M'en suis allée, jambes
ayant opté pour le mode lent, langoureux, freiné
- en évitant les endroits
trop fréquentés, en jouissant de la lumière et de la caresse point
encore trop forte du soleil, en souriant sans m'arrêter aux livres
sur la place Saint Didier, en saluant un mini plot devenu tortue
colorée grâce à sa parure d'affiches, en admirant le ravalement
non-tueur (contrairement aux monuments publics) de mon cher Hôtel de
Crillon -
vers le Théâtre des
Halles, la douceur du jardin, un café avec quelques pages de
Nathalie Quintane (les années 10, livre découvert grâce à Benoît
Vincent et que je recommande), avant d'assister à «tous contre
tous» mis en scène par Alain Timar en coréen (avec traduction) et
décorateur, assistants, costumes, acteurs coréens (Timar travaille
de plus en plus avec eux)
Jean Vilar parlait en
ces termes d'Arthur Adamov :"Il faut louer A. A. d'avoir mené
aussi loin ses recherches, et se privant des dentelles du dialogue et
de l'intrigue, d'avoir rendu à l'œuvre dramatique sa netteté… Il
est, certes, un autre théâtre : celui qui emprunte aux alcools de
la foi et du verbe, son efficacité. Posons donc la question : Adamov
ou Claudel ? Je réponds : Adamov.»
Raison supplémentaire
de rattraper le temps perdu et de représenter à nouveau au théâtre
Tous contre tous, pièce créée en 1953 par Jean-Marie Serreau mais
quasiment pas jouée depuis cette date ! J'aime son action, son
rythme effréné, le côté «thriller», la clarté de la ligne
dramatique, les jeux et les illusions du pouvoir, le tourbillon de
vie et de mort dans lequel sont pris les personnages. Elle me
rappelle par bien des approches La
grande roue de Vaclav Havel que j'avais mis en scène il y
a quelques années.J'aime les enjeux de Tous
contre tous où comme l'écrit Michel Corvin : «La pièce
aboutit à rejeter toute vie sociale comme oppressive et toute
tentative révolutionnaire comme vouée à l'échec»
Alain Timar sur le site
de son théâtre
http://www.theatredeshalles.com/pieces/tous-contre-tous/
mais je n'ai pas repris la photo parce qu'elle date des
représentations en Corée où le choix avait été fait de tenues
individualisant les acteurs, alors que le principe plus radical, tous
pantalons et tee-shirt sombres convient parfaitement au parti-pris un
peu agitprop, ou coeur antique...
un plateau presque carré,
blanc comme un ring, au centre fond un musicien absolument
merveilleux avec tout son attirail (il mène le rythme, épouse les
mots pendant quasiment toute la pièce) et la troupe qui joue le rôle
de la foule du pays avec des vestes strictes, ou grâce à un manteau
effiloché les réfugiés, dont l'un ou l'autre des membres endosse
l'élément de costume qui fera de lui l'un des personnages. Rythme,
donc, choeur, mais aussi dans chacune des scénettes les personnages
retrouvent avec sobriété leur humanité.
Le chômage, les réfugiés,
les jeux du pouvoir en instrumentalisant les seconds pour calmer les
victimes du premier, puis en inversant la tendance, et un homme, sa
femme, sa mère plus quelques autres qui se débattent avec leurs
intérêts et leur amour.
Retour avec faim et jambes
toujours aussi paresseuses, rapide cuisine, déjeuner lentement...
Absolument remarquable –
désolée de ne pouvoir trouver, vite, les mots nécessaires.
