Il y a la paix du soir qui
s'apprête à descendre sur la campagne, l'immensité d'une plaine,
les vallonnements se succédant, l'ondulation foncée des vagues, le
profil désordonné de banlieues et l'émergence d'une cité, les
ruines, les ateliers désaffectées, les chantiers, l'harmonie d'une
façade, l'humilité ou la prétention de pavillons, les rangées
d'habitations, la prestesse d'un ruisseau, la calme souverain d'un
fleuve, les cailloux d'un oued et la vie d'un marais, les forêts
anciennes et les terres abandonnées colonisées par des arbres, les
buissons sauvages et les bordures de champs, les labours, les énormes
insectes pilotés par un minuscule humain oeuvrant avec un
acharnement calme, l'investissement et le marché, les parcelles et
les houes, les jachères et les restanques, l'orgueil des chênes et
oliviers plusieurs fois centenaires et les forêts vierges éventrées,
il y a le poids muet et oppressant de l'argent.
Il y a les gros bras et
petites mains au travail, ceux que nous voyons sur notre chemin et
dans notre vie quotidienne, ceux qui oeuvrent avec plaisir ou parce
que c'est ce qu'ils ont pu trouver comme emploi, il y a les emplois
que l'on dit à durée indéterminée ou a durée très brèves, les
gens de métier, les précaires, les très précaires, ceux qui
travaillent en cherchant travail futur, les fonctionnaires petits et
hauts, les contractuels, ceux qui cherchent du travail et ceux qui
n'en cherchent plus, les sans spécialités et les petits chefs, les
cadres qui n'encadrent qu'eux et les chefs de chantier, les nouveaux
travailleurs en CDI à durée déterminée, les porte-cravates sur
siège mouvant, les collaborateurs qui se surveillent, les équipes
soudées et les auto-entrepreneurs, la concurrence et l'entraide, les
avocats et les avocats d'affaire, les bénévoles, les employés de
banque et les traders, les vendeuses et les chercheurs, les artisans
qui n'ont plus que le plaisir du geste et les éboueurs, les artistes
qui attendent et ceux dont on parle, il y a la fatigue d'un pas vers
le métro dans la ville enneigée et l'ennui du maître nageur, et
puis il y a l'argent qui rétribue, crée, qui détruit pour se
multiplier
Il y a les rêves, les
rêves fantasques, les rêvasseries, les illusions et les cauchemars,
il y a les mots, la poésie et les plans commerciaux, les plaidoyers,
les prêches, les utopies, les théories, la recherche du mot juste,
et les mots dévoyés qui deviennent usuels, l'idéal et la
militance, et ce moment où l'idéal se dénature en valeurs, il y a
la création, la recherche de beauté ou de vérité, ou les deux, le
témoignage, la force qui humanise et ce qui n'a pour but que de
faire l'âme claire, il y a l'argent nécessaire pour subsister et
créer, il y a l'argent dont on peut se moquer, et puis l'argent qui
signe réussite, il y a parfois l'argent qui stérilise
Il y a les gens, l'amitié
et les relations, l'amour fou et la tendresse, la bienveillance et
l'intérêt souriant, il y a les humbles, ceux qui se contentent
d'être pleinement, ceux qui se montrent, avec crainte ou assurance,
ou assurance fabriquée sur crainte, il y a les compagnonnages, la
passion et le confort, l'habitude heureuse, les détestations
instinctives, les erreurs, la force du sang et les dissensions, les
liens en pointillés qui reprennent force, il y a ceux qui portent le
poids de la solitude, il y a ceux qui passent leur chemin en
regardant, en aimant, en s'amusant quitte à s'oublier du spectacle
des autres, il y a la loyauté et ceux qui imposent leur sincérité,
les redoutables amoureux de la transparence et les taiseux, ceux qui
vivent de leur mieux et ceux qui affichent leur vie, leur
décontraction avec une insolence onéreuse, la vérité et le
maquillage grotesque de l'argent.
5 commentaires:
Oh que c'est beau! Petite larme d'émotion
Tableau véridique de notre société où l'argent-roi (avec le roi de l'argent) régente tout mais pas encore totalement les consciences, la survivance de l'art - ou des lucioles - et l'espoir dans la nuit...
Claudine, merci, mais tout de même pas
Dominique, oui et puis si n a cette chance tacher de faire comme Voltaire (mais sans y mettre acharnement comme cela lui arrivait, en se contentant de médiocrité) en avoir juste assez pour se libérer à peu près
L'argent gagné et l'argent volé. La cassette d'Harpagon, l'avidité off shore.
Catalogue de vies bien achalandé et miracle des miracles cette possibilité toujours renouvelée d'y insérer l'existence des uns et des autres, de génération en génération.
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