Pas envie de chercher
idées, et jour tout mien, en mon calfeutrement intérieur.. alors
comme j'étais, aspirateur rangé, le nez dans les Essais, à la
recherche de l'âge ou de la paternité (à transposer en maternité,
ce manque)
S'il
y a quelque loy vrayment naturelle, c'est à dire quelque instinct
qui se voye universellement et perpétuellement empreint aux bestes
et en nous (ce qui n'est pas sans controverse), je puis dire, à mon
avis, qu'après le soing que chasque animal a de sa conservation et
de fuir ce qui nuit, l'affection que l'engendrant porte à son
engeance tient le second lieu en ce rang. Et, parce que nature semble
nous l'avoir recommandée, regardant à estandre et faire aller avant
les pieces successives de cette sienne machine, ce n'est pas
merveille si, à reculons, des enfans aux peres, elle n'est pas si
grande.
………
Puisqu'il
a pleu à Dieu nous doüer de quelque capacité de discours, affin
que, comme les bestes, nous ne fussions pas servilement assujectis
aux lois communes, ains que nous nous appliquassions par jugement et
liberté volontaire, nous devons bien prester un peu à la simple
authorité de nature, mais non pas nous laisser tyranniquement
emporter à elle ; la seule raison doit avoir la conduite de nos
inclinations. J'ay, de ma part, le goust estrangement mousse (obtus)
à ces propensions qui sont produites en nous sans l'ordonnance et
entremise de notre jugement. Comme, sur ce subject dequoy je parle,
je ne puis recevoir cette passion dequoy on embrasse les enfans à
peine encore nez, n'ayant ny mouvement en l'ame, ny forme
reconnoissable au corps, par où ils se puissent rendre aimables.
(tout de même, Monsieur, Madame d'Estissac, puisque c'est
à elle que vous vous adressez,
et moi petiote, nous nous passerons de votre autorisation
pour embrasser les petites plantes de pied délicates et rondes qui
dansent sous nos yeux – bon, nous nous taisons, continuez,
Monsieur, continuez, nous sommes toutes attention). Et
ne les ay pas souffert volontiers nourris près de moy. Une vraye
affection et bien reglée devroit naistre et s'augmenter avec la
connoissance qu'ils nous donnent d'eux ; et lors, s'ils le valent, la
propension naturelle marchant quant et la raison, les chérir d'une
amitié vrayment paternelle ; et en juger de mesme, s'ils sont
autres, nous rendant toujours à la raison, nonobstant la force
naturelle (mais Monsieur, ne vous demanderez vous pas si
vous n'estes cause qu'il soient autres..? passons). Il
en va fort souvent à rebours ; et le plus communément nous nous
sentons plus esmeus des trepignements, jeux et niaiseries pueriles de
nos enfans, que nous ne faisons après de leurs actions toutes
formées (je n'ai rien dit, ou j'ai pensé trop vite..),
comme si nous les avyons aimez
pour nostre passetemps, comme des guenons, non comme des hommes. Et
tel fournit bien libéralement de jouets à leur enfance, qui se
trouve resserré à la moindre despence qu'il leur faut estant en
aage. Voire, il semble que la jalousie que nous avons de les voir
paroistre et jouyr du monde, quand nous sommes à mesme de le
quitter, nous rende plus espargnans et rétrains envers eux ;
il nous fache qu'ils nous
marchent sur les talons, comme pour nous solliciter de sortir. Et, si
nous avions à craindre cela, puis que l'ordre des choses porte
qu'ils ne peuvent, à dire vérité, estre, ny vivre qu'aux despens
de nostre estre et de notre vie, nous ne devions pas nous mesler
d'estre peres.
Quant
à moy, je trouve que c'est cruauté et injustice de ne les recevoir
en partage et sociétés de nos biens, et compaignons en
l'intelligence de nos affaires domestiques quand ils en sont
capables, et de ne retrancher et reserrer nos commodités pour
pourvoir aux leurs, puis que nous les avons engendrez à cet effet.
C'est
injustice de voir un pere vieil, cassé et demi-mort, jouysse seul, à
un coin du foyer, des biens qui suffiraient à l'avancement en
entretien de plusieurs enfans, et qu'il les laisse cependant, par
faute de moyen, perdre leurs meilleures années sans se pousser au
service public et connoissance des hommes...
Oui da, Monsieur, suis
heureuse de vous retrouver là, et d'estre humblement en accord avec
vous... mais je vous laisse à Madame d'Estissac, point n'ai d'enfan
à élever ou qui l'aurait dû estre.
Michel
de Montaigne – Essais – livre II chapitre VIII (Editions de La
Pléiade)
9 commentaires:
Beau Noël
merci
"Fidèlement Vôtre"
Douces pensées de Noël
merci
Belle idée que de reprendre Montaigne et sa philosophie...
Bonnes fêtes à vous !
merci
à vous aussi
je ne sais quel âge vous avez ..mais je me sens un peu votre fille parfois..;-) et c'est bien bon
bon noël
soixante douze ans et demi, mais pas sûre du tout que j'aurais fait une bonne mère !
entre besoin et crainte d'être trop présente
quelle coïncidence,aujourd'hui nous avons parlé des essais Montaigne, un peu le livre de chevet de mon beau-père.
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