puisque je ne vais à Grignan qu'aujourd'hui et puisque cette sacrée Angélique-Marie me titille toujours, je l'accompagne dans sa matinée, au présent pour me la rendre plus proche.
Elle se pose sur une causeuse, dans la lumière douce du matin et prend le livre que son fils lui a envoyé de Paris, lui promettant surprise et dépaysement. Surprise, oui, puisque mon auteur imaginaire a choisi une intrigue comme elles n'apparaîtront à ma connaissance qu'un peu moins d'une quinzaine d'année plus tard, chez Poe, dépaysement puisque l'action se passe dans cette Chine qui, en 1817, est pour une dame avignonnaise chose à peine imaginable ; elle a bien vu chez Monsieur Le Varnier une portière brodée et une drôle de statue accroupie, dans une pierre étrange, douce sous les doigts, et un grand-oncle d'Anne-Françoise a disparu, dans des temps très anciens, dans cette énorme étrangeté où les jésuites l'avaient envoyé.
Elle plonge dans le récit. Il y a un vaisseau qui relâche dans un port grouillant, au milieu de bateaux qu'elle imagine un peu semblables aux tartanes, un beau matelot qui disparaît dans les ruelles de trafics.
Le second du bateau s'abouche avec un armateur et ce qui correspond au capitaine du port. Une drôle de conversation entre eux, en présence d'un policier, dont elle savoure la description, et d'un interprète maltais.
Renaud Forbin suit les recherches... rencontre d'un chef de mendiants, d'un négociant à la belle barbe claire (elle découvre que les barbes chinoises sont clairsemées, presque transparentes) et de ses commis, gardes, miliciens. Dans une maison d'opium, aux laques écaillées, ils perdent l'interprète.
Son remplaçant, qu'ils débusquent dans une petite maison coincée entre deux grandes demeures près du Yuyuan, dont elle apprend que cela signifie "jardin de la joie", a une fille que l'on charge de garder ce grand diable qui freine les recherches.
Bien sûr, pense Angélique-Marie, cet idiot va tomber amoureux, et, en effet, au moment où elle réalise qu'il faut interrompre sa lecture et se préparer, il a, en contemplant la jeune femme, marchant à ses côtés après le repas étrange auquel elle l'a initié, dans un joli pavillon sur le lac, cette phrase un rien précieuse et à laquelle la belle ne doit rien comprendre : "La dentelle de ton regard illuminait le restaurant chinois".
Le thème de http://coitus.impromptus.free.fr/dotclear/ est, cette semaine, "tonalité polar - le texte doit finir par la phrase : la dentelle de ton regard illuminait le restaurant chinois.
Après nos élucubrations, Angélique-Marie met une jolie capote ornée d'un bouillonné assorti à sa fraise et un joli châle, prend son réticule avec la lettre, et part à pieds dans les rues sales. (et la seconde photo devrait être là). et je ne sais quand je rentrerai de Grignan.