C'était, dans le salon
des grands-parents un grand-oncle qui me trouvait une ressemblance
avec la femme morose en robe puce et petit chignon, visage ovale
classiquement penché dans l'ovale découpé au centre du lourd cadre
rectangulaire de bois doré. C'était ma mère dans la petite
lettre-legs, ou le club des soeurs et le frère , je ne sais plus, me
l'attribuant. C'était l'aimer par une sympathie mélancolique, avec
un peu d'ennui et un petit recul devant son insignifiance comparée
aux photos radieuses de sa fille ou belle-fille, mon arrière
grand-mère, et le charme et l'assurance de la généalogie de femmes
qui me précédait. C'était, un mois après le second deuil, le
rendez-vous avec une entreprise de déménagement conseillée par le
garde-meuble où j'avais retenu un petit emplacement, pour libérer
l'appartement, et avoir temps et énergie de tenter de faire place
dans mon petit taudis. C'était embarquer avec les déménageurs dans
le camion où ils avaient chargé le tableau, un petit carton
contenant quelques assiettes à dessert aux roses pâles doucement
ridicules que j'avais offertes à ma mère, deux dessins d'un ancêtre
dont j'aime la mini révolte et le talent, une grande bibliothèque
et la jolie petite table volante aux longs pieds, belle copie du
début 19ème d'un type Louis XVI, qui m'était vieille amie. C'était
la gentillesse bavarde des deux bonshommes, le long périple fait
avec eux pour des livraisons avant d'arriver devant le grand hangar
de ciment. C'était être à coté de moi, à côté du monde, hors
de toute réalité, dans une lassitude neutre. C'était signer des
papiers en leur laissant le soin de ranger mon dépôt. C'était
fermer devant eux le verrou, après un coup d'oeil rapide buttant sur
le chêne noir de la bibliothèque. C'était revenir avec eux un peu
plus d'un mois plus tard pour le transfert final. C'était le choc
incrédule en constatant l'absence du cadre et de la table. C'était
comprendre qu'un diable avait sans doute été soigneusement laissé
hors de ma vue. C'était leur tranquille déni et mon incapacité à
sentir autre chose que ma culpabilité. C'était le tenancier des
lieux me disant que son assurance ne paierait rien puisque c'était à
moi de vérifier la présence des meubles et objets lors de la
fermeture, et puis me moquer de l'argent. C'était ne pas avoir le
choix, monter dans le camion où le reste avait été chargé,
remercier les deux bonshommes du mal qu'ils s'étaient donné pour
hisser la bibliothèque par mon petit escalier. C'était prévenir
les soeurs. C'était leur réprobation et leur pardon. C'était me
refuser tout pardon, et regretter ce visage bien plus que je n'aurais
aimé le trouver tous les jours sur le chemin de mon regard.
Ce fut un petit matin
de grondement de l'air derrière les volets bleus, ce fut l'idée du
froid plus que sa réalité, ce furent quelques pas à peu près
lucides sur internet, une accalmie, les volets ouverts, un petit
frisson, une lumière qui pensait venir et le balancement lent du
roseau, se rendormir.
Ce fut se réveiller à
nouveau, fort tard, renoncer aux halles, un petit tour utile dans le
quartier, se rabattre sur imitations de ce que voulais et revenir,
yeux pleurant en grande humidité pour la première fois de l'année,
le ciel pur sans violence, les branches mouvantes, secouées de
brusque frénésie parfois, ce fut l'antre, une remontée rapide de
ce qui s'était posé sur twitter, ce fut une journée un peu à
côté de soi, lucide, assez, mais non engagée dans cette lucidité,
sauf éclairs d'acquiescement à ce que lisais, ce fut un essai
d'élagage de mon vase sans forme ni idée, ce fut reprendre un vrai
ou faux souvenir qui s'était risqué sur un ancien convoi des
glossolales, http://leconvoidesglossolales.blogspot.fr/
et que j'hésitais jusque là à rendre évident.
5 commentaires:
Un oubli qui rend malheureux parce que la pérennité du souvenir est compromise. Beau texte sur une image devenue fugitive parce que rangée loin derrière les souvenirs. Et retour du bleu azur qui écarte ces nuages qui assombrissent la vie.
Mais le verrou, c'est aussi un tableau...
a grand mère avait quelques dizaines d'années de moins
L'esprit égaré
le tableau évanouit
on ne sait renaît
ses traits dessinés
à l'estompe du souvenir.
C'est bien souvent ce que nous n'avons plus qui devient si précieux et irremplaçable
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