M'en suis allée matin à
la recherche d'un cadeau tardif puis à la poste pour l'envoyer, me
gourmandant pour ce retard, pensant au choix pas si facile, ne
prêtant attention qu'à cela et au fonctionnement extrêmement flou
de carcasse, jusqu'à prendre conscience que cet état tenait
beaucoup au flou qui baignait la ville (me suis sentie nettement
mieux)
En paresse extrême ai
passé le reste du jour entre débat très très borné sur les
«mesures d'urgence» et la lecture de quelques uns des quatre-vingt
textes (écrits en clôture de l'atelier d'été de François Bon, en
lien plus ou moins directs avec les propositions précédentes
http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article4779)
Je vous parlerai d'une autre nuit
https://www.amazon.fr/gp/product/1791361986/ref=as_li_tl?ie=UTF8&camp=1642&creative=6746&creativeASIN=1791361986&linkCode=as2&tag=letierslivre-21&linkId=22e2b404ea91f4f478c2a6008e037b10
(502 pages)
et non
moins paresseusement, mais narcissiquement et bien trop longuement,
je reprends ici le 15ème signé Brigitte Célérier
Lorsque le soir tombait,
lorsque la ville se repliait sur la paix des longues soirées, il
marchait lentement, au crépuscule, suivant les remparts, dans le
lent évanouissement de la chaleur du jour, la fraîcheur humide qui
montait du fleuve, les odeurs qui s'éveillaient. Jusqu'à ce que
s'installe la nuit sur les rues désertées qu'il regagnait alors,
faisant sonner ses pas, comme une minuscule effraction, sur les
dalles, d'un îlot de vie (restaurant, boite, sortie de spectacle ou
petit commerce) à l'autre, savourant le calme serein des pierres
après la crispation joyeuse de l'été, et trouvant, à le fêler un
peu, une miette de puissance, la preuve de sa propre existence dans
le soir de cette ville. Et puis s'en revenait à pas lents, que
maintenant il voulait légers, s'appliquant au silence, les yeux à
l'affut d'un détail doré par le halo d'une des rares lanternes
économiques, pour s'asseoir avec un livre devant sa fenêtre ouverte
sur la nuit. Des longues journées prisonnières du travail et des
rencontres raides pendant toutes ses années parisiennes, quand sa
vie commençait bien après la tombée de la nuit, il avait gardé
des horaire décalés et le goût de ces heures lentes, accueillant
toujours, inconsciemment le déclin, la fin du jour comme l'entrée
dans un monde où se blottir, laisser tomber comme un manteau les
regards, les volontés des autres, se réveiller devant une page
blanche et qu'il n'en fasse absolument rien n'avait aucune
importance. La nuit était son amie, avec seulement lorsque, moins
souvent maintenant qu'il n'avait plus besoin de ce temps pour les
travaux, personnels ou non, que la presse du bureau ne lui laissait
pas loisir de faire comme il l'entendait, il la prolongeait jusque
là, le franchissement de l'heure blanche, vers trois heures du
matin, quand la fatigue pèse soudain lourdement sur les muscles,
quand les yeux tombent, se troublent, quand une petite douleur
refoulée revient comme une flèche, avant le plaisir, si, rarement,
de plus en plus rarement, il franchissait ce seuil, de cette langueur
où dansait un reste de lucidité, de l'importance, l'évidence prise
par des détails d'ordinaire inaperçus, cette sensation trompeuse
mais délicieuse d'être entré dans l'envers du monde quotidien. Et
puis il y avait, maintenant, l'âge venant, et ses journées étant
plus libres, moins pesantes, les nuits où il se glissait plus tôt,
vers deux heures, dans la douceur de ses draps et le réveil un peu
avant l'aube dans un monde neuf, encore dans les limbes, les volets
ouverts sur le froid un peu humide, parfois un bruit, mais adouci par
la distance comme par une crainte de déranger l'air, un sourire,
avant que, recouché il se rendorme aussitôt. Ce matin là pourtant,
aux toutes petites heures, bien avant ce moment, c'est la longue
plainte du vent qui l'a réveillé, insistante comme un appel auquel,
sa volonté raisonneuse encore endormie, il a cédé. S'est habillé
sommairement, enveloppé d'un manteau, est descendu. La colère du
vent l'a empoigné sur le seuil. Il s'est laissé porter comme un
fétu, suivant les remous de l'air qui se ruait, enserré entre les
deux parois de pierres de la rue, par cet orchestre géant dans la
nuit, d'un brouillard lumineux à l'autre, s'est jeté dans la brèche
d'une rue transversale pour y reprendre souffle en écoutant la
phrase claire et puissante d'une troupe de violons emportés dans le
ciel sombre, phrase ponctuée par les claquements désordonnés d'une
bâche, a continué son jeu, perdu dans cet opéra, dépassé par les
notes aiguës et pressées d'une boite métallique. Il a débouché
sur la grande place avançant dans un calme mouvant sous la grande
houle des platanes, masse sombre dansant lentement contre le noir
profond du ciel, cachant et dévoilant une tour illuminée, et il y
avait des pauses, des presque silences, de brusques reprises, la
complexité d'une musique dont il se régalait. Il frissonnait un
peu. Est redescendu, penché en avant pour forcer le vent, salué par
les premières fenêtres qui s'éveillaient, arrêté parfois par un
recrudescence du souffle, relâché brusquement... et il chancelait
un moment, se reprenait en quelques pas dansés. A retrouvé sa rue.
Depuis sa fenêtre a cru saisir le début de la lente montée de la
lumière. S'est recouché, s'est réveillé en retard.
6 commentaires:
Magnifique texte
les deux premiers (longs, et pour un très long) qui ouvrent le livre sont, eux, vraiment beaux
très fier de l'aventure partagée !
une masse de lectures... (et ça recommence !)
photo, musique et littérature : bel ensemble... :-)
ne me flattez pas (sourire) mais merci
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