matin le
soleil
tentait en
élan vers nous
de forer les
nues
et il y parvint
provisoirement, au milieu du jour, en nous offrant un moment de
lumière bleue.
Le jour a
passé, sans histoire, avec des plaisirs et des non plaisirs, et pour
toi Paumée, je recours aux Cosaques des frontières
http://lescosaquesdesfrontieres.com
(le 10 mars 2018, entre autres beaux billets – Brigetoun étant
bien évidemment hors concours, ne dis en quel sens, un beau
texte-vidéo de Gwen Denieul) et à un bidule brigetounien qu'ils ont
publiés
Retour
N'y avait qu'une vingtaine
d'années qu'il était parti, parti sans regret et sans idée de
retour.
Ni lui ni ses frères
n'avaient eu de regret en mettant en vente la maison familiale, enfin
pas de vrai regret, de petites nostalgies pour des recoins
poussiéreux qui avaient été leurs asiles dans leurs désespoirs
enfantins, la hotte de cheminée de la cuisine sombre, parce qu'elle
lui rappelait la maigre femme bougonne et tendre dont c'était le
domaine et qui leur permettait de s'y blottir, de s'y croire
protégés par elle, et de fait ils l'étaient.
Il n'avait, depuis presque
aussi longtemps, aucune nouvelle de ses frères, et ne le regrettait
pas vraiment, ce qui les liait n'était que la mémoire du temps
qu'ils avaient passé là, et de cette guerre perpétuelle que leurs
parents avaient mis entre eux, ne leur laissant même pas la force de
s'unir ; elle, la cuisinière, était morte un peu après leur
départ, comme désertée, et il ne s'était jamais soucié de ce
qu'il advenait de la ville, en avait vraiment, comme il le pensait
avec un sourire de travers quand, par hasard, elle revenait au détour
d'une conversation, secoué la poussière.
Et c'était avec un petit
sourire, fort de son indifférence, qu'il avait accepté de revenir,
puisque l'écrivain qu'il devait interroger y résidait, mais en fait
depuis l'époque de son évasion, même s'il était maintenant bien
ancré dans la ville jusqu'à lui redonner un semblant de notoriété.
Il a pourtant eu un léger, bien vite refoulé, mélange
d'appréhension et d'attendrissement quand, passés les abords
disgracieux tels qu'ils se répètent plus ou moins de ville en
ville, il a vu glisser le long de la vitre du train les premières
maisons du centre, familières ou nouvelles bien que déjà usées.
Il a déposé sa valise
dans un hôtel près de la gare, banal et inconnu, relu ses notes,
mis dans sa sacoche le dernier livre de l'auteur et par des rues qui
n'éveillaient que très vaguement des sensations passées, l'a
rejoint dans le grand café ouvert sur la grande place ensoleillée
qui, elle, l'a frappé le temps d'un éclair comme une brusque
remontée de sa faiblesse hargneuse et désespéré, son
insignifiance, ses élans enfouis, avant que s'impose le regard sur
elle de l'homme sans grande envergure mais serein, heureux par delà
les petites difficultés inévitables, qu'il était devenu, celui qui
maintenant entrait dans le café et n'avait plus de pensée que pour
ce visage, ce corps un peu tassé, le sourire d'accueil ébauché
dans des yeux vers lequel il se dirigeait.
L'entretien a commencé
lentement, conformément à sa réputation l'écrivain était
aimable, apparemment ouvert mais taiseux – non qu'il déteste ces
interviews, même s'ils étaient toujours une obligation, parfois
dangereuse quand il rencontrait un interlocuteur bien documenté mais
parfaitement étranger à ce dont ils parlaient, mais parce que
simplement il pensait n'avoir rien d'autre à dire que ses livres –
mais était-ce le plaisir évident que lui, l'interrogateur, avait
pris à cette lecture, la sensibilité de ses questions et relances,
la connaissance réelle du reste de l'oeuvre, était-ce une curieuse
bienveillance à son égard de l'auteur, peu à peu s'établit un
vrai dialogue, avec des évasions sur tout ou rien, des tout ou rien
importants, non sans liaison avec le climat du livre, du temps et du
lieu où il avait été écrit, et des plongées profondes et
fouillées dans l'ouvrage.
