Après Rome et l'Espagne,
après des ambassades et de longs efforts, quand il dut reconnaître
qu'il n'y avait plus aucune chance que le roi Jacques retrouve
le trône d'Angleterre, et après lui avoir fait ses adieux, le duc
d'Ormond s'en revint à Avignon, pour y finir sa vie.
Et voici ce que j'ai
retenu de la confrontation entre Thomas Carle, qui s'est inventé
scribe du duc et a rédigé sous son nom des mémoires, et Joseph
Girard et son Evocation du vieil
Avignon.
Or
donc, le duc revint, annoncé, accueilli et fêté par la noblesse de
la ville qui avait gardé bon souvenir de sa courtoise urbanité –
pour lui, il se promettait de passer agréablement son temps, de
profiter de ses anciennes familiarités et des agréments de la ville
et comptait un peu, il s'en était souvenu sur la route, renouer avec
les plaisirs er la personne de la marquise de V..., l'âge n'ayant pas
fait périr son goût pour l'amour, même s'il l'avait un peu
émoussé.
Cette
attente fut déçue, la marquise ayant renoncé aux plaisirs de la
société et s'étant retirée à la campagne... ce dont, à la
réflexion, le duc se consola en pensant que l'âge ne pouvait
qu'avoir fortement diminué les charmes de son ancienne amante,
persuadé qu'en ce qui le concernait, il n'en était pas ainsi, et
qu'il était encore trop galant pour se soucier d'une beauté
surannée. Et dans cette certitude d'être toujours vert, aimable, et
vigoureux, il fut conforté par la rivalité qui se fit entre les
dames pour sa préférence.
Comme
lors de son précédent séjour, il logea chez Monsieur de Villeneuve
(je n'ai pu déterminer s'il était de la très ancienne famille qui
a donné les branches de Bargemon, d'Esclapon – petit salut en
passant à une petite grande dame qui a été mon rêve de modèle
inaccessible en ma prime adolescence – de Vence, etc..., ou s'il
était des Villeneuve de Forcalqueret et d'Ansouis) dont le très
grand hôtel a disparu, transpercé, anéanti, lors de la création
de la rue du Vieux Sextier.
Il
y tenait chaque jour une table de douze couverts, surpassant tout ce
qui avait été fait jusqu'alors, par aucun des notables de la ville, et même par aucun des Vice-légats qui se succédèrent alors, les
Gonteriis, Elci, Gonteriis à nouveau, Bondelmonti, Crescenzi,
Lercari, ou leurs prédécesseurs, et, comme les dames lui faisaient
l'honneur d'apprécier sa société, son salon devint le centre de la
vie et des plaisirs, qui selon lui, ou son mémorialiste, sont la
principale occupation de la société d'Avignon, laquelle est toute aux
intrigues, à l'amour, sans que les maris y trouvent à redire, et se
soucient des risques d'être cornus.
Mais
parmi cette cour de dames, il n'avait gardé souvenir, ou n'a parlé, que de trois, deux intrigantes et l'élue, celle qui accompagna les
dernières années de sa vie, qu'il nomme Madame de Va, et qui était
Marie Balthazare de Donis, mariée à Paul de Seytres seigneur de
Vaucluse, une charmante brune d'une trentaine d'années, aux traits
peu réguliers mais à la taille bien prise, spirituelle, ce dont
elle était un peu trop consciente, non exempte d'une certaine
arrogance sous un air fort doux, pourtant tout benoitement bonne et
sensible dans le souvenir du duc.
Elle
se targuait de l'amour muet qu'elle avait ressenti pour lui en son
enfance, et, avec cette perverse innocence, qui m'a rappelé les
histoires de Restif de la Bretonne, elle prit coutume de l'appeler,
lorsqu'elle voulait l'amener à ses fins, «mon cher Papa».
Elle
le regardait d'un air tendre en lui rappelant ces souvenirs, et il
n'eut guère besoin de soupirs, de prières, d'efforts pour qu'elle
le rende heureux.
Elle
ne fit rien pour garder secrète leur entente, et il fut flatté de
constater que, malgré son âge, cette
préférence affichée déclenchait la jalousie et les médisances des
autres dames contre l'élue. Il fut sensible au désagrément qui en
résultait pour elle, mais n'était, en son fors intérieur, guère
fâché de ce flatteur éclat, d'autant que cela portait sur elle
plus que sur lui. Et, pour son mémorialiste, il s'avoua fier d'avoir
encore l'air aussi vaillant, et plus encore de ce que cet air avait
de vrai, puisque, selon Madame de Vaucluse, jamais son mari ne
l'avait si bien contentée… qu'en aurait été-t-il au temps de sa
fière maturité ?
