Comme le disait une «voix
dans la radio» ce mardi matin(n'ai pas fait assez attention pour
identifier à qui elle appartenait), maintenant les nouvelles
n'attendent pas que nous ouvrions un journal ou les bulletins
d'information, et je me demande si le choc de trouver, au milieu de
références à des lectures, de plaisanteries, de considérations
diverses, un tweet qui alerte, un autre qui assène la mort de Patrice
Chéreau, n'est pas plus sidérant, ne tranche pas davantage dans le cours de la journée.
Mais peu à peu je
réalisais que je n'avais vu aucun de ses spectacles d'opéra, juste
appris qu'ils étaient considérés comme admirables et
révolutionnaires, que je n'ai vu qu'un film, ceux qui m'aiment
prendront le train, je réalisais
donc que pour moi il était un homme de théâtre, et puis que,
finalement je n'avais vu aucun de ses derniers spectacles
depuis le Phèdre de l'Odéon,
au temps des expéditions jusqu'aux Ateliers Berthier, et que,
curieusement, puisqu'à part un Richard II c'était
uniquement par oui-dire, association d'idées, par delà mon
admiration pour les pièces de Koltès, pour la fausse
suivante de Nanterre, ce qui me
venait d'instinct à l'esprit c'est son appartenance à une
génération, c'est Mnouchkine, Jourdheuil, Jean-Pierre Vincent du
temps où les ai découverts dans le off d'Avignon, au début de ma
«vie de spectatrice».
Et
j'ai passé tout le début de nuit à chercher dans la pagaille de
mes livres la correspondance de Koltès et un livre de Jean-Pierre
Vincent, que je n'ai trouvé qu'à l'heure du petit déjeuner, allant
à grands pas mal inspirés, ou en me traînant sur les fesses suivant les niveaux, d'un
rayonnage à un panier, à une bibliothèque...
Tant
pis si c'est redondant (les hommages, très sincères ou un peu
moins, se bousculaient tant, en fin de matinée, pendant que je
vidais mon couffin, que j'avais l'impression que chacun posait une
pierre de plus, le refoulait davantage dans l'histoire, finissait par
lasser, de cet ailleurs important où ils le renvoyaient le nom
de Vitez émergeait en écho à tous les il a été le
premier, et le souvenir de ce
dernier venait se
poser à ses côtés, en pair, par delà leurs différences, au moins
pour leur importance dans l'éclosion de générations d'acteurs) je
vais, nostalgie de petite vieille pour un temps juste un peu trop
ancien pour que je l'ai vécu de même façon (je travaillais depuis 1961), reprendre des passages du désordre des vivants, l'entretien
entre Jean-Pierre Vincent et Dominique Darzacq publié par Les
Solitaires intempestifs
«photos de
photographies» en provenant (en
tête : Patrice Chéreau les pièces chinoises d'après Brecht à
Sartrouville 1967, photo de Nicolas Trealt – et ci-dessous, d'un
auteur inconnu, Hélène Vincent, François Dunoyer, Patrice Chéreau,
Jean-Pierre Engelbach, Catherine Froment, Yves Savel, Jérôme
Deschamps dans Fuente Ovejuna de Lope de Vega, Lycée Louis le Grand
en 1964)
«Chéreau
est plus jeune que moi d'un peu plus d'un an, donc il est arrivé au
groupe théâtral (de Louis le Grand) en 1959. Il a suivi le
même processus que moi : un jour il a dit trois mots, puis on l'a
gardé. Il jouait d'abord de tous petits rôles, et souvent les rôles
de vieux. Patrice est un homme qui, encore aujourd'hui, aime bien se
cacher, se modifier pour jouer. Question de pudeur..... Ensuite
seulement, il a osé faire la deuxième mise en scène, où il jouait
à découvert, beaucoup plus près de lui-même. Patrice était d'une
famille d'artistes, il avait donc une certaine avance sur la plupart
d'entre nous..... À quinze ans, il pouvait prendre le train et aller
au Berliner Ensemble pour voir des spectacles. Il avait déjà dans
ses cartons des projets de décors, des dessins de mise en scène,
des notes. L'aspect douloureux, solitaire de cette adolescence là ne
faisait qu'aiguiser sa vocation artistique. Donc il nous a entraînés,
par la nature des choses ; ceux qui voulaient s'accrocher
s'accrochaient et avançaient avec lui, en même temps que lui. Il se
trouve que je suis devenu son complice ; nous passions ensemble
dix-huit heures sur vingt-quatre, à travailler, parler, imaginer.
