Comme me sentais aussi
terrassée que ces affiches rencontrées au coin de ma rue vendredi
soir, comme le monde entier pesait sur ma nuque, mes bras et mes
yeux...me suis économisée misérablement, juste laver cheveux,
juste ménage éclair, petits tours web, déjeuner, un quart d'heure
contre le mur de la cour de quoi sombrer en lourde sieste
en suis sortie, yeux
refusant de trouver leur place, pour me brûler la gorge avec un thé
trop rapide, éplucher patates et les préparer dans une casserole,
arroser, trop tôt mais tant pis, une douche, endosser une robe,
tenter d'assujettir mes pieds à une paire de chaussures et partir
vers l'opéra, à deux
pas, un peu prolongés pour voir place et passer à la Civette,
vers l'opéra donc et le
monologue tiré par Cassiers d'Orlando de
Virginia Woolf pour
Katelijne Damen...
en bannissant de mon souvenir une frêle silhouette vibrante dans un
rayon de lumière provenant d'une fenêtre en biais – ce
merveilleux moment à l'Odéon il y a une trentaine d'année avec
Isabelle Huppert dirigée par Bob Wilson (mon plus beau souvenir de
théâtre avec elle jusqu'à Psychose
de Sarah
Kahn mis en scène par Régy, cette présence, proche à la toucher,
tendue et vivante, immobile, seule au milieu du plateau).
Donc
esprit libre m'en suis allée...
J'étais
du côté climatisation effrayante et sentais venir début malaise
malgré mon brumisateur mais s'il était difficile de trouver un
billet parce que tout était paraît-il complet, la salle était loin
d'être pleine et j'ai pu m'installer juste en face dans le bonheur
d'une température non trafiquée. Et goûter... sans que s'efface le
souvenir ancien. Mais le décor qui se réduit à un jeu de
projections est simple, efficace, allusif et en accord de tonalité
avec le texte. L'actrice, qui est aussi l'adaptatrice, est aussi
bonne qu'intelligente. Elle a une charmante façon d'être un peu
gauche, de soulever ses jupes par la taille pour marcher vite, comme
ne le ferait pas une femme. Le flamand est remarquablement expressif
pour indiquer la précipitation.
Et
à travers la traduction en flamand, et la re-traduction en français
pour les panneaux, le rythme de Virginia Woolf passe souvent, sa
poésie, son ironie, cette façon de marquer les changements de zones du récit par une phrase lapidaire et comique..
et
puis il y a cette succession : la jeunesse, l'ambition, la passion, la
différence sexuelle, le désir d'écriture (un très joli moment),
la recherche de la beauté et de la vérité, et puis le genre, la
modernité, la sottise de la critique, le plaisir d'être femme,
l'artifice du monde contemporain (presque pour nous), et tout au
long la vie du chêne..
jusqu'à
la paix dans le dépouillement, le retour à la terre.. et le salut
de l'actrice
retour
ultra rapide pour cuisson patates, charger photos, en jeter, prendre
billet, décider garder cette robe, prendre veston, partir, pas très
loin, vers la cour d'honneur – le délai étant un peu précipité
parce que compte tenu des trois heures trente du spectacle on a
décidé d'avancer l'horaire d'une heure.
Première
montée des marches, première avancée rapide sous les gradins
petite
grimace en voyant que le mur est nié (mauvais point), rassurée en
lisant l'interview de Stanislas Nordey parce que j'aimais sa lecture
de la pièce
et,
entre autres, du discours de Hans la parole d’un ouvrier
qui pourrait être déployée devant cette agora qu’est la Cour
d’honneur. Je souhaitais aussi établir un moment fédérateur –
mais pas pour autant consensuel – dans ce lieu: je crois qu’il y
a une possibilité, pour chaque spectateur, de se reconnaître dans
les personnages très divers de la pièce. Il y a une identification
qui peut fonctionner pour chacun des personnages, en partie ou en
totalité...
un magnifique collage
entre ces deux termes (poétique
et politique). C’est aussi un collage entre divers styles
d’écritures, qui crée des zones d’une grande clarté, accolées
à des zones de clair-obscur. C’est ce que j’aime dans ce poème
dramatique où se mêlent motifs poétiques et motifs politiques. La
fureur de Hans qui parle «des puissants» a une force décuplée par
la poésie de sa langue.
Une
courte intervention d'un intervenant des théâtres regrettant la
diminution du budget de la culture, et puis un moment d'ahurissement,
de petite peur devant ce que devient le pays, parce qu'une
intervention des intermitents du spectacle a été timidement
sifflée, puis de moins en moins timidement, puis huée...
Début
de la pièce, théâtre de mots, proférée, splendidement par Jeanne
Balibar dans le rôle de Nova, un peu moins par Laurent Sauvage qui se
plie à cette scansion, mais de façon un peu monocorde, et pour un
texte qui est, lui, plus informatif que lyrique (une difficulté de
la pièce qui est «bavarde» mais sur deux registres qui doivent
être traités sans hiatus) ce qui avait tendance à faire fuir
l'attention...(ça s'est arrangé ensuite dans ses monologues),
interventions des autres acteurs, de Stanislas Nordey qui s'est
réservé, avec succès, le rôle de Hans le frère ouvrier, d'Annie
Mercier très bonne en intendante du chantier (un petit faible pour
ce rôle), des trois ouvriers, bons et très différents,
d'Emmanuelle Béhart, assez bonne, puis peu à peu, très bonne dans
le rôle de Sophie, la soeur. Des départs dès la première
demie-heure, moi contente.
