Dimanche matin, regarder
la lumière blanche, relever deux pots, grimacer aux premières
gouttes, trouver la confiture d'arbouse d'une fadeur extrême ce
matin, entrer dans le jour avec le petit marseillais, comme chaque
jour, un peu davantage – choisir abricot et basilic pour la douche
(mais l'imagination doit intervenir pour que vienne l'assiette
d'abricots posée sur le ciment brûlant du balcon toulonnais à
l'heure de l'apéritif et le liquide ensoleillé coulant dans la
bouche au dessert) – trahir pour thé vert en friction et pierre
d'alun – faire mousser cheveux avec jus d'ortie et citron – les
soigner avec karité et miel – les démêler avec jasmin – savoir
que je suis ici, un peu du sud – savoir que c'est chimie, mais
évocatrice, discrètement et presque naturellement parfumée et de
bonne et simple qualité.
Avoir honte pour travail
manquant en France, et exploitation vertigineuse on ne sait où, mais
sourire aux premières chaussures coco de ma vie, envie l'autre jour
sur le chemin des Halles, au prix délirant de faiblesse, commencer
leur acclimatation à mes pieds, ou le contraire.
Vouloir me lancer dans le
vase sur le bord duquel suis perchée, cherchant en vain en moi la
fantaisie , la poésie, l'esprit de celle qui m'accueillera, se
pencher pour plonger, se rétablir brusquement, rester un moment
tremblante, risquer un, plusieurs orteils, le pied, le regarder,
grimacer à mon manque d'audace, entendre la radio, en rester là.
Début d'après-midi,
pluie qui se veut presque drue, vent moyen, je raye, même si contre
toute raison elle est maintenue, la fête des «1000 pagaies» sur le
Rhône, où j'aime faire un tour, qui est joies, sympathie, plaisir
et petites angoisses pour ceux qui se risquent, plaisir simple des
sourires, du soleil sur l'eau, de la paresse au bord du fleuve pour
les autres... à oublier cette année.
Repassé un peu, dormi
comme ne devrais pas, éternué beaucoup, lu fort peu,
recherché cette image
prise hier - yeux qui glissent sous l'escalier de la galerie,
découverte de cette improbable salle de classe vide à l'exception
d'une maîtresse très hypothétique, sans lien visible avec les
roses ou les papes, saisie comme l'éclair de souvenirs qui se
ruaient, que j'ai refoulés.
Ce serait souvenir de
salles de classe, pas la première, celle du Conquet où les tables
étaient de bois sombre, liées, fixées aux bancs, comme dans les
églises d'antan les chaises l'étaient aux prie-dieu
Ce pourrait être celle de
la rue Dupont à Alger, celle de Sainte Marguerite à Toulon, ou, des
années plus tard, les évolutions matérielles étaient lentes en
mon temps, plutôt celle de la classe de première, dans le petit
bâtiment enfoui dans un creux, en entrant à Saint Dominique,
derrière la haie de lauriers – et les tubes courbés qui servent de
pieds me le disent par leur relative modernité. Tables devenues
désuètes alors, quand les bics n'étaient pas encore admis, ni les
feutres, mais que nous avions toutes des stylos, généralement sans
pedigree, et que les trous pour les encriers restaient vides.
Nostalgie pour ces
cylindres de faïence blanche à collerette – les heures d'ennui
passées à les pousser aussi discrètement que possible – et
j'étais aussi peu douée pour cela que pour le sport du chewing-gum
clandestin, désavantagée en ce cas par ma détestation de cette
gluance pâteuse – pousser sur leur base, les faire jaillir au
dessus de la table, les faire danser un peu, sans que jamais ils ne se
renversent – moindre nostalgie pour les plumes, les échanges, les
concours à celle qui aurait les meilleures, les plus chères.
Ce pourrait être aussi
mes seuls jeux avec des poupées, mon poupon de celluloïd, ma
Bleuette (poupée que les moins de soixante ans ne peuvent pas
connaître) celles de mes soeurs, et puis les peluches que je pouvais
attraper, que j'installais tant bien que mal pour leur faire la
classe ce qui m'a sans doute dissuadée d'envisager l'enseignement,
exaspérée que j'étais rapidement par leurs réactions obtuses,
leur manque de réponse, leur dissipation et tendance
à s'effondrer, et surtout par leurs parents qui voulaient à toute force
les faire déserter.
Ce pourrait être bien
sûr, la classe morte de Tadeus Kantor, mais je suis trop vieille,
n'était pas écrite, et j'étais sans doute bien incapable, à sept
ans, de cette pensée tragique, même si j'étais une petite fille
méditative.
Pardon, c'était Brigetoun
en roue libre, pour retarder repassage.
14 commentaires:
Le repassage repassera... parce qu'il y a de beaux souvenirs décrits avec force de nos vieilles classes d'antan au temps des encriers. Ces pupitres pourraient dire tant de choses sur chaque élève qui les ont utilisés...
...et les écoliers partis ailleurs repasser leurs leçons.
La photo a de la classe, aussi.
"la fantaisie , la poésie, l'esprit", tu en es déjà très bien pourvue, et cet article est très joli...
oh Bruno merci - et plaisir de te retrouver
Séquence nostalgie...
Pensées mouillées Toulon triste Toulon en pleurs irrémédiablement toute la journée et grondement effrayant des vagues à la Mitre sur le sentier des douaniers
Comme il est agréable de lire ces mots et de se balader sur "tes" rives, celles de ton âme poétique... Retour d'un enfer familial (le cancer et une de mes filles...) il n'est pas de plus réel plaisir. Le plaisir c'est vivre, n'est-ce pas ?
De l'eau qu'ils disaient, de l'eau!
Et nos nappes phréatiques qu'ils se lamentaient...
Et nous voici servis jusqu'à plus soif. Qu'avons-nous fait au ciel pour qu'il ne cesse de pleurer ?
Aussi, par ces temps de chien, rien de mieux que la roue libre : laissons-nous bercer par les flots en guettant la colombe et son rameau d'olivier.
Duszka être capable de trouver le plaisir de vivre, ce qu'il y a d'admirable chez les humains
et voilà que mon ordinateur sent le jasmin, le basilic et le miel... mmmhh !!
des chaussures coco pour traverser le chanel ?
Tu boudes le repassage ? faut le fer !!
Un repassage
Il faut le faire
Moi je préfère
Un repas sage.
Le dire c'est bien, mais le fer, c'est mieux.
je l'ai fait (zut peux pas jouer)
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