Sur
le fleuve tumultueux de la vie, soufflent les courants des envies.
Des vulgaires aux irrationnelles, des prosaïques aux vaporeuses, des
éphémères aux immortelles, des confinées aux affranchies, c’est
un torrent d’envies bigarrées qui coule dans nos veines.
D’une
vie aux vies enviant une vie d’envies en vie, en vie.
Parce
que ce matin-là, on se sera senti en vie. Parce que cette aube-là
se sera apparentée aux prémices de toutes les envies. Sans qu’on
sache pourquoi. Sans qu’on sache comment. D’ailleurs, à ce dit
instant, on n’a pas vraiment envie de se livrer à quelque analyse
vaine. Comme si le simple fait de se sentir en vie évinçait tout ce
superflu ordinaire indigeste. Et, brutalement, c’est une vague
d’envies enivrées qui submerge un quotidien imprégné.
Les
cinq sens en éveil. On a envie de respirer toute l’atmosphère,
d’inhaler entière l’impalpable bise, à s’en déchirer les
vaisseaux, à en étouffer subrepticement tout discernement. On a
envie de s’imprégner de toutes les peintures, de percevoir la
moindre éclaboussure des gouttelettes de couleur, à s’en griller
les rétines, à en abîmer les tableaux de les contempler, à se
perdre contre un vent d’aveuglements. On a envie de percevoir
toutes les mélodies, de distinguer le moindre mot égaré, à s’en
écorcher les tympans, à en offenser les silences dorés, à
s’oublier impunément dans un brouhaha désordonné. On a envie de
déguster chaque saveur, de se délecter de tous les plaisirs sucrés,
à s’en écorcher les papilles, à en rendre fades les bouquets les
plus épicés, à exhiber à cette appétence les meilleures
gourmandises. On a envie de sentir intensément la moindre caresse
satinée, de frissonner sous le simple frôlement, à s’en déchirer
les tissus, à réveiller effrontément la sensation engourdie, à se
laisser bercer par ce souffle de volupté. On a envie de démesure.
De voir l’imperceptible. D’entendre l’indicible. De dire
l’inexprimable.
D’une
vie d’envies inassouvies déviant dans un vent vivifiant.
On
a envie de chocolat. De caramels mous et de fraises Tagada. On a
envie de boîtes à musique. De mélodies étourdissantes et
symphoniques. On a envie d’amour. D’un cœur qui bat au rythme
des tambours. On a envie de fantastique. D’ivresse électrique qui
vacille sous l’acoustique. On a envie d’un tout. D’un absolu
universel contre lequel virevolte une farandole d’envies emmêlées.
Entre la certitude et l’incertain. Entre le prélude et le refrain.
Entre la latitude et le vain. Entre réalité et chimères
clairsemées.
On
a envie d’imprévus. D’entrevues étonnantes et accidentelles. On
a envie de marcher dans la rue et de voir courir ces jambes qui
d’ordinaire chancellent. On en a marre du déjà vu. De ce
quotidien embrumé digéré. On a envie de courir comme des dératés
et de chuter contre un songe éloigné. On a envie de rencontres
impromptues. Au détour d’une ruelle ou dans un ascenseur. Dans un
parc serein ou au comptoir d’un bar. On a envie. De samedis soirs
sur la Terre. De regards enchevêtrés. Un deux trois ou des
milliers. On a envie. De peaux frôlées. De troubles émancipés. De
mots mélangés. On a envie. De pas de danses entremêlés. De corps
fusionnés. De cœurs déchaînés. On a envie. D’émotions
troublées. D’émotions émancipées. D’émotions à l’excès.
On a envie. On a envie d’une autre vie mêlée à la nôtre.
D’ailleurs, on a déjà envie de l’autre. On a envie de faire
l’amour. N’importe où, tout de suite. Vite, on a envie. De
chanceler sous ses caresses délicieuses. On a envie. De chavirer
sous son parfum délectable. On a envie. De vibrer sous ses mots
doucereux. On a envie. De se donner, entier. On a envie. A n’en
plus sentir son corps se perdre sous de doux soubresauts. A perdre
tout discernement derrière l’exquis chaos.
D’une
vie d’envies viscérales qui dévie contre un râle avili.
Parce
que cette soirée-là, on se sera senti un peu moins en vie. Parce
que ce soir-là se sera apparenté au caveau de toutes ces envies
trépassées. Sans qu’on sache pourquoi. Sans qu’on sache
comment. D’ailleurs, à ce dit instant, on a un peu envie de
s’égarer dans quelque analyse vaine. A se heurter aveuglément
contre le mur du dégoût, à glisser sur la plaque des désenvies.
