puisqu'effort j'ai fait,
passés les soins pour l'antre, de chercher des mots, en piètre
succès, puisque plaisir me suis fait, en lisant, écoutant, puisque
ne reste que blanc, reprends deux billets, évocation lointaine,
qu'avaient publiés les cosaques des frontières
http://lescosaquesdesfrontieres.com
Vincent était
marin
Vincent était marin,
depuis toujours pensait-il parfois, mais Vincent n'avait plus de
bateau, parce qu'il était trop vieux pour cela disait la loi, ne
trouvait plus d'embarquement, s'était persuadé qu'était venu pour
lui le temps délicieux de partager dorénavant, durablement,
infiniment, la vie de sa femme, la belle Blanche, et autant qu'elles
le voudraient et permettraient la vie de ses filles. Il avait creusé
sa place, Blanche lui avait installé un bureau dans la chambre de la
plus jeune des filles, Marie, qu'il avait, quelques années plus tôt,
accompagnée dans une église pleine de fleurs et de chapeaux vers un
grand suédois et qui s'en était allée... Il faisait de longues
promenades le long du littoral, il retrouvait des camarades qu'il
jugeait terriblement chenus, il tentait de petites incursions dans
les musiques et les livres qui étaient du goût de Blanche et de sa
bande, il s'attardait près des barques au bout du port, il rêvait
de pêches méditatives et allait se décider à s'offrir une
barcasse, un pointu – ravi en outre d'assister s'il le pouvait à
sa construction, comme chez un ami de son père autrefois – tant
pis si sa femme préférait les sorties amicales sur le voilier de
l'un ou l'autre de leurs amis. Mais un soir très doux la quiétude
de leur tête à tête fut fracassée par un coup de téléphone,
l'annonce de la mort de leur aînée dans un accident de voiture. Et
de l'ami qui les prévenait, en réponse aux questions pratiques,
presque immédiatement pratiques, que posait Blanche à voix
étranglée, pendant qu'il pleurait doucement, en retrait, en
attente, ils apprirent que Félix leur gendre était en congrès à
Buenos Aires – pourquoi à Buenos Aires, il ne savait pas, ça
n'avait pas d'importance, d'ailleurs il rentrait bien entendu, il
avait trouvé une place sur un vol, il serait à Paris le lendemain
matin, on l'attendait, oui Alexia était là, elle s'occupait des
enfants, oui il l'appelait – Blanche a reniflé et puis – oh
Alexia quelle chance que vous soyez encore là, pouvez-vous faire
dîner les enfants, nous partons, dans une heure ou un peu moins,
nous devrions être là dans – le regardant – dans un peu plus de
trois heures, pouvez-vous... ah oui merci repassez moi Monsieur
Isnard, tiens je vous embrasse Alexia... oui votre femme vous
rejoint, vous nous attendez, merci, vous... et elle s'est mise à
pleurer, il lui a pris l'appareil, il a remercié, raccroché. Alors
ils se sont regardés comme des rescapés dans des ruines, ils se
sont cramponnés l'un à l'autre un court instant et puis ils ont
fait leurs valises et il les a refaites posément, sont partis. Et ce
furent des jours pleins de peines, d'affairement, d'allers et venues
dans l'appartement au bord du fleuve, de corps qui se croisaient en
évitant de se heurter, de regards muets qui se détournaient, de
mondanités aussi, prises avec le détachement attentif que l'on a
pour ce qui vous est étranger et insipide, et quand ce fut fini un
petit colloque entre leurs trois coquilles vides, la décision de
Blanche de s'installer dans un petit appartement pas trop loin –
parce que Félix vous ne pouvez pas vous occuper seuls de vos cinq
enfants – et l'acceptation – il a vérifié, vaguement surpris,
qu'elle était sincère – de Félix, deux jours de recherches, la
trouvaille de deux pièces – mais c'est charmant a dit Blanche –
à un quart d'heures de marche, la location. Et il est reparti, avec
toujours cette impression d'être dans un rêve, un rêve qui se
faisait doux-amer maintenant qu'il avait quelque chose à faire,
s'occuper de leur déménagement...
