Il y a soixante dix ans,
j'avais deux ans, me suis dit cela dans la cour au petit matin, et
dit ainsi cela me plaisait
et puis devant les
réclames ciblées qui se succédaient dans ma boite, au réalisé
une fois de plus que nous étions fichés, et ça me plaisait moins,
m'agaçait
et pour éviter d'attendre
des signes de vie, en un de mes jours de grande solitude (en suis
responsable), m'en suis allée aux Halles promenant une stupide
tristesse dans le soleil, la quiétude qui la berçait, et les rues
languides du dimanche matin
choix tranquille, tomates
vertes, courgettes, petits rougets de roche, avec peu de presse, et
trouver deux signes au retour, plus une petite colère à expurger...
ai repris mon équilibre mais avec une grande envie de retrait.
Déjeuner, chercher des
rayons de soleil à travers nues revenues dans la cour, siester,
regarder tas de repassage, en sortir juste une chemise blanche, parce
qu'envie.. et laisser couler vie, en marge, paresseusement,
délicieusement
avant de ranger la chemise
sans l'enfiler et de prendre une robe et un veston pour aller
m'asseoir à Calvet - surprise d'un ciel débarrassé des nuages que
j'avais vu sur ma cour - commencer ma fin de journée sous le signe
de la Grèce et sous la direction de Py,
avec une lecture, mise en
scène et adaptée par lui des Perses d'Eschyle
pour France Culture (en me demandant comment les choeurs pourront
être rendus par cette distribution de trois acteurs sans perdre leur
force, même si c'est devenu classique)
contrairement
à Kleist dans la nuit, Eschyle/Py faisaient recette et n'ai trouvé
qu'une marche sur le côté (bien époussetée pour la robe) puis un banc toujours sur le côté grâce à un départ.. et me
suis embarquée dans la douleur – remarquable interprétation des
trois comédiens, Mireille Herbstemeyer, Philippe Girard et Frédéric
Le Sacripan
et
j'ai eu le temps de repasser par l'antre pour arroser, prendre un
stylo, dénouer mon parapluie inutile, faire pipi, avant de repartir
à pied (pas de bus correct ce dimanche soir, ni d'ailleurs pour le
retour) vers le Lycée Paul Giera, pour assister à Vitrioli de
Yannis Mavritsakis, reprise, en grec surtitré, de la pièce montée
au Théâtre National de Grèce, en 2013, sous la direction d'Olivier
Py (qui en a aussi donné une version française, Vitriol, sur France
Culture le 10 juin 2012
http://www.franceculture.fr/emission-fictions-theatre-et-cie-chantiers-d-europe-v-i-t-r-i-o-l-de-yannis-mavritsakis-2012-06-10
), en grande attente, parce que Grèce, parce que tragédie, parce
que je ne sais plus qui m'en avait dit du bien.
