Aux petites heures
matinales, au moins pour moi, me suis levée, douchée, habillée,
dans l'attente de la livraison de mon nouvel aspirateur... qui
n'arrivait pas. Suis vexée et vaguement inquiète parce que, âge,
carcasse en mauvaise passe ces jours, ou toute autre raison, je me
suis laissée envahir par un énervement sénile que les voix dans la
radio accentuaient. Ai sorti le sac de repassage, suis passée sur
France Musique, ai curieusement repassé avec plus de soin que
d'ordinaire, ai ouvert un fichier pour mettre en mots l'idée qui
commençait à se dessiner en réponse à la cinquième proposition
(grâce à laquelle j'avais passé deux heures agréables cette nuit
en compagnie du Pléiade Sarraute) de l'atelier de François Bon mais
l'énervement, – le président primant sur l'aspirateur –
occupait toute la place, j'en étouffais...
quand un charmant grand
gamin est arrivé avec l'objet attendu... le fait de le monter, le
passer à commencé à me calmer (je m'engueulais) mais je n'arrivais
toujours pas à renouer avec l'écriture des voix imaginées.
Un salut au tout petit
vent, qui remuait avec plus ou moins d'entrain l'ombre des plantes de
ma voisine, un salut au ciel bleu... fait cuisine, déjeuné, siesté,
lu les dernières contributions publiées (l'ensemble sur
http://www.tierslivre.net/revue/spip.php?rubrique17)
dont plusieurs pour la proposition 5 qui m'ont relancée... seulement
ce n'était pas le jour et au bout de huit lignes ai arrêté, remis
à plus tard – à moins d'une nouvelle entame –, la suite de mon
petit texte qui doit s'accrocher à l'un des paragraphes de ma
réponse à
que je recopie ci-dessous
C'était ou ce serait
l'heure imprécise où s'éteignent les rutilances ; les friselis de
l'eau feraient danser à leur surface un souvenir du rose qui
s'effaçait au delà, au dessus du Faron et de ses compagnons se
détachant, noirs, soulignés par un liseré d'un bleu gris qui se
pâmait pour se fondre dans l'absence du ciel. Je reviendrais, en
longeant la mince bande de galets qui s'enfonçait, caressée par les
petits baisers sans cesse revenus de l'eau sombre chantonnant
doucement sous la rumeur des voix, les quelques rires, en longeant la
terrasse du fort, dont les douces briques roses s'adouciraient dans
la lumière des lanternes et falots, vers la coupure qu'y ferait une
pente de béton, les deux mariés cloués par la lumière contre
l'imprécision d'un minuscule cap et vers le photographe accroupi
qui, son appareil pendant au bout d'un bras, échangerait avec eux
des plaisanteries légères et gentiment absurdes. Je m'arrêterais,
un peu avant lui, auprès d'un gamin, un presque adolescent, assis
sur les galets, jambes allongées, dos éloquemment tourné à la
fête, entre rêve et refus boudeur d'entendre son père qui
l'appellerait depuis la terrasse pour le dîner des enfants. Quatre
ou cinq photos en rafale, petits rires, la jeune femme a bu un reste
de champagne dans la flute qui avait fini de poser, le jeune ménage
est remonté vers la petite foule, les bouquets, les sourires, les
conversations, retrouvailles et rares phrases fielleuses, c'était un
mariage empli de grâce bienveillante. Le photographe tournerait la
tête dans ma direction, dirait «c'est beau» et je ne répondrais
pas, et puis «je n'étais jamais venu à ce fort, depuis sa
restauration» et moi «j'aime ces briques» et nous nous tairions,
partageant la quiétude qui montait de la rade s'endormant, cet amour
fort et mélancolique que les humains ont depuis toujours pour la
mer.
Je mélange l'affirmation
de l'imparfait et le conditionnel parce que je ne suis plus très
certaine des détails de cet instant d'une fête qui s'enfonce dans
la brume désordonnée qu'est pour moi le passé. Un peu surprise
aussi que ce soit, parmi tant d'autres, ce moment qui me revienne
pour y poser le désir latent de la palpitation de la mer dans
l'engourdissement, la disparition, du jour. Peut-être à cause de la
découverte du fort de l'Eguillette, le quatrième, le plus jeune
(achevé en 1680 me dit internet sur lequel je fais tardivement une
petite recherche) des quatre forts ayant presque les pieds dans l'eau
de la rade de Toulon, après la puissante tour Royale, anciennement
grosse tour, ses très épais murs elliptiques et leur parement de
pierres aux forts bossages, sur laquelle s'appuie la jetée de la
petite passe, après – plus familier, aimé pour cela et redouté
parce que les yeux, les jugements vrais ou imaginés du club
nautique, soit notre petite caste marine, portait à son comble ma
timidité d'adolescente au physique ingrat – le petit frère
qu'est à cette puissance le fort Saint Louis, après, plus proche
dans le temps de l'Eguillette et, comme lui, sur la presqu'île de
Saint Mandrier, face à la vieille tour royale, la tour ronde du fort
Balaguier de Louis XIII. L'écrin des formes précisément calculées
et imbriquées, des voutes adoucies par l'exotique tendresse rose des
briques, de l'Eguillette, le plus jeune des quatre forts mais aussi
le premier à ne comporter presque, autour d'une petite tour carrée,
que le déploiement des batteries basses, adaptées aux armements et
navires de l'époque, cet écrin dont le charme était assez fort
pour s'imposer, témoin indifférent, à la fête (première
réception organisée dans ses murs depuis sa restauration je crois).
