C'était ce
matin, pieds susceptibles acceptant le cuir raide, et jambes fermes
mais l'oeil heurté, agacé
par la largeur des bottes
C'était ce
matin, des vols en bande traversant ciel trop vite pour ma réaction,
et une photo
vierge de leurs traces, juste bleu.
C'était ce
matin, mistral expirant et les rues portant traces de son passage
les pots gisant
dans la cour remis sur pieds pour un jour.
C'était ce
matin, joues piquées de froid, en traversant la place
lever yeux
mouillés, la nacelle, les hommes, les arbres qu'on dépouillait
C'était cet
après-midi penser que mure est, peut-être, l'une des idées qui
m'étaient venues en lisant la quatrième proposition de l'atelier
d'hiver de François Bon
http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article4379,
m'installer, écrire, me lever, faire du thé, fumer devant le
radiateur en regardant le mur du fond, reprendre, corriger,
continuer.. ne pas être sûre de soi mais envoyer ce qui suit, et
puis lire les cinq contributions en ligne, être émue, touchée par
le premier, déguster l'ensemble, en s'efforçant de ne pas penser à
cela :
pistes
Les ascenseurs puis la
salle d'attente avant les audiences de révision des loyers, avec la
rencontre là du locataire refusant, le besoin d'un moment de silence
pour revivre le dossier et vaincre ma timidité, les autres groupes
ou personnes isolées et l'amusement secret que c'est, et la
tentative que l'on se force à faire de négocier avant et pour cela
d'établir rapport courtois
Le vestibule d'un
maison «huppée», enfant, où je viens en visite, pour un goûter
d'anniversaire ou pire un déjeuner avec l'amie et ses parents
une salle d'attente
d'un médecin qui me suit et les mouvements de gens
le hall du Théâtre
des Champs Elysées entre un rendez-vous tendu au bureau, ou sur un
chantier, et un opéra de Mozart ou Léonore de Beethoven
Vérifier
une nouvelle fois, pendant que les portes de métro s'ouvrent, que le
billet est bien dans le sac, à portée de main, facile à attraper,
avancer dans le couloir d'une affiche de l'exposition phare du Grand
Palais à sa soeur jumelle, à la suivante, en tentant de repousser
provisoirement la journée, la tension stupide avec une secrétaire,
le jugement qui doit être rendu demain, la couverture du vieil
immeuble de Saint-Maurice (mais quelle splendide charpente nous avons
découverte) et de penser au concert, sans arriver à se souvenir du
programme, juste du plaisir le matin, en partant, à l'idée de cette
soirée.
Traverser
l'avenue, la brasserie affiche la riche élégance de sa terrasse et
masque discrètement ses clients dans un brouillard de lumières à
effleurer des yeux, puis c'est le trottoir large dans la nuit et les
pas pressés des couples, des isolés, des pardessus, manteaux,
écharpes volant dans l'air et toques de fourrure que l'on suit, le
bruit discret de mots rares derrière soi, deux bandes de gazon entre
grilles et façades, coupées par les portes hautaines, les muscles
qui se détendent, une envie de grâce, l'attention portée à ce que
voient les yeux qui se relâche un peu, devenue moins nécessaire,
une voiture qui ralentit, débarque plus loin, de l'autre côté de
l'avenue, deux silhouettes emmitouflées devant «l'entracte» et
repart à la recherche d'une place, et puis, plus près, l'avancée
sur le trottoir que l'on suit, des marches blanches grimpant vers
l'harmonie de la façade du théâtre, un homme qui fume, des
silhouettes qui montent vers les portes ouvertes, un petit sourire
qui vient, avec la main qui vérifie l'état certainement déplorable
du chignon.
Monter
en biais, comme pour se glisser sans brutalité dans cet univers
retrouvé, les trois marches douces vers l'une des cinq portes –
l'harmonie rythmée de leurs dimensions – et pénétrer dans le
grand hall, clair, blanc, si parfaitement haut, ressentir cette
impression d'espace qu'il donne malgré la petite foule qui s'y
presse, circule, s'attend, se rencontre – cette façon de
s'exclamer avec expression mais discrétion, les voix dont la
tonalité dit qu'elles doivent être prises pour un murmure, quelques
discordances hautes qui banalisent les élégantes tenues, et des
fusées sympathiques, arrogantes et jeunes, d'humour léger comme des
bulles. Se sentir un peu déplacée, un peu minable et seule, et puis
se carrer dans le plaisir de regarder, d'être un peu du décor, du
spectacle.
Enlever
son manteau et le garder sur son bras, comme la plupart, le vestiaire
ici est bien trop cher et il y a l'ennui de faire la queue, regarder
sa montre, voir que l'on n'est pas tellement en avance et se faufiler
vers les deux hommes qui se font face, au fond, au milieu, devant
l'escalier, donner son billet, recevoir quelques mots et un sourire
vaguement familier, qui l'est peut-être, remercier en prenant ce qui
vous en est rendu, se souvenir du cour de danse, rentrer ventre et
fesses, abaisser les épaules, lever les yeux, et monter lentement
une des deux volées de marches qui s'élèvent en biais, comme si on
vous regardait, parce qu'on vous regarde distraitement, qu'il ne faut
pas abîmer le décor.
Et
sentir à chaque marche, les jambes qui tremblent un peu de la
fatigue du jour et l'attente joyeuse qui se lève. Aller vers sa
porte, échanger sourires avec la jeune placeuse, refuser l'aide, et
se diriger avec une fierté muette vers sa place. S'excuser en
dérangeant quelques personnes, s'asseoir, manteau sur les genoux,
caresser des yeux la forme de la corbeille depuis son côté,
promener ses yeux dans la salle, le long de l'encadrement de la
scène, attendre, sentir l'excitation qui vient, qui se glisse dans
les voix, parfois échanger quelques mots qui disent cette attente et
la musique qui va venir avec un voisin.
Se
redresser instinctivement quand le silence se fait, les lumières
s'effacent doucement.
11 commentaires:
Superbe texte
merciiii
"... plaisir de regarder, d'être un peu du décor, du spectacle ..."
tout pareil pour moi en vous lisant, Brigitte 😊
J'aurai donc pratiqué l'inverse : lire votre texte pour l'Atelier de FB d'abord sur votre blog avant de le découvrir sur son site...
Merci de me faire penser au quatrième !
Le spectacle est bien là, votre occupation favorite, en fait...
disons que ça tient une grande place en effet
Comme toi j'ai été agacée par la largeur de mes bottes...j'ai trouvé un cordonnier qui a bien voulu la réduire, je suis enchantée.
Chat botté comment fais tu pour écrire si bien
peut pas pour celles-ci, elles n'ont pas de fermeture éclair, on ne pourrait enfiler le pied si elles étaient moins larges...
Les mots à grandes enjambées, avec ou sans botte de quatre lieues.
Je m'imagine, je nous revois, au TCE quand s'ouvrent les grandes portes.
un bien bel endroit pour de bien belles choses, Pierre
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