pluie nous
est venue
lente ou
torrentielle
pour terre en
désir
et la saluais
(non sans abnégation) hier, même quand un orage a traversé notre
ciel et quand à l'entrée dans la nuit elle fut musique déchaînée
mais ce matin,
dans une éclaircie, sur les dalles encore un peu humides sur
lesquelles je tentais de ne pas laisser voir la crainte de mes pieds
instables et asymétriques, frissonnante dans la petite aigreur et
l'humidité de l'air, yeux sur les feuilles et mégots misérables,
cherchant pièces en nombre insuffisant préparées dans les poches
de mon anorak pour mes minuscules dialogues avec les assis qui
profitaient de l’accalmie, voyant dans chaque boutique abandonnée
un symbole de ce qui nous arrive, je maintenais, pour avancer et ne
pas ajouter à la poussée de tristesse de nos rues au teint
desquelles la pluie ne convient pas, un sourire qui devait être un
tantinet rictus, tout en massant de ma main libre le bas de mon dos à
la plainte pourtant légère.
Rentrée dans
l'antre, après cuisine, déjeuner et repassage me suis endormie en
lourde sieste pour revenir à la surface devant un ciel redevenu d'un
bleu absolu... mais, comme la petite liesse sans raison que certains
jours m'offrent s'obstinait à ne pas venir,
j'ai repris, un peu,
même si, comme toutes les lectures découvertes en lecture profonde,
il est réservé à la nuit (habitude venue de toutes mes années de
labeur et dont je n'arrive pas à me débarrasser) le Quichotte,
autoportrait chevaleresque,
retrouver le chevalier et Sancho comme le fait Eric Pessan (après
une série de textes d'accompagnement d'écrivains aimés, pour ceux,
la plupart, que j'ai lu) : je mets un disque qui m'évite
d'écouter les craquements du monde, j'ouvre un nouveau fichier de
traitement de texte, j'écris DON QUICHOTTE, au beau milieu de
l'espace blanc, j'insère un saut de page et je m'impose une
injonction, une injonction vitale : il s'agit d'inventer comment
supporter le monde, ni plus ni moins. Comment s'ajuster à ce monde
qui nous est imposé. Ne plus laisser la joie et le plaisir derrière
soi, mais les brandir haut et fort. C'est terriblement ambitieux et
terriblement naïf en même temps.
Et
il s'embarque dans les lectures et re-lectures du Quichotte, les
non-lectures mais connaissance du personnage, le premier contact, et
le monde que vivait Cervantes intervient, et peu à peu l'idée que
ce ne sont pas deux fous splendides qui vont à travers les aventures
mais deux faiseurs d'un monde plus humain, plus juste, sans illusion
sur leur pouvoir, mais bien persuadés qu'ils ne peuvent faire
autrement. Jusqu'à les faire s'enfoncer dans un gouffre et
déboucher, exténués et ahuris dans une rue de notre Paris de 2017,
les difficultés d'adaptation du premier jour, l'indifférence des
êtres croisés, qui ne quittent guère des yeux la petite boite
qu'ils tiennent dans leur main, l'absence de réaction aux colères
du chevalier, leurs beaux dialogues mêlant les difficultés à la
recherche du sens, et puis, affamés, sans toit puisque sans l'argent
devenu indispensable, après un des détours par notre monde, sans
eux, on les retrouve sous deux tentes au bord d'un canal, et je les
ai quittés provisoirement à la page 172, dans leurs nouvelles
aventures, heureux d'avoir rencontrés ceux qui s'inspirent d'eux, et
partis pour lutter contre les dragons, finance, égoïsme, management
et autres qui font les malheurs contemporains, non sans que des
paragraphes viennent ponctuer leur découverte de ces dragons,
rendant hommage, en liaison avec l'action (plus ou moins longuement,
et j'en prends, presqu'au hasard, un des plus brefs) au courage
quotidien et discret qu'il faut à ceux qui ne sont pas premiers de
cordée
ce qu'il
faut d'héroïsme pour accepter que nos rêves soient pollués par
nos vies, pour permettre cette perméabilité terrible qui nous fait
revivre durant notre sommeil les angoisses de nos veilles, qui nous
replonge au bureau, nous renvoie face aux échéances impossible à
tenir, réinvente les rebuffades de nos supérieurs, les peurs de
perdre nos emplois, les brimades et les colères rentrées ; ce qu'il
faut d'héroïsme pour rejouer, nuit après nuit, les fatigues les
humiliations les terreurs les rancoeurs les vexations et les hontes
de nos journées (d'autres fois
il évoque l'héroïsme qu'il faut pour surmonter sa honte en faisant
le mal, le petit mal ordinaire, pour obéir, parce qu'il faut bien se
nourrir, se vêtir, s'occuper de ses enfants).
Ajoutez-y
des brindilles de bel humour… comme vous feriez cuire un poisson avec une bonne huile d'olive et des herbes fraiches sur des branches de fenouil.
6 commentaires:
Merci de nous donner faim de lectures la nuit
temps de pluie, temps de lecture ou de cinéma...
La réalité devient parfois imaginaire.
j'aimerais assez que le Quichotte d'Eric Pessan devienne réalité (impossible bien sûr, et ça le détruirait)
la seconde partie est une fête
Que cela me plait... ce Quichotte là
Tu chevauches les nuages
et la seconde partie est une fête, fête aux auteurs aimés et fête de la croisade de Quichotte contre finance, petits chefs, terroristes, bourreaux familiaux et tutti quanti… (enfin jusqu'à la page 240… il y en a 414 en tout mais en gros caractères et avec pas mal de blanc) - j'espère qu'il aura du succès
Oh ! Merci pour Quijote mon héro
et comme je vais m'empresser de lire le chevaleresque Eric Pessan, pour le salut.
Merci
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