M'en suis allée chargée
lourdement, à la limite de l'encombrement et du poids que pouvais
supporter, vers blanchisseur-teinturier,
dans l'air qui continue à
s'adoucir lentement, yeux sur la lumière qui tâtait les façades,
adressant une grimace à
une boutique, au bas de la rue Saint Agricol parce que c'est bien
beau tout cela, et relativement abordable, mais préférais trouver
là tomates, yaourts et autres denrées (dernière boutique
d'alimentation du quartier à l'exception d'un traiteur italien et
d'une marchande de thé, biscuits et napperons)
saluant l'installation des
terrasses, des parasols, de l'habillage estival de la place,
demandant aide – m'arrêtais de temps en temps pour récupérer mon
bras, caresser mon front et ma nuque raidie – à la toute petite
vierge, mais elle a argué de sa douce faiblesse et m'a rappelé que
j'étais presque arrivée,
et puis m'en suis revenue,
charge réduite à quatre draps propres plus un canard enchaîné,
cherchant à deviner l'apparition de la verdure future,
en repensant aux débats
entamés mardi soir sur la fin de vie, aux échanges majoritairement
soucieux de s'approcher avec la délicatesse et la retenue
nécessaires de ce qui ne peut que relever de doutes et choix
personnels, mais mon frémissement en entendant certaines convictions
trop péremptoires, qui affirmaient détenir une vérité, et mon
accord - à travers mes doutes, mes tâtonnements et mon expérience
de ce que fut une fin de vie si proche que plus que proche - avec ce
qui est proposé,
mais aussi mon refus de
cet espoir illusoire qu'ont certains d'adoucir la longue peine des
proches en provoquant la fin - et pourtant j'en ai été témoin et
plus que témoin, de cette tendresse et de cette douleur -, de peser
outre mesure sur les médecins (mais par contre de les protéger
autant que possible dans leur décision),
et mon sursaut devant les
mots : une mort digne, puisque la mémoire de carcasse se réveille
et me rappelle qu'il ne suffit pas de croire que sa vie ne compte
guère, de caresser l'idée de la mort depuis longtemps jusqu'à la
familiarité, pour empêcher que devant une maladie qui peut vous
l'imposer, inconsciemment mais avec énergie, acharnement, sans aucun
souci de ce que l'on peut juger digne ou non quand on est spectateur
ou quand on philosophe, même à travers la souffrance qui est signe
de vie, la carcasse, emportant avec elle toute la personne, refuse,
se bat..
persuadée aussi que
personne n'a raison ou tort en ces choix, mais qu'il faut savoir que
la décision ne peut être que personnelle (et l'idée des intentions
écrites est sagesse), et que toute mort, même si on la trouve
laide, est digne, mais que la souffrance est inutile et que la fraternité est de l'éviter à celui que l'on accompagne dans sa mort, qu'il la décide ou non.
Et, bien entendu il y aurait beaucoup plus à dire, et bien entendu aucune loi ne pourra être parfaite, et bien entendu cela n'a rien à
voir avec la décision éventuelle de mettre fin à sa vie, sans
impliquer autrui, parce que le moment est venu, tout simplement.
Et quand, arrivée dans
l'antre, après avoir souri à la machine qui faisait un pont
protégeant le trou qu'elle avait creusé, puisque le dialogue
interne n'empêche pas les yeux de flotter et de sourire, j'ai
copié/collé sur http://brigetoun.wordpress.co,m
pour être publié ce jeudi matin, le passage choisi mardi soir dans
Bardo or not bardo de
Volodine, ai réalisé,
rétrospectivement, que mon inconscient avait dû jouer.