Malheureusement
il y avait, pour permettre de changer le décor installé devant le
mur (un mur aussi, mais modulable et bien entendu beaucoup plus bas,
mur du cimetière avec des incrustations de silhouettes d'arbres,
assez beau) un long entracte de vingt minutes
sortie
devant la porte principale, pour fumer en regardant la vie de la
place, regardant tous ces gens civilisés, souvent beaux et élégants en me demandant qui avait hué l'intermitent.
petit
tour dans le cloître, et puis la seconde partie, la lutte, de beaux
moments et mes yeux qui commençaient à proclamer leur lassitude,
quelques petites faiblesses,
la fin
du texte de Hans, Mais enfin une joie folle me prend à voir notre
corruption à tous... Que l'humanité est abandonnée. Que l'humanité
est abandonnée
Et
puis, pendant que le début de vent se faisait plus fort, seule au
centre du plateau, Jeanne Balibar dans le très beau monologue final,
lumière du texte, que j'avais beaucoup aimé à la lecture, qui là,
entrecoupé de silences pourtant assez brefs, et nécessaires, mais
venant au moment où la fatigue se faisait sentir, m'a paru plus
long, nettement plus long que ne m'en souvenais. Me pinçais pour ne
pas décrocher, me demandant si l'actrice sentait que l'attention du
public se faisait fuyarde...
les
derniers mots : Voyez danser les pulsations du soleil et fiez-vous
à votre coeur qui bout. Le tremblement de vos paupières c'est le
tremblement de la vérité. Laissez s'épanouir les couleurs. Suivez
ce poème dramatique. Allez éternellement à la rencontre. Passez
par les villages.
Salut,
quelques huées, plus d'applaudissements
Brigetoun
se débrouillant pour sortir dans les premières, jambes molles et
dans la crainte de la bousculade prévisible.
Retour
rapide dans solide petit vent. Rédiger ces impressions,
charger photos, dîner, doooormmmir
12 commentaires:
Vous voilà redevenue, pour un mois notre coeur, nos oreilles et nos yeux...
A l'avance, merci!
Merci beaucoup pour cette première
qui me remplit de nostalgie
Beau festival
Beau
...
..
.
Je dis pareil que Chri !
:D)
Audio a pu nous croiser en ces temps à l'Odeon devant le miracle Isabelle. Souvenir vibrant aussi.
La seule pièce ("Par les villages") que j'aurais voulu voir cette année...
Merci de vous en faire l'écho précis.
mais un peu perplexe à chaud (pas encore entrainement des compte rendus vers deux ou trois heures du matin)
après avoir dormi : un côté dangereux de monter cela, et les imperfections font partie du succès de l'exercice... un petit côté expérience, qui ne s'impose pas comme perfection mais effort
J'ai simplement humé l'ambiance, je vais voir ce spectacle demain et j'aime garder une part de mystère, je reviendrai lire et regarder les photos plus en détail après.
grand merci pour votre soutien - bon vais essayer continuer
Je serai scotché à vos topos et à photos et j'imaginerai dans les rêves les plus fous l'ambiance des lieux et la folie de la création. Vive Avignon!
un porte-parole des intermittents hué ?
si les travailleurs de l'ombre (re)cherchent un éclat de lumière, ils en reviendront blessés... (mais pas blasés)
Orlando avec Isabelle Huppert dirigée par Bob Wilson, voilà un souvenir que j'aimerais avoir pour moi aussi.. J'ai dû me contenter des archives, heureusement nombreuses.
J'avais également "raté", aujourd'hui à regrets l'incroyable isa pour 4.48 Psychose, cette fois-ci sciemment. Le texte avait eu l'effet d'un coup de tonnerre dans mon coeur alors fragilisé par les bêtes circonstances de l'existence. Je rêverais aujourd'hui de pouvoir voir joué ce magnifique texte.
Par les villages, c'est un peu la pièce qui me fait regretter de n'avoir pas voulu retourner cette année au festival. J'y avais senti l'année dernière des tensions et des phénomènes de pression symboliques qui m'avaient déplu. Peut-être parce que des amis jouaient dans le off, dans des pièces qui ne me convenaient pas, mais toutefois avec une énergie proche de l'acharnement et du dépit dans la fatigue ou de la fatigue dans le dépit. Je n'avais pas non plus aimé le fait qu'il faille réserver 5 mois à l'avance les places pour le IN et l'avait boudé, n'ayant alors pas de temps de me battre pour les réservations au téléphone. Nous avions réservé une seule pièce du IN, si mauvaise que je ne ne me souviens pas du titre, mais j'avais trouvé le comportement des spectateurs assez déplaisants. Ces sifflements que vous décrivez m'y font penser. De facto, je trouve que le festival met en exergue à ses dépends l'écart qui se creusent entre les courtisans (théâtreux du off qui tentent d'appâter le chaland) et les spectateurs parfois imbus de leur pouvoir. Ce comportement me fait penser à celui des spectateurs du théâtre de la Ville à Paris. Je n'ai jamais vu un public aussi mal éduqué, ni respect pour les autres spectateurs ni pour les comédiens. Pas tous, évidemment. Je grossis le trait.
C'est également un portrait sombre que je dresse et garde du festival, et je ne resterai pas sur cette mauvaise expérience. D'ailleurs vous me le donnez à voir sous un jour moins sombre. J'hésite presque à prendre le volant et à remonter vers Avignon, mais n'aurais pas le courage de bagarrer pour des places. J'imagine que tout est déjà complet...
ne peux que souscrire a diagnostic - avec tout de même beaucoup de spectateurs en désir et union avec acteurs...
sans doute complet dans l in certes pas dans le off - semble être la crise là aussi
bon je file
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