Comme si cette non envie soudaine terrassait insolemment cet instant
d’avant déjà négligé. Et, brutalement, c’est un coup de
tonnerre sclérosant qui ensevelit la moindre envie.
Et
on s’engendre soudain despotes de nos vies. A se faire maîtres de
nos envies. Mécaniquement, on fait le tri. A dissocier l’essentiel
du superflu. A éloigner l’édulcoré du cru. A raccommoder
l’entendement au perçu. A vrai dire, on n’a plus envie de
grand-chose. On ne s’imagine même plus en vie. A errer dans un
temps dissolu. A s’oublier derrière un instant perdu. A égarer
l’ingénu. A en perdre la vie. On n’a plus d’envies. Plus envie
de rien, perdu dans un néant nébuleux. Pourtant, on aurait envie
d’envies. On en aurait plus qu’envie, on en aurait besoin. Quand
le besoin se substitue soudain à l’envie et se fait souverain. On
a besoin d’une cigarette, on l’allume et on tire une taffe, à se
perdre dans cette brume acerbe. On a besoin d’alcool, n’importe
lequel. On a besoin de ce degré qui coule dans nos veines, qui nous
monte à la tête. On se sert un verre. De whisky, de vodka, de rhum,
d’absinthe, ou de n’importe quoi. On se sert un verre et on boit.
On se sert un verre, puis deux trois et on ne compte même plus. On
oublie de compter et on boit un peu. On ne compte plus depuis
longtemps et on boit beaucoup trop. On n’a plus envie que de se
perdre dans ces degrés alcoolisés. On a besoin, plus que jamais,
d’un absolu grisant, mais on n’en a plus envie. Et puis, plus
aucune envie, à en crever d’ennui, mais grisés.
D’une
survie vinifiée que l’on nie, presque plus en vie, à envier cette
vie d’envies.
On
n’a même plus envie de nutella. D’un écœurement incontrôlé
face à ce brouhaha désordonné. Pas la moindre envie de sucres
d’orge, de moelleux ou de tartes Tatin. On estompe machinalement le
moindre dessein. Et le doux nectar qui nous enivre nous oublie
finalement sur le bas-côté. On est conscient, ou peut-être pas,
mais on a déjà perdu l’équilibre. A s’éloigner
clandestinement du sentier des innombrables envies. La non envie
s’apparenterait-elle alors à une grossière envie exhibée lorsque
ne subsiste que la seule envie amplifiée, celle d’en crever ?
En crever, mais enivrés !
On
n’a plus envie mais besoin. On a besoin mais plus l’envie. Et,
juste à côté, il y a cette âme. Ce corps dont, juste avant, on
avait envie. Cette main dont, juste maintenant, on a besoin. Cet être
lointain, cet autre incertain, ce concept distinct, ce Dieu
souverain. Et, face à lui, toutes ces pensées diluviennes se font
vaines. Alors, on s’agrippe à sa main. A en écorcher ce temps
obscur. A en érafler sa peau doucereuse. A tracer les sillons du
chemin du néant aux envies rachetées. Et, à nouveau, on a envie.
De cheminer le long de la route des envies endormies. On a envie de
crier pour réveiller ces assoupies. On a envie de sourire pour les
sortir de cet état d’atrophie. On a envie de rire pour leur rendre
leur éclat terni. On a besoin de les sentir en vie. On a besoin de
se sentir en vie. On en a envie. On est en vie.
Texte
de Myriam OH, qui a bien voulu proposer un échange à Paumée et qui
a suggéré le mot «envie» (parce que j'hésitais à annuler ma
participation, par manque de confiance et lassitude, et malgré
l'envie justement de l'avoir comme partenaire ?)
Et,
face à ce beau texte, cette réflexion, Brigetoun a proposé des
lignes intitulées platement «envie», qui devraient être publiées sur
http://blogmaestitia.xawaxx.org
Tiers
Livre et Scriptopolis sont à l’initiative d’un projet de vases
communicants : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog
d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les
échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des
liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.
Si
vous êtes tentés par l’aventure, faites le savoir sur le groupe
dédié sur Facebook, sur le blog
http://rendezvousdesvases.blogspot.fr
, ou sur twitter..
Et
les lectures de ce mois sont à poursuivre à partir de
http://rendezvousdesvases.blogspot.fr
2 commentaires:
Les envies dans les doigts (ou les mains d'Orlac)...
Merci de m'accueillir, Brigitte, et merci pour vos mots en vie !
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