Blanche, un peu perdue
dans les premiers jours – satisfaite, disait-elle, d'avoir ainsi le
temps de se consacrer complètement à ses petits-enfants, – se
reconstitua, en quelques mois, grâce à ses anciens amis, un petit
cercle, ce qui lui permit d'admettre, à la satisfaction muette des
enfants, peut-être de leur père, et sans doute d'Alexia, la femme
qui depuis des années régnait avec la collaboration de leur mère
sur la vie de la maison, que son rôle pouvait se limiter à une
présence proche et accueillante, un recours, à la supervision des
devoirs du dernier, à des sorties cinéma ou théâtre, au prêt de
livres et au déjeuner du dimanche. Vincent l'accompagnait aux
concerts, aux quelques diners où ils étaient invités, guère ou
pas du tout dans ses visites, passait, comme dans leur ancien
appartement, la plus grande partie de ses journées dans une partie
de la grande pièce où elle lui avait créé un domaine, tapissant
deux murs en retour de rayonnages encadrant sa table bureau, et
lorsque la certitude de son âge, de son exil loin de la mer se
faisait trop pressant, il sortait sur la petite terrasse jetée vers
la rue avec un élan arrondi comme une passerelle qui l'avait séduite
dès sa première visite, lors de ses recherches d'un point de chute
dans cette ville, et il restait là, sa pipe s'éteignant, ses yeux
tentant de gommer les toits, la masse des platanes, le rempart qui
lui masquait le fleuve proche. Et si le temps le permettait, était
assez clément, ensoleillé, pour qu'il ne s'attire pas de reproches
inquiets, il prenait sa canne et s'en allait à pas lents, suivait
leur petite rue, franchissait la porte, traversait un pont –
s'arrêtant au milieu, les deux mains fermement posées sur la
rambarde, avec l'écartement précis qui lui semblait idéal pour se
sentir posséder l'eau, ce courant vert et bleu qui s'en allait sous
lui vers son monde – et s'en allait au long des routes, puis des
chemins de la grande île qui s'étalait dans le lit du fleuve, face
à la ville, allongeant son pas à travers cette campagne si proche
et presque ignorée des citadins, suivant des murs de propriétés,
le grillage d'une pépinière, des champs, souriant à une herbe
rousse, à une petite anse qui se découvrait brusquement entre des
buissons, s'arrêtant auprès d'étangs qui étaient restes d'anciens
bras du fleuve, jusqu'à rejoindre un barrage, et il restait là,
assis sur l'herbe pauvre, méditant. Et puis s'en revenait serein.
11 commentaires:
je n'avais pas vu que la gauche du clavier était aussi crasseuse
oh, j'adore votre commentaire de 12:04; ça fait plaisir de vous retrouver aux affaires !
ben moi je crevais de honte (ai nettoyé)
Ravie de vous lire de nouveau chère Brigitte !
toujours contente après vous avoir lue Marie-Christine
(les Mac blancs se salissent vite, il faudrait pouvoir les éplucher comme des pommes...)
Quand les Cosaques reviennent à la charge, cela fait toujours plaisir ! :-)
Dominique merci en mon nom pour votre indulgence, et merci au nom des cosaques
Tiens ...on dirait mon bureau moins abimé que le mien (a beaucoup véc mon clavier était blanc et me sers d'un vieux noir ...moins salissant il est vrai Aime tes re re agréables à relire comme une première fois
moins abîmé ? aurait grand besoin d'un passage chez un gainetier… (si ça s'appelle comme ça) et je me demande s'il n'est pas plus vieux - a un peu plus d'un siècle mon meuble hérité
beaux textes à relire
pour avoir un clavier propre, j'ai changé d'ordinateur, mais la craie revient vite
avec le mac on peut changer de clavier en gardant l'ordinateur… mais ma foi je tente de faire durer les deux
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