Un spectacle riche, un peu
fou par moment, comme l'est le roman... et d'autant plus pour petite
vieille aux yeux et esprit encore blottis dans une lassitude,
absence, plaisir diffus... et une envie de parler circonstances
extérieures, états des corps plus ou moins forts, plus ou moins
faibles, de la courtoisie du début, de la rudesse égoïste de
l'issue...
Mais toujours les ombres
longues sur la plaine (et les photos loupées de celle qui prend trop
vite, comme en cachette, en marge des groupes marchant à grands pas
sur les ornières caillouteuses, en tremblant sur chevilles tordues - n'avais pas pensé à changer de chaussures ce qui fait qu'à
l'entracte et au départ j'avançais sur de petites boules de chair
recroquevillées juchées en biais sur des talons de hauteur moyenne
mais sensible, ce qui n'est pas d'une aisance et élégance
extrême..)
Mais toujours la beauté
de l'entrée dans la carrière, la longue attente de l'arrivée de
toutes les navettes, des queues des affamés devant la cafétéria,
de la danse avec plateaux, des conversations des dîneurs, de la
difficile conquête d'un bout de rocher à peu près plat où poser
ses fesses pour les autres (fini par renoncer) pendant que le
couchant glisse sur les parois en les incendiant.... la ruée sur les
couvertures (mais à Boulbon on est prudent et il y en a assez pour
que chacun puisse disposer de deux ou trois carrés plus ou moins
grands... la difficulté étant ensuite de savoir les draper
élégamment et solidement sur soi, j'aurais fait une très mauvaise
indienne sioux)
et puis, j'ai beau
retarder le moment d'en parler, le spectacle.. dire tout de suite les
acteurs, les physiques en accord avec l'âme ou une partie de l'âme
– puisque tout de même Dostoïevski ne saurait en faire
complètement des types, et qu'ils ont presque tous un endroit, un
envers sans compter les bifurcations – dire la musique et par
moment le côté carrément comédie musicale, et la gravité, et la
souplesse des changements de registre..
Dire que si la nuit, le
vent et la carrière ennoblissent tout spectacle, cela ne marche que
s'il y a déjà une force, une grandeur dans ce qui est sorti du
travail du metteur en scène, des comédiens, éclairagistes,
scénographes etc... etc…
dire le côté à la fois
ludique et foire d'empoigne de la petite foule enveloppée de
draperies de laine, se pressant pour obtenir petits gâteaux et café
(suis arrivée à en avoir un parfaitement dégueulasse mais bien
chaud au moment où les trompettes de reprise sonnaient mais les
quatre gorgées brûlantes étaient les bienvenues)
dire qu'il y a quelques
tunnels, ma foi comme dans le roman, et que lisant les impressions
d'André Markowicz (tiens vais lui emprunter des citations, il dira
tout mieux que ne saurais le faire) je suis assez d'accord (mais
peut-être est-ce ma fatigue pendant la quatrième partie) avec lui –
carrément pour.. je pense que la fin,
carrément, le discours final d'Aliocha peut être tranquillement
viré, et plein d'autres petits passages.. mais
pas du tout pour ce qui précède quelques lignes plus haut, dans le
très court passage des réserves finales je
pense qu'on aurait pu couper pas mal de choses, — surtout, je
crois, dans les interventions musicales dans la troisième partie
rupture
de ton que j'ai au contraire beaucoup aimé (au moment où se noue
l'intrigue autour de la mort du père)
Mais
j'aime ses interrogations, et la façon dont le spectacle les prend
en charge Comment faire
comprendre que, chez Dostoïevski, tout est, à la fois, vrai et
faux, toujours dans son contraire, et que si, toujours, la passion
est première, cette passion est tout sauf une preuve de vérité ?
ou
Que faire quand le père est un
monstre, quand Dieu, en quelque sorte, rit de sa créature, à chaque
instant, — et ce n'est pas un rire, c'est un sarcasme —, mais
que, dès lors qu'il est le Père, il transmet son poison, sa passion
sensuelle, sa rage destructrice à ceux qui ont son sang, ses fils ?
Et
puis, avant d'en venir, dans l'antre ce matin, mes cheveux étant
presque secs, au repassage puis la cuisinen les petites notes en vrac
de Brigetoun
la
façon dont le grand inquisiteur est
dit, perdant de sa légère grandiloquence par son inclusion dans le
débat entre Ivan et Aliocha, ce qui est gardé de la force de la
traduction de Markowicz, ce Dostoïevski sans empesage ni enflure, et
les acteurs donc tous, mais surtout, splendide avec une sauvagerie et
une grandeur policée le Dimitri (pas seulement parce qu'ado c'était
mon personnage préféré, bien entendu) de Jean-Christophe Folly,
Aliocha (François Delbock) et sa toison jaune, son corps long et
flexible comme une étrange brindille, et fort comme une brindille,
le touchant capitaine Mathieu Delmonté, la formidable Grouchenka de
Clara Meyer, l'Ivan taciturne, légèrement dédaigneux et tourmenté
de Geoffroy Rondeau, etc.. etc... et la façon dont Camille de la
Guillonnière (qui est co-adaptatrice avec Jean Bellorini, oui,
pecaïre, j'oubliais de dire que c'est lui le moteur et metteur en
scène et co-adaptateur du spectacle) assume, en plus du rôle de
mère de Lisa (très bonne et charmante et touchante, et acide un peu, Lisa, Blanche Leleu) celui de narratrice, qui souplement, en petites
notes en marge de l'action, nous sert de boussole dans le fatras
qu'est parfois le roman...
Bon
il y aurait plein d'autres choses à dire, mais j'en resterai là
Et
bien entendu toutes les photos du spectacle et des acteurs, sauf
celle, floue et ratée du salut, là, au-dessus, sont de Christophe
Raynaud de Lage.
Replié
quelques couvertures cmme pouvais avec une des jeunes femmes à
tee-shirt rouges (ils en avaient un petit millier à remettre en
piles nettes dans les grands bacs avant que la nuit finisse pour eux)
et reçu la claque des couvertures jetées en passant par les
spectateurs encore pleins d'énergie
ces
gens qu'admirais avec un peu de rancune en tentant d'avancer (prise deux ou
trois fois de courtes paniques jambes tremblantes), en trébuchant sur
le chemin, même dans les zones aisées comme ce gravier photographié
avec reconnaissance en faisant une pause (sauf que sans fllash, dans
le noir, c'était légèrement moins aisé) et en essayant de trouver
une place dans la ruée vers les cars.. mais là repoussée par de
grands corps jeunes me suis retrouvée avec un groupe d'une trentaine
d'abandonnés, un peu paumés, mais plaisantant pour endurer
l'attente, finalement assez courte, de deux navettes de secours dans
lesquelles nous nous sommes prélassés.
5 commentaires:
je veux justement faire lire Dostoïevski à ma cadette pendant ses grandes vacances
si possible trouver la traduction dAndré Markowicz
Une performance , il me semble pour faire passer les non dits dans ce lieu majestueux et la mise en scène
J'aurais aimé....
curieusement je n'ai pas entendu d'avis pour ou contre, juste des "ah oui ce soir là j'étais à Karamazov" avec un air tranquillement content
ça me fait rêver ! merci brigitte !
Enregistrer un commentaire