Mais cette hésitation à
choisir ce bout du rivage de la rade, il y a quelques années,
recouvre un autre début de nuit, sur le sable de la petite plage de
ce que nous appelions encore La Pérouse et qui porte le joli nom de
Tamentafoust, devant le hangar à bateaux sous la villa familiale, un
ou deux ans après l'indépendance, en un temps où, tardivement, je
commençais à regarder le monde avec plus d'attention et de liberté
d'esprit, un temps de gêne ou petit désarroi quand à l'épicerie
du village tous les clients s'écartaient pour que nous soyons servis
en premier, comme de notables ou de pestiférés, même s'il y avait
aussi le groupe de femmes qui se réunissait autour de ma tante pour
parler de l'avenir sous le grand eucalyptus, temps d'affection
renforcée par la présence et de désaccord muet. Un soir où je
m'étais échappée d'une surprise-partie improvisée, par léger
ennui accentué par l'absence du trentenaire qui me tenait lieu pour
ces quelques jours de danseur habituel et dont l'attention me
flattait vaguement, un soir où assise dans la beauté de la nuit
proche,auprès de la petite jetée, dans l'odeur de la mer, je jouais
à faire glisser de mes doigts le sable d'un blanc maquillé en gris
par le crépuscule, les orteils jouant avec des graviers et coquilles
sur la laisse humide, en me récitant silencieusement, presque mot à
mot, une lettre, reçue avant ces quinze jours de vacances
algéroises, qui suggérait la fin d'une petite histoire à laquelle
j'aurais voulu croire, ce soir où, les yeux sur la limite entre le
noir de la mer et le bleu cendreux du ciel, je décidais, un peu
prématurément, de la fin de ma vie de femme, forçant un peu ma
peine pour en sourire. Un soir où, pour parfaire cette petite bulle
de souvenir, lui rendre la totalité de sa saveur aigre-douce, il y a
eu un appel à mi-voix et ce garçon un peu plus jeune que moi, un
majorcain petit et sec, descendant la pente depuis les jardins,
s'asseyant à côté de moi, et, comme si c'était normal, sortant
d'un petit sac une lampe de poche et un livre, disant «vous vous
souvenez, je vous en ai parlé» et commençant à me lire Kaputt de
Malaparte, le fermant en arrivant aux chevaux dans la glace.
Arrivée au quatrième
paragraphe, je me demande ce qui pourrait bien être fait de cela,
peut-être un petit film, un peu trop long, ou délibérément trop
long, avec l'image du petit ressac de la mer léchant des galets
auprès d'un rocher, et rien de plus.
10 commentaires:
joli texte
l'inspiration par a présence rassurante de l'aspirateur
Ton texte est absolument magnifique ...des échos en friselis comme la mer qui vient mourir sur le rivage je garde pour relire encore Merci
Il faut aspirer au calme...
Claudine, merci... pourtant il n'est pas fait pour ça (et j'aimerais qu'il m'inspire pour le 5 mais c'est mal parti ce matin
Arlette, grand merci (me remonte le moral, sourire)
Pierre, j'aspire, j'aspire
"Monsieur le Président, je vous écris une lettre, que vous lirez peut-être, si vous avez le temps..." : Boris Vian, malgré une certaine ressemblance physique, aurait pu envoyer une nouvelle missive en réponse à la marmelade qu'on a pu lire hier (il nous demande comment il doit gouverner).
On est en droit d'aspirer à autre chose : la littérature peut se passer de ces poussières-là. :-)
bon mon texte n'est sans doute pas de la littérature, mais l'est loin du Président
"La mer sans arrêt roulait ses galets, les cheveux défaits, ils se regardaient, dans l'odeur des pins, du sable et du vent........". Magie des textes, particulièrement le votre, avec ses couleurs et son léger voile de nostalgie, qui invite chacun à un voyage dans le temps.
toujours l'homme aimera la mer...
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