C'était s'arrêter devant
une des innombrables, ou presque, échoppes de lunetiers, oeil attiré
par les reliures défraîchies, et ne voir les lunettes qu'ensuite.
C'était, comme le veut
l'esprit du temps, comme le veut la pente de l'homme, se souvenir
vaguement, se complaire dans ce souvenir, pour meubler sa marche.
C'était, jeudi, regarder
la photo instinctive-on-ne-sait-jamais, pourra servir.
C'était reconnaître la
carte de France avec les cours d'eau guide-crayons, mais qui n'est
apparue qu'avec l'apparition, en mon adolescence, ou pré-adolescence,
des objets de plastique, des stylos-billes et de leur autorisation en
classe (pour les feutres il faudra attendre la philo pour qu'ils
soient tolérés avec un reste de réprobation).
C'était voir le bois
clair trop lavé et les tubes de métal courbés, c'était se
souvenir.
Je me souviens de la
modernité ébouriffante de ce nouveau mobilier, en quatrième je
crois, dans l'une des classes récentes de Saint Dominique, au
premier étage du laid petit immeuble-construit-pour-être-classes,
mais c'étaient des pupitres doubles, où nous étions rivées pour
un an à une camarade non choisie (la technique de F qui faisait
claquer ses phalanges quand elle constatait que je remplissais trop
vite ma copie, pour me déstabiliser et prendre la première place,
en ces temps où j'étais encore assez brillante, où elle l'était
non moins).
Je me souviens
qu'auparavant j'ai connu des tables, plates ou penchées, de bois
sombre, les creux entre les planches, où planter une brindille, une
pointe de compas, et les bancs, mobiles ou liés au pupitre, mais je
ne sais plus associer l'une ou l'autre de ces variantes à la classe
du Conquet (là je me souviens surtout des crochets où nous pendions
nos manteaux ou pèlerines, ou châles, ou gros chandails, sous
lesquels nous enlevions nos galoches, nous comme les petites filles –
et garçons, tiens, oui, il me semble, ce fut ma seule classe mixte –
du village, à partir du moment où ma mère a renoncé, pour mon
plus grand plaisir et ma fierté, aux chaussures de cuir qui nous
singularisaient et dont les semelles, mauvaises en ces temps là, ne
supportaient l'humidité prégnante),
du Conquet, donc, ou à
celle de Sainte-Marguerite à Toulon, où j'avais commencé à
prendre une pointe d'accent, cette petite école qui est vague dans
mon souvenir, réduite à son nom et à la lumière blonde de la
maîtresse,
à celle de l'école de la
rue Dupont – je ne sais pas quel est son nom actuel – en bordure
de Bab-el-Oued (et le souvenir, là, est de ma grande amie, dont j'ai
oublié le nom, kabyle je pense, belle et maigre, que je ne pouvais
recevoir chez ma tante, parce que l'appartement était trop petit,
qu'elle avait trop à faire avec ses enfants et nous, A et moi, qui
lui étions confiées, et puis, peut-être, mais ça ne se disait
pas, se pensait à peine, parce qu'elle n'était pas «européenne»
et surtout qu'elle était très pauvre, d'ailleurs il n'était pas
question non plus qu'elle m'invite dans sa masure, on disait gourbi,
mais j'ai souvenir de rires, de niches faites aux trop bien vêtues,
trop orgueilleuses, de ses dessins, de galopades - je crois, ou
j'invente, là - sur le chemin, et que, comme moi – et pas mon
cousin – elle avait réussi du premier coup son examen d'entrée en
sixième)
ni à celle du Collège de
Toulon. En ces temps là, jeunes que vous êtes, les Lycées étaient
réservés aux Garçons, les collèges aux filles, et, en principe,
l'enseignement était le même. Nous nous
retrouvions pour le BEPC.
Ouille, tout ceci n'a
aucun intérêt, mais je me suis laissée aller à cette dérive, en
vertu du temps jadis qui est toujours plus beau – que de petites et
grandes peines pendant toutes ces années, et le début de ma révolte
contre le monde et les femmes de la famille – qu'il est
éternellement à la mode et que nous sommes conditionnés pour faire
le bonheur des brocanteurs et de ceux qui re-éditent nos vieux
plumiers, les cahiers de brouillon avec table de multiplication au
verso (ne les ai connues que vers douze ou treize ans, je trouvais
parfaitement inutile de les apprendre) etc.... tellement chics ?
Pardon, j'arrête.
6 commentaires:
Encore un joli voyage dans le passé odorant et sonore.
Merci
Les souvenirs scolaires sont une mine (de crayon ?) et il faut parfois mettre un casque pour s'y aventurer !
Pourquoi pardon? Vous nous faites voyager...
merci aux bienveillants passants
D'échos en échos tes souvenirs sont nos souvenirs aussi et caractères rebelles ou non
le pupitre est d'époque
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