Amis suis découragée
ai perdu mon intérêt
plus n'ai envie de dire
ni plus guère de lire
encore moins d'en parler
Ai vaqué, regardé mur
ai pensé et puis dormi
et avec ma logique
en reviens à ma
participation à l'atelier d'été de François Bon et aux notes sur
nos tables de travail (22 en début d'après midi ce jeudi, plus une
au commentaire n°9)
http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article3662
Une table ancienne, pas
assez pour avoir noblesse, une copie sage de bon artisan comme il
s'en trouvait à Lyon ou au Faubourg Saint Antoine dans les premières
années du 20ème siècle ou les dernières années du siècle
précédent, avant que les ateliers soient repris, un temps, par des
artistes, une copie sage donc d'une table à écrire restauration..
pas vraiment un bureau, elle est trop petite, mais en acajou, avec
des talons de bronze et un plateau gainé de cuir vert bordé d'un
galon de feuillages dorés, gainage qui aurait besoin d'être
refait..
Une table héritée,
évoquant encore le bureau de l'aïeul et ces cahiers – de quoi
garnir deux ou trois des rayons de la bibliothèque qui couvrait deux
des murs – sur lequel il a écrit ses mémoires – une faible
partie lue il y a très longtemps avec passion, le début, 1940, il
n'a rien laissé sur les rezzous, la guerre de 14, la Chine, le
Chili, le premier séjour en Indochine etc.. – qui n'avaient pas
vocation à être publiées et sont en la possession du fils, dont la
découverte impossible, ou compliquée, est un petit désir sagement
endormi.
Une table donc où la
présence d'un ordinateur semblait, au début, une intrusion,
intrusion qui, de portable en machines de plus en plus grandes, a
fini par prendre toute la place, puisque de toute façon
l'utilisateur avait changé. Une table à laquelle on ne demandait
pas d'être pratique, en fait elle l'est, juste d'être un ancrage.
Et sur cette table un
fatras,
des carnets ouverts et
abandonnés parce qu'une note est un ordre impératif à garder à
portée d'yeux sans jamais le lire ou y obéir,
un bic qui se cache ou un
crayon, et on se lève pour aller en chercher un dans le minuscule
pot en terre, où ils sont plantés comme des branches s'évasant, en
compagnie d'épingles à cheveux en fausse écaille, sur le muret de
la cuisine, ou bien on ouvre un fichier pour noter l'idée fugitive..
carnets aussi de notes
prises debout, auxquelles on recourt ou non, ou griffonnées dans le
noir, pendant un spectacle ou en écoutant de la musique, notes
encore plus illisibles que d'ordinaire mais qui ont suffi, souvent, à
ancrer dans la mémoire la formule qui était née de l'écoute.
un plumier, artisanat
tibétain, vrai ou faux, acheté dans une boutique près de Pompidou
parce qu'une envie de le toucher, parce que la boite en marqueterie
discrète dont on voulait faire un cadeau était trop chère, plumier
qui a contenu des crayons qui se voulaient raffinés et qui ont
disparu peu à peu.. plumier que l'écran cache et qui est là comme
une petite présence oubliée, des dimanches après-midi parisien où
savourer le droit de s'ennuyer un peu
un rectangle métallique
pour visionner des DVD
un cahier sur lequel une
histoire a été commencée il y a une dizaine d'années, présence
figée
une lettre d'un petit
chinois auquel il faudrait répondre, seulement que diable lui dire
deux ou trois mouchoirs
froissés
une miniature de marmite
en terre qui sert de cendrier, avec un cigare éteint en attente
La table a deux tiroirs
qui ont perdu leur clé, mais celle du chiffonnier, qui est derrière
la chaise permet de les tirer, quand un peu d'ordre y a été mis et
qu'aucun papier ne les coince – toujours possible d'y arriver mais
cela peut nécessiter patience, ongles retournés et force jurons –
où s'entassent blocs de papier à lettres, trombones, crayons
oubliés, enveloppes, sous chemises vierges, contrats d'assurance,
bail, trucs pour l'électricité, l'eau, la retraite, etc... le
surplus, les relevés de banque, factures etc... - périodiquement
jetés - occupant deux des tiroirs du chiffonnier, les autres
contenant l'argenterie, les foulards les plus précieux, pour la
plupart si vieux que ne sont là que pour les souvenirs qui s'y
attachent...
Présence derrière le
crâne, sur le chiffonnier, de ce qui pourrait être des dieux lares,
un petit bronze, une copie achetée à la boutique du Louvre et
offerte au père, une copie aussi de tabatière chinoise offerte à
la mère, une minuscule danseuse – de Ceylan je crois – qui est
un héritage, un bol à bouillie en argent, une petite coupe vide
trésors (collier de perles cassé) et un dessin offert par des
neveux, le portrait d'une forte femme soutien de famille comme un
modèle rêvé
En un demi pas et une
torsion, passer de la table au lit ou vice versa.
Et tout autour l'antre,
les paniers ou casiers entassés peu à peu pour y mettre des livres,
livres qui ont été rangés il y a quelque mois – l'opération a
pris une semaine – par ordre alphabétique, avec des exceptions,
ordre en voie de dispartiton et, en en cherchant un, parce que
soudain nécessaire, une trouvaille vient presque toujours détourner
l'intérêt, l'idée, ce qui devait y prendre appui.
Pas une vie, mais dix ans
d'une vie en lente construction, présence invisible le plus souvent,
juste là pour nourrir, en bien ou en mal.
Et puis, devant la table
de travail, le principal, un crâne qui dérive, ou tente de se
fixer, qui se défie de soi, qui tant bien que mal finit par mettre
des mots dans un ordre, lequel ordre ne le satisfait que quand il ne
satisfait personne d'autre.
5 commentaires:
on revient toujours à table...
et heureusement pour paumée qu'il n'y a pas que lui (provisions en réserve :-)
Je la connais cette table...et cest un univers
« Avant donc que d'écrire, apprenez à penser.
Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.
Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage,
Polissez-le sans cesse, et le repolissez,
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez. »
Boileau L'Art poétique
Boileau... de la fontaine bien sûr ! :D
Arlette, comme toutes les tables (sauf sorties d'usine)
Michel, heureusement suis en dessous du regard de Boileau
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