Mots que je trouverai
encore moins pour les deux spectacles in du jour (courte pause entre
les deux, et maintenant une demie-heure de sommeil s'impose)
sieste finie, patate et
poisson cuits pour la nuit, départ vers l'opéra pour longue
attente, entrée, chercher à échanger place pour m'éloigner de
l'arrivée de la clim et puis 6 A.M. How to disappear completly
(grec surtitré en anglais hé
oui, et français)
spectacle
du blitztheatregroup (Angeliki Papoulia, Christos Passalis et Yorgos
Valais)
les
photos du spectacle, sauf les saluts (ça se voit!) sont de
Christophe Raynaud de Laye
Au
début une femme seule, pioche en main, à côté d'un chariot
portant une étrange machine dit un beau poème d'Hölderlin, que je
ne connaissais pas où passent les dieux de la mort, la souffrance,
la douleur, mais aussi un jardin, l'amour, et puis le deuil, le
bonheur dans la souffrance, l'espérance (c'est beaucoup mieux que
ça) –
un
passage au noir et puis il y a des hommes en proie à la crainte de
bruits étranges, de ce qui semble être des ondes, il y a des
éclairs, des bruits, des tôles froissées, un puits où on jette
semble-t-il des offrandes mais n'en suis pas sûre, j'étais fascinée
et ne comprenant rien, des tubes, un essai de lutte, des pendus qui
reviennent ensuite, des fumigènes, une musique en accord avec
l'étrangeté représentée, une tour qu'ils ont construits et là
une musique de bastringue pendant qu'ils la font tourner pendant que
d'autres y circulent de tubes en tubes, un couple assis dans le
matin, un homme hissé dans la lumière qui baigne les visages levés
vers lui, etc... et pour chacune de ces séquences entrecoupées de
passages au noir, une partie du poème. Et
à la fin, l'annonce que le rêve est dissipé et le matin levé, et
un homme devant une grande inscription en néon qui dit
«enthousiasme».
C'est fascinant, beau et il
est impossible d'en parler, alors recopie ce qui était sur le
programme publié sur le site du festival, ce qui m'avait donné
curiosité et envie
Comme une louve
s'adressant à la lune, Angeliki Papoulia dit dans une pénombre
vespérale les premiers vers de Ménon pleurant Diotima de Hölderlin.
Se déploie alors sur scène un vaste terrain vague aux allures de
friche industrielle : c'est la «zone». À partir de cette élégie
et influencé par le film Stalker d'Andreï Tarkovski et par le roman
Roadside Picnic d'Arkady et Boris Strougatsky, le blitztheatregroup
invente avec 6 a.m. How to disappear completely une odyssée de
science-fiction, poétique et théâtrale. Sept personnages en quête
d'espace se réunissent, aux heures les plus sombres de la nuit, pour
accomplir de mystérieuses tâches tels des ouvriers sur un chantier
de construction. Et, alors que tout autour semble inquiétant,
l'espace change, se transforme, s'apprivoise, augurant d'un possible
ailleurs... À une époque où le langage des décisions
technocratiques domine, où nous devons faire avec, sans savoir en
quoi nous croyons, le blitztheatregroup tente d'articuler un nouveau
manifeste de l'évasion….
applaudissements
d'intensité moyenne, sortie, s'ébrouer et redescendre vers l'antre
pour arroser, noter ceci, me changer,
prendre
billet et repartir vers le théâtre des Carmes pour assister aux
quatre heures et demie (ou plus) d'un spectacle d'Angelica Liddell (un
très fort souvenir, un texte aimé et puis une déception, avec elle
c'est tout ou rien) Que garé yo con esta espada ? où Que
ferai-je, moi de cette épée ? Approche de la loi et du problème de
la beauté, spectacle monté avec l'appui de la Communauté de
Madrid mais aussi du Festival de Tokyo (d'où acteurs espagnols et
japonnais) avec la certitude, d'avance, que surtout à chaud,
à la fin de cette journée, vers trois heures du matin (mais sans
doute aussi plus tard) je ne saurais parler.
