Jour de beau ciel, jour de
petite colère carcasse (résultat d'une prise de rendez-vpus avec
petit toubib, suis pas nerveuse),
Jour de vagues projets de
repassage, de lavage des faïences éparses et de frottement distrait
de meubles, de paresse dans la cour puisque le soleil l'effleure sans
que la chaleur s'y écrase.
Je reprends ma tentative
d'histoire.
La maison du notaire, son
jardin et son court de tennis, surtout l'été quand ses fils étaient
en vacance, étaient terre ouverte et s'y retrouvait, accueillie par
la souriante, blonde, tendrement et joliment grasse Madame Blondel,
la jeunesse du coin, dont bien entendu les deux frères Labourier, le
jeune marié et son frère Julien, ainsi que Jeanne de Forlier.
Martin Blondel avait,
comme son père et son grand-père, des relations presque amicales
avec les deux familles, qui étaient d'ailleurs toutes les deux
clientes de son étude ; il appréciait la rondeur affichée et la
réelle ouverture d'esprit de Vivien Labourier ; sa fidélité
héréditaire l'attachait à la famille de Forlier ; il avait surtout
une grande tendresse pour Jeanne, sa filleule qui avait pris
l'habitude depuis son adolescence, de venir confier, un peu à lui,
et surtout à sa femme, quand celle-ci ne les avait déjà devinés,
tous ses petits soucis, toutes ses joies et ses projets, la Marceline
qui s'occupait d'elle, sans pouvoir remplacer sa mère, n'ayant
jamais réussi à gagner sa confiance et encore moins son amitié.
Et c'est ainsi qu'un soir
de septembre, où il savourait, journal oublié sur ses genoux, assis
dans un fauteuil d'osier sur la terrasse devant la maison, la paix du
soir qui descendait sur le jardin, sa femme qui, près de lui,
accoudée à la balustrade, regardait l'obscurité s'installer,
gommer les arbres les plus lointains, ne laisser des allées qu'un
peu de gravier brouillé dans les flaques de lumière des fenêtres,
se retourna et lui dit qu'elle devait lui parler de Jeanne, lui
révéla, enfin, que celle-ci lui avait avoué que si, bien sûr,
elle était navrée que Mademoiselle X l'ait vue, à la lisière du
petit bois de Cufas, assise avec Guillaume, près de leurs vélos à
terre, oui, ils se promenaient souvent ensemble, et qu'il était
merveilleux, qu'elle était si heureuse, qu'elle était si
malheureuse, parce que leurs parents..
Martin sonda Vivien
Labourier, et comme ce dernier était las de cette querelle sourde,
voulait faire plaisir à Marie, sa bru, amie de pension de Jeanne
qu'il trouvait charmante, disait-il, et sans doute parce que l'idée
de voir son fils établi plus tard à Mortison ne lui déplaisait
guère, il accepta de retirer son offre sur le bien disputé, à
condition que Véran de Forlier soit informé de son geste, approuva
aveuglément tout ce que ferait le notaire et l'en remercia.
Le jour de la signature,
Martin ne manqua pas de souligner, sans trop insister, ce
renoncement, laissant Véran y voir ce qu'il voulait, et, en le
raccompagnant, le pria de venir déjeuner chez lui le jeudi suivant,
ajoutant, avec franchise, que les Labourier seraient là et qu'il
voulait les réconcilier.
Véran maugréa, chercha
des raisons de refus, accepta finalement, pour le satisfaire, mais
précisa qu'il ne saurait être question de rien de plus qu'une
courtoisie distante.
Seulement le jeudi matin,
par une conversation surprise entre Marceline et le jardinier, il
apprit qu'on avait rencontré Jeanne avec Julien Labourier. Il cria,
fit venir sa fille, la sermonna... elle, redressée sous ses
reproches, presque sous ses insultes, elle lui tint tête, se
surprenant elle-même, puisant dans ce courage qu'elle se découvrait
une exaltation qui lui permit de répondre mot pour mot aux
reproches, puis aux injures, de son père, de résister à l'effroi
qui lui venait en le voyant transformé, rubicond, éructant.
Enfin bref, vraisemblable
ou non l'histoire est ainsi, Véran de Forlier eut telle fureur qu'il
en tomba mort.
Et voilà que j'ai été
si longue, que je vais mener à la cravache la fin de l'histoire...
(quoique si Paumée continue ainsi, point trop nombreux seront les
ennuyés).
Monsieur et Madame
Labourier attendaient donc, un peu avant midi, chez les Blondel,
conversaient aimablement, posant un sourire sur leur inquiétude à
l'idée de l'humeur imprévisible, de plus en plus rogue, jusqu'à la
violence parfois, de Véran de Forlier, lorsque le jardinier de
Mortison, fit irruption, se tint un moment immobile, haletant,
cherchant à reprendre son souffle... leur annonça la mort brutale
de son maître.
Les deux femmes
s'écrièrent, s'agitèrent un court moment, et puis Madame Labourier
accompagnée de Martin Blondel, partit précipitamment à Monbrison
pour soutenir Jeanne, la persuader de les suivre, la ramener, pendant
que la maîtresse de maison lui faisait préparer une chambre, à
l'étage, près de la sienne.
Elle entend un grand
bruit, redescend affolée avec sa bonne – elles trouvent Vivien
assis dans le salon, yeux écarquillés fixant la porte ouverte,
hébété...
Elles le secouent,
l'interrogent, il revient lentement à lui et raconte, comme absent,
raconte la porte poussée par une grande lumière, la voix, dans
cette lumière, qui lui jette tous les reproches passés, la
silhouette qui se dessine au coeur de la lumière, celle de Véran,
et son hurlement : «jamais ton sang ne souillera le notre.»
Il raconte son effroi, et
puis ce geste instinctif, son bras qui se tend vers ce qui est là,
la silhouette qui devient colonne de feu, vacillante, soufflée par
le vent qui à se moment ouvre violemment une fenêtre....
Et sur le parquet
marqueté, n'y a plus qu'une masse de cendre.
Voilà... ça m'apprendra
à rêver un devant The Commonplace Book : le
carnet d’invention de Lovecraft (sur
l'espace abonnement du tiers.livre de François Bon
http://thelovecraftmonument.com/spip.php?article33)
et ces courtes notations évocatrices parce que, avec la concision et le talent de Lovecraft, l'essentiel était mieux dit par le n°8 :
Récit d’horreur : un homme a rendez-vous avec un vieil ennemi.
Meurt – le corps va au rendez-vous.
Sur
ce, j'ai arrosé mes pauvres vieilles plantes.
P.S. un conseil, si vous
avez du temps, si vous vous intéressez à la Provence, la haute, et
plus généralement à ce qu'on fait du territoire, et si vous aimez
les noms de lieux et l'histoire tracée à grands traits importants,
lisez, sur Remue.net, de Benoît Vincent «lieux communs, 1 :
Mévouillon» http://remue.net/spip.php?article6638
8 commentaires:
Je l'aime votre "histoire"!
merci !
J'ai, sur mon balcon, le même arrosoir (il doit remonter à Lovecraft).
Il me semble voir une herbe bien envahissante sur la gauche de la dernière photo...
Je n'ai de cesse de l'arracher dans mon jardin...
Dominique - peut être en effet .. était il bon jardinier ?
Michel moi suis paresseuse, je la garde, et elle meuble les pots vides
Une histoire rondement menée.
Difficile d'être heureux.
çà frise le roman noir sous un ciel bleu
Tout est flammes et cendres
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