Nous
allions à la cinémathèque très régulièrement, nous préparions
les spectacles ensemble, c'était une sorte de tandem..... Nous avons
essayé à nous deux d'imaginer un travail d'acteur, un jeu d'acteur
comme on n'en pratiquait pas encore en France à ce moment là ; car
les acquis des grandes écoles européennes, à la fois de Brecht,
mais aussi de Meyerhold, n'étaient pas arrivés dans le théâtre
français, qui gardait sa propre tradition, via Copeau, entre autres.
Nous recherchions un jeu critique, gymnastique et humoristique ; on
travaillait avec acharnement là-dessus, on élaborait un style,
véritablement.»
(ci-dessus
photo de Nicolas Trealt, Patrice Chéreau et Jean-Pierre Vincent,
1965, l'Affaire de la rue de Lourcine de Labiche)
«L'université,
pour ma génération, a été le vivier du théâtre... Cela est lié
à un certain nombre de facteurs historiques. L'université était le
lieu d'une vie extrêmement vibrante au niveau politique. Il s'y
produisait une agitation des esprits, une volonté de révolution,
bien avant Mai 1968 : guerre d'Algérie, guerre du Vietnam.... Nous
partions du socle d'une culture savante, qui s'opposait d'ailleurs
violemment à la culture mandarinale traditionnelle de l'université
française. Et puis il y avait un troisième facteur de rassemblement
des énergies, le festival du théâtre universitaire de Nancy..
Toute cette génération de programmateurs, de metteurs en scène et
d'acteurs, est sortie et de l'université, du bouillonnement
politique et révolutionnaire de l'université, et de sa jonction
avec le théâtre de Nancy.
…..
(l'Affaire
de la rue de Lourcine d'après Labiche, 1965).. Ce qui nous
préoccupait beaucoup à ce moment là, c'était déjà la question
du fascisme, ou, disons, de l'esprit de droit extrême, du
raz-de-marée d'imbécillité réactionnaire qui pouvait s'emparer
d'une société... On n'avait pas encore vraiment l'intuition de tout
ce qui allait se produire après, avec Le Pen, mais on vivait déjà
le gaullisme triomphant. Nous étions nés pendant la guerre et Vichy.
C'était un souvenir flou, il y avait un compte à régler avec cette
société. Nous trouvions chez Labiche, en version absurde, tous les
fantasmes de destruction et d'autodestruction du petit-bourgeois
frustré....»
Que notre génération
soit pardonnée de n'avoir que partiellement, et pour un temps, réglé
ce compte.. et que je soit pardonnée de ce long pillage.
7 commentaires:
"Notre génération" s'est battue et n'a pas à en avoir honte.
C'est maintenant, comme à Brignolles (en attendant les municipales qui se profilent mal) qu'il faut continuer la lutte ou motiver les plus jeunes !
Merci pour cet hommage à Patrice Chéreau : Libération a su retrouver, pour cette perte, son approche historique, où la culture soudain l'emporte sur le fait-divers ou l'anathème politique (de préférence contre la gauche) basé sur un jeu de mots.
C'est quand il s'en va que l'on redécouvre ce qui était habituel pour nous... d'un ami d'une amie
La perte est d'autant plus frustrante
oui mais je n'oserais certainement pas me considérer comme une amie, et n'en aurais d'ailleurs pas vraiment envie
Merci.
Souvenirs de ce temps vivant. Merci
Il sera toujours temps de voir ou revoir les œuvres de Chéreau.
Un hommage presque surréaliste avec les poissons.
Toute vie n'est-elle pas surréaliste et dépend de ce que nous ferons de celle-ci après la disparition de l'homme.
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