prendre Brigetoun, sa
tristesse idiote de ces jours, un veston léger sur un cardigan sur
un tricot de corps, un couffin, un appareil photo et s'en aller dans
le frais bleu qui chuchote automne, et lancer le tout dans la rue
rencontrer orgueil et
modestie,
et remplir un couffin et
un sac de nourritures simples pour cajoler carcasse, un peu à la va
comme je te pousse, en essayant de faire vivre en imagination un
sourire de pierre destiné aux cosaques, et de pénétrer dans la
maison témoin qui n'a pas voulu de moi aujourd'hui, parce que ne savais vraiment qu'y faire...
et puis reprendre, dans
les portraits publiés par les Cosaques des frontières
http://cosaquesdesfrontieres.com,
l'abandonnée
L'abandonnée
Elle avait
gueulé, un peu, s'était retenue au bord de la perte de contrôle.
Elle avait ironisé, un peu, s'était retenue avant de tourner à
l'aigre. Elle s'était tue, elle avait répondu par monosyllabes à
ses inquiétudes un peu tardives, mais pas à ses explications, ses
presque excuses.
Et puis, seule,
elle s'était effondrée.
Non, elle
s'était presque effondrée, elle avait un peu pleuré, et puis la
radio lui avait dit qu'il était temps. Alors elle avait mis sa tête
sous l'eau, avait fini de s'habiller, avait mis du rouge à lèvres
en espérant cacher ses yeux, et avait plongé dans le jour.
Elle avait été
extraordinairement attentive, focalisée sur son travail, sur ce
qu'on lui disait, avec juste un petit retard dans la réponse, mais
pas au point d'avoir l'air égarée, perdue, elle l'espérait,
d'ailleurs ses interlocuteurs n'avaient semblé rien remarquer. Elle
avait eu simplement un peu plus de mal encore que d'ordinaire à rire
aux plaisanteries attendues, mais comme elle avait la réputation
d'être un peu coincée – elle avait entendu un commercial la
qualifier ainsi un jour, s'était vexée instinctivement, en avait
été contente en réalité... Et pendant ce temps il y avait ces
noeuds dans la gorge, ce creux dans le ventre.. et elle regardait ses
mains, étonnée de les voir si fermes.
Sur le chemin
du métro, l'amie, la fille avec laquelle elle le prenait, chaque
soir, pour se séparer au bout de quatre stations, lui avait dit :
«tâche de passer une bonne nuit, ma belle, tu as l'air si
fatiguée», et en répondant «ah, tu trouves ?» elle avait senti
sa voix se casser et le «non, ça va..» n'était pas sorti, au lieu
de cela elle avait senti, avec fureur, ses yeux se creuser, devenir
humides malgré ses efforts.
L'autre s'était
inquiétée, avait insisté, elle avait souri, un peu de travers, et
puis presque vraiment, et temporisé.. «je t'en parlerai.. mais ça
va, tu es gentille, ne t'en fais pas..» et comme le métro arrivait
à sa station elle était descendue, sans répondre à la proposition
d'hébergement «- si tu veux, pour ne pas être seule.»
Elle avait
échangé un bonsoir avec l'épicier, était montée chez elle, était
restée immobile, là dans l'entrée, la porte fermée, elle ne
savait pas combien de temps.
Elle avait
enlevé manteau et chaussures, elle était allée dans la cuisine,
parce que c'était l'habitude et puis qu'il fallait bien. Elle
s'était appliquée à ne sortir que le strict nécessaire pour une
personne, seule et qui n'avait pas faim.. et puis le téléphone
avait sonné. Elle avait senti le bond que faisait non pas son coeur
mais tout son corps, son attente, elle s'était forcée à marcher
lentement, à décrocher calmement.
C'était sa
mère. Et comme toujours elle était bavarde, d'ailleurs elle avait
beaucoup de choses à dire, et intéressantes bien sûr, oui elle
était contente que les enfants aient aimé la promenade à l'île,
oui elle espérait qu'ils n'étaient pas trop fatigants, non leur
père ne pouvait pas venir les reprendre samedi, il y avait un
empêchement, mais elle s'arrangerait, elle rappellerait, oui demain
soir, sans faute, oui merci de les lui passer, et elle avait mis
toute la gaité qu'elle pouvait dans sa voix pour leur répondre,
d'ailleurs la leur de voix la faisait sourire..
Et maintenant
là, après avoir jeté dans l'évier la soupe en boite qu'elle
faisait réchauffer, après avoir rentré dans le réfrigérateur ce
qu'elle venait d'en sortir, après avoir enlevé son chandail, elle
est assise, ses épaules rondes un peu fléchies supportant, au
dessus des bras raidis, le dos qui s'affaisse, elle reste là, le
corps relâché, ce corps qui se sent humilié, ventre plissé, nuque
ployée et visage qui s'absente, les yeux fixés sur le sol qu'elle
scrute et ne voit pas, concentrée sur sa peine. Elle voudrait, niée
qu'elle est, ne plus être, elle voudrait se sentir ne plus être,
mais garde vaguement conscience de ses cuisses épanouies écrasées
sur le siège, de ses forts mollets fermement appuyés sur le sol...
et puis, peu à peu la fatigue la prend, elle roule à terre, elle
s'endort.
Le lendemain
matin elle a téléphoné à son bureau, s'est excusée, a dit
qu'elle était malade... et puis elle s'est laissée, ou plutôt elle
a voulu se laisser submerger, buvant ses larmes avec son café,
gémissant un peu.
Elle avait
trois jours devant elle.
Sur un
bronze d'Alain Timar
10 commentaires:
Beau(x) texte(s)
merci !
une série (toujours en cours) mais qui mériterait un recueil....
trop gentille Anna - grande envie de laisser la place aux écrivains
Toujours agréable de retrouver ces portraits de statues ou de mascarons, et les idées que vous leur prêtez et qui semblent comme tout à fait plausibles...
merci - j'oriente vos regards ?
Que j'aime votre écriture!
Votre musique, même.
ça c'est trop gentil
Gentil je ne sais pas mais vrai, oui.
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