Monsieur de Vaucluse, pour
sa part, préférait vivre dans sa maison de campagne, ne se souciait
guère de sa femme, sauf pour lui souhaiter tout le bonheur possible,
et s'entendit assez avec le couple pour le recevoir parfois chez
lui.
études de têtes - Watteau
En ces débuts, quand
l'entente entre cette jeune femme et le duc était connue, mais sans
avoir encore l'apparence de devoir être une évidence quasi
conjugale, parmi les dames qui se tenaient sur les rangs, prêtes à
détrôner Madame de Vaucluse, se signalait, par ses agaceries, ses
coquetteries, son esprit piquant, la petite Madame de Pr. qui, à
vrai dire, ne présentait pas un bien grand danger, n'ayant d'autre
qualité que cet esprit, mais sans grand fond, et cette coquetterie,
mais qui jurait avec sa physionomie et sa taille. Elle renonça
d'ailleurs assez vite devant l'inutilité de ses efforts, et fit
profiter de ses faveurs un jeune et neuf seigneur.
Plus redoutable était la
marquise de J. (je me suis refusée à tenter de l'identifier), une
jeune veuve d'environ 25 ans, pourvue de très beaux yeux, d'un teint
merveilleux, célébrée comme belle entre les belles, et dont la
douceur, la conversation charmante, cachaient la plus fine
coquetterie du monde.
Madame
de Vaucluse crut deviner que le duc s'apercevait des discrètes
avances de cette rivale, et y était sensible. Elle profita d'un tête
à tête pour soupirer, prendre un air abattu, et, en réponse aux
interrogations de son cher Papa, se plaindre des intrigues de toutes
les coquettes de la ville, et de la plus notoirement glorieuse qui
était Madame de J, qui se surpassaient dans leurs tentatives pour le
persuader de l'intérêt ou de l'amour qu'elles lui portaient, et se
risquer à exprimer sa crainte qu'il la délaisse, elle qui, seule,
lui avait sincèrement donné tout pouvoir sur son coeur. Le Duc la
tranquillisa, lui promettant une fidélité éternelle, qu'il lui
tint d'ailleurs, aidé en cela par son âge et l'amour des barbons
pour la tranquillité.
- Si cela est vrai, mon ami, il faut, pour que vous soyez en paix, que vous le fassiez paraître à toutes mes rivales en me rendant la maîtresse de votre intérieur. Vous y trouverez votre compte en étant déchargé de tous les soucis futiles, et j'ai la chance de me sentir assurée dans mon offre par la considération de la fortune dont je dispose, qui doit vous empêcher de me soupçonner d'un intérêt autre que celui de votre quiétude.
- Mais, mon amie, que dirait-on ? Puis-je vous laisser ainsi me sacrifier votre réputation ?
- Je vous aime trop pour m'arrêter à ces dehors, à ce qui n'est que sottes et vaines considérations.
Il céda donc, jugeant que
cette concession était de trop peu d'importance pour risquer, en
refusant, de mettre en péril leur entente. Et ce qu'il en advint...
ma foi ce sera pour plus tard, j'ai conscience, soudain, de ma trop
grande prolixité.
Dans l'Avignon de nos
jours, le printemps claironne son arrivée prochaine, le ciel était
d'un bleu incandescent, le travail des jardiniers éclate en force
et les terrasses sont de
sortie, les colonnes de siège se défont, les tables se préparaient en fin de
matinée, et les gens se pressaient sur celles que touchait le
soleil. Brigetoun était paresseuse, l'envie d'agir et de voir
frémissait, mais pas encore assez pour qu'elle réalise les projets
de spectacles ou réunions (ne suis décidément plus militante et ne
tiendrai finalement pas un bureau de vote, la relève est suffisante)
qu'elle avait fait.
S'est contentée d'un marché, de gourmandise, du
plaisir de la lecture, des petites fleurs écloses dans la cour, et
de la compagnie du duc et de Madame de Vaucluse.
7 commentaires:
Votre récolte était appétissante...
que soit louée votre haute fidélité !
Un marché de gourmandise!!! mais que demander de mieux en si belle compagnie
Paumée est en chute libre accélérée, et visiblement le Duc accélère la chose
mais m'en MOQUE vais essayer (pas si facile) de continuer un peu (un ou deux billets) avec lui et ensuite... plus envie d'écrire ou lire en ce moment
Si j'ai tout bien compris, les Vaucluse sortaient toujours...couverts.
La sagesse même !
;-)
..toujours une place pour le poisson
Elle me plait bien, à moi, cette histoire de Madame de Vaucluse...
Heureuse comme toi de voir sortir le soleil, les tables dehors et les fleurs.
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