Ma chère Brigitte,
C’est
un honneur d’’être en Vase’ avec vous, la doyenne de ce monde
vasesco où moi, suis un corps étranger, qu’est-ce qu’un
hollandais y cherche ? C’est simple. J’ai un ‘tic’ français.
Je vous explique.
Je
suis d’une génération qui a eu sa première leçon de votre
langue dès l’âge de neuf ans, en école primaire. On a débuté
avec des phrases sans exception essentielles pour commencer après la
guerre une nouvelle vie en France, gravées dans ma tête et celles
de mes contemporains jusque suive la mort : “Papa fume un pipe”,
“Le rat est dans le canal” , “La souris est au-dessous de la
table” et “Le singe est sur la branche”. Nous ne savions pas
encore le mot ‘carcasse’, c’était pour les avancés.
Quand
j’étais petit il y avait beaucoup de mots et expressions
françaises dans notre langue depuis maints siècles. Encore
aujourd’hui il y en a, les survivants des assauts de l’anglais ,
comme : portemonnaie (pas surprenant), parapluie (vieillot en
France?), abattoir, affaire, ambassadeur, ambiance, aubade, ‘à
bout portant’, ‘avant la lettre’, badiner, barricade,
belvédère, bonbon, boudoir, boutade, bureau, chantage, charme,
conciërge, crèche, ‘c’est le ton qui fait la musique’, et ce
ne sont que quelques mots et expressions entre ‘a ‘ et ‘c ‘
d’une longue liste , des mots encore utilisés par tous, inclus
ceux qui ne parlent pas le français.
À
dix ans, les enfants de mon âge devaient mémoriser, sans faute, les
mots français que, selon la tradition, Guillaume (souverain de la
principauté) d'Orange dans la Vaucluse, avait bafouillés en
mourant, frappé à Delft par le pistolet d’un assassin français :
‘Mon dieu ayez pitié de moi et de Ton pauvre peuple”. À
Bruxelles, encore jeune homme, il était aux côtés de Charles Quint
(né en Gand, Flandres, il parlait le flamand comme un Brel), il
était le fils de Philippe le Beau, le dernier Duc de Bourgogne
régnant sur les Comtés de Flandres et des Pays Bas et le Duché de
Brabant (les pays de par deça) et les pays de Franche-Comté, le
Charolais et Bourgogne au sud (les pays de par delà). Entre 1384 et
1506, nos pays étaient - on dirait aujourd’hui - : français. À
la cour bruxelloise de Charles Quint et son fils Philippe II on
parlait le Français.
Dans
mon pays, jusqu’à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, le
français restait la langue étrangère préférée des nobles,
patriciens, scientifiques et de tout chacun ayant suivi au moins le
lycée de nos pays. On ne parlait guère l’Anglais. Entre 1652 et
1784 , il y avait eu quatre guerres navales entre la République des
Sept Provinces Unis (les Pays Bas était une république de 1588 –
1795) et l’Angleterre. À l’Extrême-Orient, ils étaient nos
concurrents. Deux guerres entre les Anglais et ‘nos cousins’ en
Afrique du sud, les Boers, avaient causé une haine des Anglais, mes
parents et grand-parents parlaient du perfide Albion. Aujourd’hui,
tous les Hollandais parlent l’Anglais couramment. Hélas, notre
langue est devenue même fort contaminée par l’Anglais. Pas encore
juste après la Guerre. Au lycée (en Hollande une combinaison de
votre collège et lycée, six ans en total) on commençait avec le
français dès le début mais avec l’anglais en deuxième classe.
Brigitte,
c’est dans cet environnement culturel changeant après la guerre,
que j’étais adolescent. Le Français restait toujours ma langue
préférée même si pour mon travail je devais parler courammant
l’anglais et l’allemand, les deux autres langues aussi
obligatoires dans nos lycées de cette époque … à côté du latin
et du grec... (nous sommes un minuscule pays, il faut parler les
langues, car qui, dans ce monde moderne, parle le hollandais ??)
