du décor, des gris, bleus, noirs des
costumes, ce fut la direction de Balàzs Kocsàr, ce fut la
découverte de cet opéra que n'avais pas encore entendu (mais j'aime
Janacek, et me souvenais de l'affaire Makropoulos, retransmise, et
d'une représentation de la petite renarde, de pièces de musique
pure, de la messe..) ce fut cette musique qui enrobe les mots, qui
épouse la langue jusqu'à sembler en émaner.
Ce furent de beaux et bons
chanteurs, la beauté de noble paysanne de ces terres qui nous sont
proches et étrangères, la voix, le jeu de Christina Carvin qui
était Jenufa , ce fut la douce force torturée, la flamme bridée de
conventions de Géraldine Chauvin en marâtre trop aimante, la timide
force trapue, la très belle voix de Marlin Miller en Laca, ce fut
même cela : Florian Laconi, que j'aime moyennement pour son côté
un peu trop ténor glorieux, un peu trompetant, mais sans excès là
pour ne pas déséquilibrer l'ensemble, en accord avec son rôle de
bourreau des coeurs... ce fut une bonne distribution des rôles
secondaires.
Ce fut sans doute un des
spectacles les plus réussis donnés par l'opéra.
Ce furent des journées à
côté de moi, ce fut savourer ma sottise, se complaire dans la
culpabilité légère des stupidités où me cantonnait.
Ce fut aussi des moments
de lecture, en plaisir grand mais qui me retenaient peu de temps, et
en apéritif à la nuit menant à jeudi, les quelques belles pages de
Nuages de Jaccottet, chez
Fata Morgana – et ceci, qui introduit le bonheur de l'observation,
affûtée, précise de nuages d'un très beau ciel de plein été,
Et ce dernier été,
peut-être parce que je sais que, dans la meilleure hypothèse, je
n'en ai plus tant que cela devant moi, et que le risque de voir ce
mot «dernier» prendre son sens absolu s'aggrave chaque jour selon
une progression accélérée, certaines choses de ce monde qui aura
été le mien, le nôtre, pendant presque toute notre vie, m'ont
étonné plus qu'elles ne l'avaient jamais fait encore, ont pris plus
de relief, d'intensité, de présence ; plus de, comment dire ? plus
de chaleur aussi, étrangement, comme on n'en reçoit généralement
que des êtres proches ; bien que je sache, dans le même temps, que
cela ne peut en aucune manière être pris au pied de la lettre,
comme si je m'étais mis à croire à une amitié, à des sentiments
des choses pour l'homme, qui les rendraient capables de nous «parler»
vraiment, à leur façon.
Et
m'est revenu le souvenir de cette sortie d'une période très sombre,
correspondant à mon arrivée à Avignon, quand je redécouvrais
tout, quand le moindre brin d'herbe dans le soleil, un sourire d'un
passant, n'importe quoi m'était un cadeau.
Retrouver
cet état de disponibilité, de bénévolence.











5 commentaires:
Si heureux de constater ce retour d'un beau ciel bleu. Si heureux de relire ces billets inspirés sur la saison et sur la vie. Heureux de vous savoir inspirée par les arts de la scène et par les rues de votre ville historique. Du petit bonheur à goûter à petites doses.
La musique vous a remis dans le bain du ciel.
AH!!! tu nous manquais entre les tulipes du marché, Janacek ,et la méditation de Jaccottet ouf!! je me sens mieux que tu sois là
Courage Brigitte, le printemps signe d'un mieux pour la nature, se paie souvent au prix fort pour notre organisme. Tes promenades photographiques sont toujours un enchantement.
Que j'aime l'idée de bénévolence.
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