Avignon
la Provence écrasée
goûteuse et lasse d'un
matin d'été
Brigetoun paresseuse
supprime cinq minutes de marche rêve
à une femme pour le 5 de
l'atelier du tiers.livre
http://www.tierslivre.net/ateliers/
et reprends sa réponse au
#1 une phrase, des sols
En sautant
les parquets
Je me suis assise sous la
branche qu’un arbre lançait vers la plaine sous le rocher, les
jambes, vibrant encore de l’effort, étendues devant moi, les
talons plantés dans le sol juste à la limite de la tache d’ombre,
là où le soleil de juin commence à brûler la terre, à la
décaper, à en détacher une fine couche de poussière qui nie
l’idée de végétation, écho des pentes cabosseuses qui nous
servaient de cour de récréation chez les nonnes de Toulon ne
donnant force qu’à de hautes herbes sèches en partie basse et à
un très vieux figuier rampant agrippé à mi-côte dont les figues
blanches presque sèches à la rentrée de septembre étaient le
privilège délicieux des élèves de terminale assises sur ses
racines pour se raconter leur été, écho de la pinède qui se muait
peu à peu en sable gris autour des blockhaus à Hyères, ce sable
sale que la résine et le sel collaient à mes jambes autour du ou
des furoncles renaissants que ma mère brûlait le soir, écho de la
terre meule à la limite de l’abri du gigantesque tilleul de
Solliès, juste avant les rangées de tomates ou de salades, là où,
les derniers graviers s’enfonçant dans mes cuisses, penchée sur
leur affairement, je m’appliquais à entraver le cheminement des
fourmis chargées de minuscules provisions avant de galoper avec les
autres, appelés vers la rigole longeant le jardin pour assister au
moment où, parce que c’était notre heure, notre vieil ami
libérait l’eau – et nous le suivions au long des petits canaux
pour avoir le droit de soulever les petits barrages métalliques,
d’admirer l’éveil de la terre qui buvait sa ration de vie
liquide – juste avant que nous repartions sur les dalles de terre
cuite de l’allée, entre les rangées de buis vers le goûter,
laissant nos sandales au seuil de la porte pour entrer, en refoulant
les lanières du rideau, dans l’odeur de cire, de miel, de pommes
murissantes, les pieds nus sur les carreaux blancs et verts qui, par
delà les tomettes auxquelles nous étions habitués, nos tomettes un
peu trop neuves dont les couleurs trop proches ne chantaient qu’en
mineur l’harmonieux camaïeu, me rappelaient – les autres étaient
trop petits ou je le pensais – les carreaux juste un peu plus
raffinés de la maison de La Pérouse – je n’ai appris qu’il y
a quelques années le beau nom berbère oublié pendant un siècle,
Tamentfoust, de ce petit port et son antiquité – avec leur bordure
d’acanthes vertes et bleues inspirée de la céramique ancienne
remontée autour de la fontaine dans la cour, entre le jardin de
terre battue et la villa sur la mer au dessus du hangar à bateau qui
s’ouvrait sur le sable fin de la plage, juste après les restes
d’une petite jetée sur les pierres glissantes de laquelle nous
allions, couteau en main, décoller ces délicieuses anémones de mer
que nous regarderions ensuite se réduire dans la poêle, condensant
en une toute petite purée de saveurs le contenu du grand seau
remonté par le petit sentier qui la prolongeait, la porte de bois
peinte en vert à mi-hauteur, avant la rue de terre battue séparant
la rangée de maisons bourgeoises de la petite ferme aux oies
caqueteuses qui me terrorisaient, la rue pleine d’ornières sur
lesquelles cahotait la traction de mon oncle où nous nous entassions
pour aller à la ferme près de l’embouchure du Hamiz, les premiers
coquelicots dont je me souvienne, entre les roseaux, la grande cour
de terre entourée de bâtisses basses qui ne doit plus exister
maintenant – la zone semble lotie, incluse dans la banlieue
balnéaire d’Alger – dont je me souviens fort mal ou pas du tout,
plaquant sur ce mot de ferme des images venues de toutes les vacances
en Haute-Savoie ou en Auvergne en un mélange un peu flou mais à peu
près homogène malgré les différences de paysages et de terroirs
d’où ne se détachent que, plus récentes, les longues bâtisses
basses en pierres des petites exploitations éparpillées au bord des
chemins creux du hameau autour de la maison des courtes années
heureuses en Limousin, au temps de ma découverte tardive de la
sensualité des terres riches, de l’humus, des forêts humides, la
maison aux dalles de pierre usées, aux cheminées profondes, avec sa
porte surmontée d’un bandeau où était sculpté «chabatz
d’entrar» et le fer fixé dans la maçonnerie pour nettoyer
chaussures et bottes et… J’ai pris soudain conscience du soleil
qui atteignait maintenant mes avant bras, mes mains appuyées sur la
pierre de mon banc, et j’ai réalisé que madame ma fantaisie
flânant derrière mes petites puis grasses jambes d’adolescente
s’était tant attardée que les sols de ma vraie vie, ou ma vie
d’adulte, ma vie en propre, sols du nord, planchers raboteux,
planchers bien sages, jouissance des parquets des musées ou
monuments, horreurs des minces parquets dits mosaïqués posés sur
les sols chauffants des appartements bourgeois des années 60 ou 70,
macadam – et les pavés qui sont apparus lorsque il y a si
longtemps on l’a attaqué ou fait brûler – allées sages du Père
Lachaise, trottoirs divers, quais de bord de Seine et quais du métro,
et la navrance des couloirs suivis à la Défense pour attraper un
bus vers Bougival, avec les flaques quand leur plafond pleurait pour
m’accompagner vers la chambre où mon père avait décidé qu’il
avait suffisamment vécu, la terre du jardin du Palais Royal, les
allées de Saint Germain, et puis les monts d’Ambazac avant le
plaisir visuel des calades où me tordre les chevilles… mais comme
il était trop tard suis sortie du jardin, descendant vers les dalles
blanches de la place du palais.
8 commentaires:
carrelage au soleil comme une surface liquide en miroir... :-)
à en avoir peur de glisser (sourire)
Une phrase proustienne où se glisse bien de la nostalgie...
un très grand merci Pierre de m'avoir fait l'honneur d'une lecture patiente
la phrase recommencée sur ce parcours revu plaisir répété
Fluidité des paysages, des sentiments, des sensations méditerranéennes et cette capacité extraordinaire de la mémoire à remonter le temps. Les retours en arrière sont toujours beaux car débarrassés de l'angoisse existentielle de l'instant présent.
Claudine, vous admire d'avoir refait le parcours
Godart et puis ils donnent la possibilité à soixante cinq ans de distance ou plus de re-créer les détails oubliés à partir de la brume d'une sensation presque oubliée
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