Attente
à côté des tables où les convives avaient les yeux fixés sur des
écrans de télévision (et depuis le cloître nous entendrons les
clameurs)
Le
programme disait
tenter d'exprimer
l'inexprimable. Avec une sincérité sans faille et une force
explosive, la metteuse en scène madrilène s'expose pour se
questionner. Et de son cri bouleversant de détresse, et de son cri
si profondément humain d'espoir, elle cherche à faire triompher la
loi de la poésie face à la loi de l'État. Terriblement troublée
par la violence d'Issei Sagawa, japonais cannibale de sa camarade
étudiante, et par celles des meurtriers des attentats de Paris de
novembre 2015, elle propose avec ¿ Qué haré yo con esta
espada ? (Que ferai-je, moi, de cette épée ?) un voyage entre
Tokyo et Paris. Un aller-retour pour libérer dans la fiction les
instincts homicides souvent enfouis dans les tréfonds de l'être
humain. Avec ses compagnons de route, Hölderlin, Cioran, Mishima et
Nietzsche, elle revient aux origines de la tragédie et cherche à
transformer sur le plateau la violence réelle en violence
mythologique. Utilisant sa force d'actrice pour dire la fragilité
des désirs, dynamitant la morale bourgeoise et bien-pensante,
Angélica Liddell nous amène dans des lieux où il est impossible
d'être tranquille.
photos
de Christophe Raynaud de Lage (en fait les jeunes femmes sont
brièvement vêtues en pensionnaires légèrement - pas si légèrement
d'ailleurs - précoces.. et nues, étonnament lisses malgré ce
qu'elles font subir à leur corps, le reste du temps.
Mais
voilà ou j'entre totalement dans ses spectacles ou une petite ironie
ennuyée se déclenche en moi.. un début assez beau, un petit soupir
agacé quand Angelica exhibe l'origine du monde, mais le plaisir de
sa voix, de cette langue, et on dirait presque que peu importe le
sens de son poème – sauf que, avec quelque emphase, ce désir
d'être violée morte s'exprime assez magnifiquement.
La
petite ironie (non qu'il y ait de belles choses, mais sans surprise ou presque, et un peu superficielles du moins je me permets de le trouver) s'est installée ensuite, s'est enfuie en regardant
danser le plus jeune japonais, a souri à des provocations même si
un peu trop signature obligée et puis à la longue malgré la force
que cela désirait avoir ne ressentais pas l'ombre d'un choc, mais
seulement un ennui qui devenait prenant.. un beau moment quand le
plus grand japonais l'acteur psalmodie si rapidement qu'on peut à
peine lire la traduction le récit de sa dégustation du corps de son
amie, et puis c'est retombé.
Alors,
honte à moi, mais au premier entracte, au bout d'un peu plus d'une
heure et demie, ai hésité, me suis demandé ce qui pouvait suivre,
mais vraiment n'avais plus la moindre envie de rentrer dans le
cloître, et suis une des rares me semble-t-il à avoir décidé
d'abandonner (serai plus fraîche pour les douze heures tirées de
2666 de Bolaño demain)
Etonnée
et navrée pour les compagnies du off de constater le peu de monde
(relativement) dans les rues et sur les places.
7 commentaires:
Merci de nous entraîner à votre suite dans ce marathon, ménagez vos forces...
c'est ce que, avec petite honte, j'ai fait cette nuit.. là se pose le problème de la route sans ombre en plein cana à treize heures vers les douze heures d'un spectacle que j'attends avec curiosité (me demande si vais pas céder pour taxi)
...bon courage pour les douze heures...
le problème c'est surtout l'accès (souvenir d'avoir perdu des litres d'eau sur cette demi-heure après les remparts sous le cana - enfin là maintenant il pleut.. mais devrait pas durer)
"articuler un nouveau manifeste de l'évasion" : beau programme...
Mais douze heures d'affilée pour le spectacle de ce jour : n'est-ce pas dissuasif ? Enfin, c'est vous qui y allez (oui, emportez plusieurs bouteilles d'eau !)...
douze heures y compris les entractes (suppose qu'il y en aura au moins un très long pour permettre au public qui le souhaie de dîner..) et le livre source (même si on n'en prend qu'une partie) est passionnant mais très très long
Copieux, attention à l'indigestion. Mais merci de nous permettre par procuration de vivre la rue et les spectacles. Très beau reportage.
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