d'ombre en
lumière
dans la
chaleur naissante
cheminer
matin
dans la pitié
et l'effroi
pensant à
Barcelone
Alors, je sais c'est du
réchauffé, mais en souvenir d'un temps où j'ai plongé en moi à
la recherche des traces de Barcelone, au delà de sa saveur devenue
imprécise (en souvenir aussi de la gentillesse grande de Christophe
Grossi http://deboitements.net/
avec lequel échangions, et de la reconnaissance pour les photos
qu'il m'avait envoyées, reçues juste après que j'ai achevé les
montages, finalement conservés puisque faits en écrivant) je suis
partie à la recherche de nos vases communicants prenant appui sur la
ville en mars 2013
https://brigetoun.blogspot.fr/2013/03/reflets-de-sant-jaume.html
et bien sûr c'est une Barcelone très personnelle qui se trouve
évoquée, mais elle est à l'image de mon rapport à elle...
Suis-je allée à
Barcelone ?
Tu es allée à Barcelone
Je croyais que j'avais
pris des photos, en noir et blanc, avec un vieil appareil, mais ne
les trouve plus.
Tu les as jetées,
c'étaient des souvenirs d'idées de photos (alors j'en ai prélevé
sur
http://www.tripadvisor.fr/LocationPhotos-g187497-w58-Barcelona_Catalonia.html
et http://www.beglob.com/barcelone-espagne
et les ai martyrisées pour me les approprier)
j'ai gardé ces mots : j'aime Barcelone, comme une vérité, perdue dans une brume
Tu te souviens pourtant,
l'hôtel Colon, le grand hall, qui n'a plus que cette taille dans ta
mémoire, le bataillon de vieillards en uniforme, assortis à son âge
– et tu étais honteuse, sans le montrer, de laisser porter cette
valise qui te semblait si lourde – le grand ascenseur dans sa
dentelle métallique – je me demande si ce n'est pas une
invention, - peut-être mais je veux y croire.
Tu te souviens pourtant -
la grande chambre, les fenêtres, ou porte-fenêtres tu ne sais plus,
ouvrant sur la cathédrale.
Tu te souviens - les
voûtes, le choeur et les stalles, l'élégance parisienne des
sculptures du monument de Sainte Eulalie. Tu te souviens surtout que
tu es restée un temps, arrêtée, dans le cloître – tu as
toujours aimé les cloîtres – et qu'il y avait un petit musée
dans une salle, à côté.
Tu te souviens que tu as
aimé les traces de Rome, tu te souviens – cela s'éveille
lentement, affleure – d'une salle du musée Marès, d'un bas-relief
aux formes rondes et douces au milieu de bois rudes aux peintures
déteintes. (et il y avait aussi, dans un autre quartier la richesse
de ce musée, où après les fresques, les christs, tu étais tombée
sur une exposition de toiles modernistes - ta surprise amusée en
constatant que, sur les grands panneaux explicatifs, tu comprenais
plus aisément le texte catalan que le castillan que tu as
soit-disant appris)
Tu te souviens des rues,
des hautes façades de belles pierres, autour de la cathédrale et du
palais de la Généralité, d'une belle place.
Tu te souviens que tu
aimais les petites rues, où tu souriais, te sentant chez toi, où tu
ne t'arrêtais pas parce que ce n'était pas le cas.
Tu émergeais brusquement
sur les ramblas, et tu te souviens que c'était joyeux.
Tu te souviens de la
noblesse un peu provinciale de la place Reial, des affiches sur la
façade du Liceu.
Tu te souviens surtout de
tes flâneries sous les voûtes métalliques, dans l'abondance des
fruits, légumes, viandes, poissons du Mercat de la Boqueria – tu
achetais une petite salade, des tomates parfois, pour tes dîners
dans ta chambre, avec une boite de thon
Tu te souviens que tu
sortais vers minuit, et que tu savourais, distraite, concentrée sur
ton plaisir simple, une crème catalane dans un bar trop éclairé –
un décor froid de molesquine et formica – en regardant la nuit
derrière les grandes vitres, et cette rue que tu suivais, le matin,
pour une pause dans le parc de la Citadelle, près de l'amical
squelette métallique de l'Umbracle.
dans mon souvenir il
n'y a pas d'humains, aucun visage même flou, aucune rencontre.. je
crois que j'étais trop triste, ou fatiguée, si triste.
Tu ne tolérais pas les
gens attablés aux cafés ou dans les restaurants, les oisifs.. Tu
n'as pas aimé la Diagonale, le passeig de Gràcia, ou plutôt tu
n'as pas aimé y être, comme sur les Champs Elysées, malgré les
façades des Casas. Tu t'es arrêtée un moment devant la Sagrada
Familia, mais tu étais trop absente pour la voir.
Tu aimais flotter au
milieu de corps actifs, comme un truc étranger et invisible.
je me souviens
que je suis allée à Barcelone, et qu'il me semble que c'était
bien.. mais je croyais que c'était il y a plus de quarante ans
Tu es allée à Barcelone
un an avant les jeux olympiques, il y a donc vingt deux ans – et tu
t'es perdue dans les routes en travaux sur la colline de Montjuic.
