Je
suis montée, en début de journée, vers la place, sous un ciel
toujours gris,
mais d'un gris qu'un vent léger remuait lentement,
dans un air encore piquant qui heurtait parfois d'un souffle froid
visage et mains.
En
voyant les barrières le long des trottoirs, je me suis souvenue que
nous étions dans le jour du tour des remparts (course
de 11.000 mètres), étonnée de ne rencontrer ni public ni coureurs.
En
arrivant sur la place, j'ai vu, au dessus du palais, des fissures
dans le blafard, des trous de bleu, et j'ai réalisé, devant les
installations incomplètes sur la place, qu'il était trop tôt pour
la course – mais, comme j'avais mon appareil à la main, par
réflexe, j'ai pris photos sans relief de ce rien, photos que je vais
poser sur Paumée, ma foi tant pis, en ponctuation dissonante, alors que je
voudrais parler, ici, de photos autrement sensées...
Parce
que, rentrée en trouvant la clarté au coin de ma rue, au dessus des
remparts, je suis restée paresseusement dans l'antre - pendant que,
dans l'après midi, les courageux tournaient autour des remparts –
et j'ai écouté ou entendu France Musique, pendant que je reprenais
mon cheminement dans La main de l'aveugle, l'eBook
généreusement proposé par Pierre Ménard : suite de textes, de
photos (c'est à dire suite si on en décide ainsi, mais dans
laquelle on peut circuler à sa guise, au hasard, ou selon les lieux,
selon les thèmes, en cliquant sur les liens) qu'il présente ainsi :
La
photographie, comme l’écriture, est un travail de lecture. Je
regarde autour de moi, ce qui retient mon attention (en voyage, en
marchant, dans le train) ce qui change sans cesse, c’est comme un
récit qui se poursuit, évolue au fil du temps : écrire avec ce qui
a déjà été écrit, lire c’est pareil, et regarder aussi.
..
Cette
année, j'ai consulté chaque jour les photographies prises l'année
précédente, les phrases sélectionnées en regard, et j'ai écrit
un texte sur la photographie lorsqu'une image se formait en moi en
réaction à cette photographie, parfois pour la décrire (même si
ce fut assez rare), souvent pour réfléchir à une idée, une
émotion, une impression, une envie, liées à la photographie et ce
qu'elle révèle en moi sur le regard que je porte sur la ville, les
visages, la mémoire, le quotidien, ou l'intime.
Et
l'on peut ainsi passer de : ce temps c'est mon histoire - J’ai
vu la fin du monde se produire sous mes yeux - du récit de ce
qui a provoqué cette photo d'un vieil homme attendant un autobus,
avenue Mathurin Moreau, passer de sa description minutieuse, lignes,
lumière, se muant en belle méditation
… Une
photographie c’est une histoire qui s’écrit au fil du temps.
…..
Nous
croyons à l’objectivité de nos perceptions et de nos souvenirs.
Mais nos attentes et nos désirs modifient constamment notre
perception du monde. Nous ne voyons pas le monde tel qu’il est. La
photographie est toute entière au service de cette illusion de
miroir du monde.
La
photographie ne se fabrique pas au moment de la prise de vue. C’est
une affaire de cadrage et de retouches.
En
prenant ma photographie j’arrête le temps, mais je sais ce n’est
pas un arrêt définitif, rien de sacré, de gelé dans cette image,
c’est un temps suspendu comme lorsque je ferme les yeux, l’espace
d’un instant, un clignement de paupière, cette courte fermeture au
noir c’est une façon d’ouvrir les yeux, de voir enfin ce qui
m’entoure.
en
cliquant sur la photographie ne se fabrique pas.... passer
donc à accords et désaccords - Pendant l’attente, penser à
autre chose qui déjà se construit – la place de la République
en travaux, l'idée d'une déambulation dans la ville, d'un trajet
qui se modifie au gré des impulsions et se retrouver au Carrousel,
croiser Woody Allen, se muer en paparazzo, et ce texte est
spécialement régalant, avec la marche qui se poursuit
J'avance
dans le récit à pas lent, celui de la marche, que je tente de
décrire en prenant le temps de me souvenir de tout ce que j'y ai vu.
J'avance
dans la phrase au même rythme pour ralentir sa progression, me
permettre de revoir le périple en détail, avec un regard
méticuleux.
Pendant
de longues minutes je traverse la place, passe devant les objectifs
de tous ces touristes de passage se photographiant et je sens leur
présence, supporte leurs regards insistants, évite en vain leurs
flèches invisibles. J'essaye de les éviter en tout cas, ne pas
entrer dans le champ de leurs photographies, leur faire rater leur
photo en y apparaissant subrepticement, forme floue, fugace,
silhouette masquant l'image d'une tâche indélébile. Passage
oblitérant, fantôme amorphe, aveuglant.... Je presse le pas
pour y échapper comme une vedette qui tente de fuir le paparazzi qui
lui court après, le chassant comme un gibier, dans l'espoir d'une
photographie en situation.
Regarder
n'est pas une façon de perdre son temps. Photographier est une
manière de voir..... La prise de vue donne à l'événement que nous
vivons un caractère exceptionnel ainsi qu'une place privilégiée
dans le paysage et l'événement. Un lien fort avec ce lieu.
La
variété des lieux, des textes, la profondeur souvent de ce qui se
dit, fait que cette mosaïque, comme il l'appelle, est d'une
grande richesse, que j'y avance au plaisir de la surprise, comme on
passe en souriant, que je m'arrête brusquement, m'attardant sur ce
qui me semble important, ou beau... et que cela se produit assez
souvent pour que, abandonnant un moment les contes chinois, j'y
revienne.
Et
quand j'abandonne le Kobo et que j'ouvre le fichier eBook sur ma
machine, certains liens me propulsent vers des articles de son site
comme http://liminaire.fr/derives/article/au-fil-du-temps
– et c'est un lieu hautement recommandable, si vous ne le
connaissez pas -.. ou vers des photos, un texte, un compte-rendu
d'exposition....
Livre
de réflexion sur les photos, leur construction, ce qui nous meut
quand les prenons, mais autant ou surtout un regard sur la vie, une
philosophie discrète que j'aime retrouver.
Je
me permets un conseil, téléchargez le, c'est un cadeau de l'auteur,
à la fin de l'article qui relate l'élaboration de ce livre
http://www.liminaire.fr/livre-lecture/article/la-main-de-l-aveugle-1661
3 commentaires:
Photos-miroirs...
11.000 mètres...Ça, c'est faire des (une) course(s) !
bonne analyse de la photographie...et ne fuis pas ses regards.
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