Passé le porche, et les
deux vestiges des fresques d'inspiration siennoise,
passé l'obscurité du
narthex, qui n'était éclairé, sous les caissons ajoutés au dix
septième, que par la lumière du jour, où se brouillaient les deux
fragments de décor du quinzième, où se cachaient les fonds
baptismaux,
passé entre les deux
grandes saintes baroques venant des Célestins
le choc de l'entrée dans
la nef, du fort éclairage rebondissant sur les murs décapés avec
la brutalité qui sévit ces temps ci, à Avignon, dans les
restaurations des monuments publics... impression améliorée par la
photo qui redonne un peu de suavité à la partie basse de la nef,
alors qu'en réalité c'était partout la lividité de la craie
qui heurtait le regard (un homme à la sortie me soutenait qu'on
s'était contenté d'un badigeon, que la pierre ne pouvait avoir
cette couleur, lui ai dit de la toucher – et puis on voyait tout de
même quelques traces des bouchardages – et de se souvenir au
traitement subi par la façade des Célestins).
Au dessus de la tribune
toutes les formes se noient dans cette blancheur et on ne distingue
presque pas la forme des arcatures de faible profondeur, ni les
nervures du choeur.
Mais la sensibilité de
mon appareil à la légère différence de lumière me fait découvrir
mieux que ne l'avais fait le lion prenant son élan sur l'une des colonnettes
de l'ouverture sur la grande chapelle de gauche, oubliable la chapelle, ou me suis réfugiée un moment pour reprendre possession de mes yeux - rendu visite au
faux tombeau de Benoit XII (gisant oeuvre d'un restaurateur, et
patchwork de vestiges venant de plusieurs tombeaux) - chapelle
laissée dans l'ombre et où, de toute façon, pour respecter le
décor peint au XIXème le traitement a été plus modéré..
comme sous la lanterne,
préservée, entièrement, même là où la pierre était nue - une
guirlande de pierre a d'ailleurs gardé la crasse des siècles –
par la présence des restes de fresques... quelles soient bénies.
Pour en profiter, c'est
juste avant, au deuxième rang, que me suis installée, trop près
pour apercevoir, perchés presque immédiatement au dessus de moi,
les instrumentistes, Bernard Foccroulle à l'orgue doré du facteur
lombard Lodovico Piantania (1817-19) et Jean Tubéry au cornet à
bouquin – de lui je voyais sortir, pour les airs où il intervenait
– un sur deux – au dessus de la rambarde, la belle tête ronde et
un coude noir tenant le cornet.
Et ce fut un régal de
musique claire, sans emphase, légère et souple... de timbres
joyeux, de voix de flûtes, des vibrations aériennes, sans rien de
cette lourdeur, cette violence, de la musique d'orgue postérieure,
s'accordant à la souplesse du chant du cornetto
une première partie Ars
latina avec le Pulchra
est de Palestrina orné par
Francesco Rognoni, une toccata du Secondo Libro di Toccate de
Frescobaldi, un Laudate dominum de
Monteverdi, un capriccio del Primo Libro di Capricce de Frescobaldi,
deux Tientos de Francisco Correa de Arauxo – belle découverte pour
moi – et une sonata de Giovanni Battista Fontana.
Pour
tenir compte du manque de tendresse du ciel pour les rues d'Avignon,
ils ont choisi de supprimer l'entracte, de le remplacer par
l'exécution à l'orgue pendant que le cornettiste se reposait entre
la sonata de Fontana et le premier air de la seconde partie, de la
Bergamasca de
Monteverdi
avant
l'ars germanica –
pas si différente de la musique du sud, les musiciens se
connaissant, circulant, avec (l'aime particulièrement) Suzanne
un jour de Roland de Lassus et
Giovanni Bassano, il Ballo del Granduca de
Jan Pieterszoon Swellinck, Paduan de
Samuel Scheidt – ai cru un instant que l'on avait changé de
climat, au début, ample solennel et lourd, et puis il y a le
surgissement des flûtes.. - Canzone de
Froberger, un air de Jan Jacob Van Eyck, et pour une belle fin
jubilante, un prélude de choral Vater unser in Himmelreich
et une fantaisie de choral Wie
schön leuchtete der Morgenstern de
Buxtehude
circuler
en piapiatant, disant plaisir, échangeant saluts (me demander
parfois - c'est qui ? - en répondant) traverser pour voir l'orgue
m'arrêter
devant une chapelle, regarder depuis le porche un mur de pluie,
ouvrir parapluie
me
risquer, et rentrer sous l'averse qui reprenait son souffle.
PS
Me demande un peu pourquoi suis revenue.
6 commentaires:
Musique dans une église : on comprend mieux Bach (ou d'autres musiciens) dans ces lieux théâtraux (normal, en Avignon)...
Nous on ne se demande pas, on savoure, ces lieux même trop blanchis et ces moments que nous ne verrions jamais sans vous !
et le baroque des tribunes et la clarté (même artificielle) convenaient à cette musique, si ce n'est cette impression de pierre écorchée, tuée
Les murs trop blancs ne le resteront pas longtemps.
J'aime le blanc, un désir de pureté dans un monde trop gris.
rares les lieux de prière de cette couleur pourtant convenant si bien à la méditation
L'argent ne suffisait pas, il faut donc blanchir la musique !!!!!
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