Pourtant,
mon vrai ‘tic’ français viens de la chanson française, des
années 1950-1960. Malgré l’énorme vague de musique américaine
qui nous engloutissait, la chanson française est restée très
populaire dans mon pays pendant quelque vingt années après-guerre,
jusqu'à ce que les Beatles et Stones l’oblitérent aussi
effectivement que le jazz. J’ai “bu” les chansons d’Edith
Piaf et Juliette Gréco, d’Yves Montand , Gilbert Bécaud, Jacques
Brel, Charles Aznavour. Je les ai écoutées par la radio et, juste
avant de partir vers la Colombie en 1963, vues sur la TV en noir et
blanc encore. Je me souviens toute une soirée avec Gilbert Bécaud
(1962 ?) dans un petit studio TV près d’Amsterdam devant un petit
public euphorique qui chantait avec lui. Il a pensé qu’il était
chez soi. Donc, en arrivant en Colombie, une des premières choses
que je fis avec mon salaire tropique était d’acheter beaucoup de
LP de tous mes héros . Il était défendu de les importer en ce
pays, donc ils étaient pressés à Bogotá. J’ai ces disques
encore, ‘tournés gris’, grijsgedraaid comme on dit ici, et je
les ai remplacés tous sur CD. Je les tourne encore, ils sont
éternels.
De
Colombie j’étais transféré à Brunei, au bord la mer chinoise
du sud-ouest et c’est là que je tombais dans un cercle d’amis
français pour la première fois de ma vie. Et comment… ils me
firent écouter la génération de chanteurs suivant mes premiers
héros. Serge Reggiani surtout (“Et puis’ entre autres), Yves
Montand (tout son récital au théâtre de l’Étoile de 1958, deux
LP, tournés gris), et pendant les parties: Jacques Dutronc
(‘J’aime les filles’, gris), Joe Dassin (‘Tout bébé a
besoin d’une maman … gris), Nino Ferrer (Z’avez pas vu Mirza,
lalalalalala … gris ) et , naturellement, le grand Bécaud encore
pour les slow (‘Je reviens te chercher’, ‘C’est la rose,
l’important’, très gris). J’ai pu pratiquer le français parlé
chez ces amis français, pas un sacrifice pour eux car ils n’étaient
pas trop doués de volonté d’apprendre l’Anglais qu’ils
parlaient avec des accents les plus amusants. Un d’eux, friand de
raconter des plaisanteries risquées, ajoutais souvent, avec un
accent hilarant : ‘A dirty mind is a joy forever’ ce que je ne
peux plus dire en Anglais sans son accent français.
Donc,
c’est par l’amitié de français et la musique francaise que le
‘tic’ m'a frappé. C’est un ‘tic’-à-vie. Ma vie sera
prolongée par l’immense plaisir avec lequel vous et nos amis des
blogs et des Vases m’entourent. Nous sommes une grande famille et
vous en êtes la mater familias, vous êtes notre mère poule qui
veille sur nous vos poussins.
Car
qu’est-ce que serait le destin du vasesco sans vous?
Je
termine avec un témoignage d’amour pour votre pays et votre
langue. Trois de mes chansons favorites, chantées dans l’ambiance
de ma première connaissance d’elles :
Yves
Montand chante et danse ‘Les roses de Picardie’,
Gilbert
Bécaud chante ‘Quand il est mort le poète’ dans une version
plutôt récente (1988) parce que je la trouve la plus belle entre
toutes par son âge et la participation émotionnée du public. ‘Dans
un grand champs, des bleuets’, korenbloemen en Hollandais, ‘fleurs
de blé’. Jacques Brel, qui chante 'Ne me quitte pas’,
l’enregistrement que j’ai entendu la première fois à Bornéo,
chez mes amis Karin et Jacques Guéneau. C’est resté pour moi une
des chansons françaises les plus émouvantes .
Je
vous salue de la vieille Haye des Ducs de Bourgogne,
votre
ami des pays de par deça,
Jan
Doets
Une
lettre reçue de Jan Doets, à l'occasion des vases communicants, et
à laquelle, après l'avoir lue avec confusion, j'ai tenté de
répondre, étalant mon ignorance, sur le blog qu'il a initié et
qu'il gère http://lescosaquesdesfrontieres.com
Tiers
Livre et Scriptopolis sont à l’initiative d’un projet de vases
communicants : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog
d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les
échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des
liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.
Si
vous êtes tentés par l’aventure, faites le savoir sur le groupe
dédié sur Facebook, sur le blog
http://rendezvousdesvases.blogspot.fr
, ou sur twitter..
Et
les lectures de ce mois sont à poursuivre à partir de
http://rendezvousdesvases.blogspot.fr
6 commentaires:
Merci beaucoup Brigitte, quel plaisir, bonjour - Jan
BEAU , Merci pour ce direct
j'adore "les phrases sans exception essentielles" et je me permets d'en ajouter une de mon cru: ", le chien d'eau a un tic", je répète, "le chien d'eau a un tic"... Quel plaisir cet échange entre vous deux!
grand merci Christine - Jan a toujours des formules savoureuses (malicieuses aussi)
formules idées échanges..tout cela est du grand art! bravo et grand plaisir!
anna j
Le poète ne quitte pas la Rose de Picardie
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