avançais tout doux, tout
doux, entre un ciel ravissant à ma gauche, des nuages vaguement
menaçants à ma droite, et me demandais si dénouer le parapluie et le ranger avait été une si bonne idée
arrivée à Paul Giéra,
petite attente à l'extérieur
nouvelle attente à
l'intérieur avec assaut de fumigènes de belle force (ai failli
repartir, migraine déclenchée et nez plein de puante odeur)
découverte de nos vis à
vis à travers deux rideaux à bulles... et début d'inquiétude au
début quand on a assisté à une bataille, exorcisme semble-t-il
avec moult paroles criées, images floues et bien entendu aucun
panneau de traduction visible... et puis les rideaux ont été tirés,
on est entré dans ce qui était la pièce, et le texte français
s'affichait au dessus de nos vis-à-vis, nécessitant un moment
d'adaptation parce qu'ils parlent beaucoup et très vite (y compris
en faisant l'amour), que la traduction est exacte et donc prolixe et
qu'il est difficile de la suivre vraiment si on veut regarder
l'action.. mais on s'y fait
image Marilena Stafylidou
provenant du site du festival comme ce résumé
Vitrioli est une
histoire de famille sur fond de crise, de guerre intime. Elle parle
de la Grèce d'aujourd'hui, mais d'une façon indirecte ; elle parle
de l'humain mais sans concepts économiques ou politiques. Elle fait
le constat d'une catastrophe, celle d'un monde où plus rien n'est
possible, d'une génération sacrifiée, qui se meurt sans se
révolter. Elle présente un garçon conscient de ne rien pouvoir
faire, conscient de ne jamais pouvoir se soustraire aux désirs des
uns et des autres (potentielle petite-amie, mère, hermaphrodite,
pope, médecin, inconnu). Il accepte d'être l'objet des fantasmes,
des projections névrotiques, des peurs... Si l'auteur assume
l'héritage de la tragédie antique, sa pièce est plus noire que
celles des anciens. Le salut ne vient de nulle part, ni d'en haut, ni
du dedans, ni de l'art, ni de la parole.... Mavritsakis tend un
miroir à la situation de son pays et à l'inquiétude d'une jeunesse
totalement déspiritualisée. Ce miroir est présent dans le
dispositif bi-frontal de la scénographie, où les spectateurs, tel
un choeur, se voient dans les autres assister à la catastrophe, dans
un décor de boue et de lumière.
Et il
y a tout cela, en précisant que les fantasmes, projections
névrotiques etc... se traduisent de façon extrêmement physique, le
garçon étant contraint à une fellation, jeté sur un lit pour le
désir des autres, réfugié sous un lit pour son refus sans
rébellion, juché sur une chaise avec les mains liées accrochées à
un fil tombant du plafond...
Un
texte donc abondant et beau, des acteurs qui «se donnent» et avec
talent (mention spéciale pour la mère, Maria Kechagloglou je
suppose, qui est touchante et excellente), mais un risque tout de
même, dans lequel malgré tout mon désir d'être dans cette
tragédie sans issue, sans dieux à maudire : un effet comique
parfois qui m'a frappée à un moment, tuant tout tragique... cela
joint aux très belles listes de sévices, catastrophes etc.. qui
flattaient en moi le goût jubilatoire que j'en ai.
Suis
donc passée un peu à côté... et j'en suis fort marrie, sans
pouvoir préciser ma part de responsabilité.
retour
en marchant d'un bon pas, doublée par voitures de spectateurs, et
voitures de supporters klaxonnant, d'un bon pas parce que j'avais
raison de me méfier et que nous avons eu droit à cinq minutes
environ de pluie, très fine au demeurant, sur les quarante du trajet.
Et
maintenant faire cuire mes petits rougets de roche, en massant mes
reins douloureux, douter d'avoir le tonus d'aller au bar de l'avenue
de la Trillade la nuit prochaine, dîner, dormir...
8 commentaires:
Sans doute une pièce (l'auteur grec) un peu éprouvante... Mais votre entrain dépasse le moindre spectacle !
Tout mes vœux, à retardement, pour que cette année de changement de décennie vous soit belle, agréablement folle, et favorable. Merci pour vos billets !
merci encore, j'ai l'impression d'y être.
Te lis ...tt les jours
Dur spectacle il me semble
suis vers d'autres commémorations de "Grands Anciens"
Surmonter l'épreuve, le ciel aidant.
pas certaines de supporter "Vitrioli", nous avons opté avec mes amies pour "The fountainhead" de van Hove demain! merci pour ces généreux rendus-comptes
J'aime votre façon de dire votre âge, de photographier le sol en marchant, de lever les yeux au ciel pour nous, d'être mélancolique, d'aimer la vie malgré tout, d'être seule, entourée, j'aime votre façon d'écrire et daller vers le futur. Bon anniversaire, Brigitte. Amitiés.
Roger
merci grandement - me donnez le tonus de go
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