Il se levait, satisfait,
remerciait, s'entendait répondre par des remerciements au lecteur
qu'il était, suivis de «et si nous déjeunions ensemble ?» et puis
«je sais que vous avez grandi ici – oui je m'étais renseigné –
j'ai mes habitudes dans un petit restaurant, très agréable, calme,
seulement il est très proche de votre ancien quartier, ce qui pour
un temps fait perdre un peu du charme de l'environnement, maintenant
qu'il donne sur un terrain provisoirement vague, désolé, et je
crains que cela vous soit désagréable»... Il a accepté,
sincèrement ravi de ce prolongement plus détendu, surpris et un peu
agacé d'être en effet un peu choqué par ce que signifiait la fin
de la phrase.
Ils sont partis par les
petites rues de l'ancien quartier noble, entre des maisons splendides
ou fatiguées mais encore fières, des dix huitième et dix neuvième
siècles, certaines plus anciennes, d'autres portant la trace de
modifications-embellissements autour des siècles. Le restaurant
occupait le rez-de-chaussée d'un ancien hôtel d'un bon classicisme
un peu banal, en grand besoin de ravalement.
Le patron, qui faisait de
sa normalité extrême un style, une parure, a accueilli
chaleureusement l'auteur et puis regardant son compagnon «je crois
que je t'ai connu, toi, tu n'es pas un fils X ?» et suite à un
hochement de tête un peu agacé «tu dois être le plus jeune, moi
j'étais en classe avec Jean, l'ai revu quand il est venu pour la
vente... ah mon pauvre tu vas voir, elle n'est plus là la maison, ni
les autres d'ailleurs, j'ai mis des rideaux – et il en soulevait un
pour montrer un grand espace vide, un sol mouvementé, pierreux et en
bordure, de l'autre côté de la rue, trois grandes remorques pleines
de débris et gravats – parce que c'est pas heureux comme vue, et
cet été pour ma terrasse, même avec une haie de feuillage, peur
qu'il y ait trop de bruit – bon après ce sera bien, ils
reconstruisent, et puis y aura des clients» et l'autre «les
séduire... tu auras des voisins plus riches mon ami – c'est pas
mal d'ailleurs ce qu'ils font, pas trop clinquant, pas trop copie
d'ancien, mais certainement pas pour ceux qui habitaient là... si
vous aviez du temps vous devriez aller voir le projet» «sais pas si
j'en ai envie»
Le sentiment inattendu
d'un regret.
En sortant se sont plantés
devant une des bennes, et comme en riant l'écrivain prenait une
toute petite pierre perdue parmi les gros débris pour servir de
presse papier, il a eu un rire presque franc, même si le ricanement
perçait dessous, et a choisi, lentement, parmi les morceaux de
poterie, un fragment de tuyauterie parfaitement découpé et bordé
d'un large ourlet.
10 commentaires:
La somme algébrique des plaisirs et non plaisirs de votre jour est-elle positive ?
En espérant que votre dernière photo ne soit pas ce qui reste de votre immeuble au retour de votre promenade.
que non, ce seraient grosses pierres sans ornement (petits immeubles sans prétention fin 18èle, début 19ème sans doute)
ici aussi ce texte est magnifique
Après Mai 68, la mode, qui ne dura qu'un temps, aux pavés presse-livres.
Il est vrai que le bitume du boulevard Saint-Michel est devenu un peu léger pour cette fonction purement littéraire et fonctionnelle.
trop gentille Claudine une fois encore
Dominique, est-ce qu'ils ont enlevé les pavés sous le bitume ? en faisant fondre...
Beau texte en petite nostalgie ...garder un bout de quelque chose..fatalement humain presse papier dans un vieux carton et personne ne saura plus ce que c'est
oui mais Arlette ça ne marche que si on détruit la maison avant, (sourire)
Il n'y a pas de petits plaisirs. Rien que des grands.
toujours un peu sur du grand, moi j'aime les miettes
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