Tu es dans une tranchée,
entre deux pentes raides de terre remuée, tu ne sais pas comment en
sortir, tu as un peu peur des machines qui dorment, qui pourraient
s'éveiller, te coincer.
Tu es assise sur le sol,
tu masses tes chevilles, je crois, tu regardes au dessus de toi la
barre du pavillon de Mies Van der Rohe, tu te sens en sécurité,
comme si tu étais assise devant une revue d'architecture, à la BPI.
Tu as marché, tu as été
fascinée par le palais de la Musique, bijou étrange, et par la
conque tordue du plafond en haut de la maison que Gaudi a construit
pour la famille Güell – tu as passé de longs moments, dans un
sourire ravi, dans
une admiration joyeuse, au musée Miro.
Tu te souviens vaguement
du sourire, des gestes d'accueil aimables, d'une galeriste... et des
oeuvres de jeunesse, un peu boueuses, de Picasso, de ses dessins du
Paris fin de siècle aussi (l'avant-dernier, je ne me résigne
toujours pas à penser que mon siècle est fini), dans le merveilleux
musée aux pierres anciennes (il est toujours bien logé)
Tu te souviens de cette
boutique vêtue de bois, aussi douce qu'une armoire ancienne, près
d'une belle église gothique, et d'y avoir acheté, pour ton plaisir,
une plaque de chocolat si noir et épais que tu as eu du mal à la
casser, et les turons que tu devais ramener aux secrétaires parce
qu'elles s'y attendaient.
Tu te souviens du port, du
peu que tu en as vu. Tu te souviens que le soleil était superbe,
qu'il se déployait, que tu étais bien.
Tu te souviens que tu as
erré, un long moment, sous les voûtes du Musée maritime, et que tu
croyais tenir la main de ton père, écouter ses commentaires.. tu te
souviens que tu as choisi la photo du bateau le plus humble possible,
l'équivalent catalan d'une tartane, pour la lui envoyer.
Tu te souviens que tu as
cru être là presque en communion avec la force de la ville. Tu as
su que Barcelone est ancienne, puissante, orgueilleuse, vivante,
richement bourgeoise et industrielle aussi – je n'ai pu que
flotter, un instant, à sa surface, j'étais trop fatiguée et seule
pour elle à cette époque..
post-scriptum de 2017
n'empêche qu'elle m'est restée comme un parfum, une force, une
admiration où se couler en petite chose
les belles photos de Christophe
Grossi
Je
pouvais pleinement être dans cette seule pitié, débarrassée de
l'exaspération qui m'était venue – avec une petite honte en même
temps, parce que eux, leur peur et les traces qu'ils en porteront,
secrètement, étaient à mille lieux de cela – en entendant les
refrains habituels, politiques parlant de l'attaque à NOS Valeurs,
les journalistes s'interrogeant sur les raisons pour lesquels
Barcelone, comme Londres, Berlin – en gros se limitaient à cela –
étaient spécialement visés, exaspération qui m'avait fait
rechercher quel était le bilan, la géographie, des attaques
djadistes et trouvant, pour en rester à cette seule année 2017,
cette liste qui semble prouver que ces valeurs attaquées n'ont rien
de spécifiquement européennes, et sont, simplement, bellement, le
désir de vivre (avec ce que cela entraîne de jouissance, joies,
intelligence, amitié, amour etc...)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_d%27attaques_terroristes_islamistes#2017
et puis, dans
l'après-midi, pour avoir un autre regard sur le monde, juste un peu
autre, ai regardé un moment africanews https://youtu.be/NRZPYa2dQBk
10 commentaires:
J'aime cette ville de tout mon coeur, ses couleurs, ses odeurs, ses bruits, ses silences, sa VIE, ses excès, sa joie, sa générosité ... et aussi son arrogance
j'aime cette ville pour ce que j'y ai vécu, pour ceux que j'aime là-bas : los primos y los amigos ...
mon fils y était avec ses amis le WE dernier ils descendaient La Rambla à pied, ils sont quelque part en Espagne ... la vie est là aussi ...
merci Brigitte pour ce partage qui m'émeut beaucoup
Ce sont des journalistes libanais que je suis.
Ma fille souhaite visiter Barcelone dès qu'elle aura 18 ans… seule
ramblas... on y marchait sans imaginer qu'un jour...
très durassien, votre texte...
Dominique, m'en rend compte parce que vous le dites... au moins influence, me demande ce que je lisais à l'époque
Merci pour ce bel hommage prémonitoire
oh Dieu non ! aucune prémonition là dedans; ne souhaitais pas que la douleur frappe à nouveau les catalans (Barcelone comme beaucoup de ville en avait déjà eu sa part, et plus que d'autres à une époque pas si lointaine, du moins à mon échelle)
Beau souvenir émouvant au regard de l'actualité je ne connais pas mais cela est un écho très fort aux amis aux autres lieux Merci
mis un sacré bout de temps pour le repêcher
Quand on a aimé, c'est pour toujours.
oui moi aussi en vous lisant cette nuit j'ai aussi pensé à Duras et à "Hiroshima mon amour" j'ai aimé cette réminiscence qui en a ajouté à mon chagrin
encore merci
que l'amour nous porte dans l'amour de l'autre, des autres et de la différence ... la terreur ne doit pas nous immerger dans la haine, le chagrin nous lave de tout cela
merci encore oui.
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