dessin de Jean-Etienne Liotard
Le
duc et Madame de Vaucluse, pendant qu'on leur servait et qu'ils buvaient leur chocolat
matinal, parlaient justement, puisque
c'était le fait marquant du jour, de ce mariage projeté, de la
dureté de Madame de Villeneuve, le duc s'attendrissant, Madame de
Vaucluse l'accompagnant, tout en laissant paraître une discrète
compréhension pour ses motifs, quand on vint leur annoncer Monsieur
de Salvador, et, sur leur accord, ils le virent entrer, dans un état
fort hétéroclite, accompagné de Madeleine de Villeneuve,
misérablement trempée et transformée en fontaine de larmes, le
jeune homme en appelant immédiatement, avec vivacité, à leur aide,
pendant que la jeune fille défaillait non sans un reste de grâce,
ce qui interrompit toute explication, le temps de s'empresser auprès
d'elle, et comme la femme de chambre qui les suivait s'écriait que
sa maîtresse se trouvait mal d'avoir eu si cruellement froid, le duc
fit préparer un lit, Madame de Vaucluse emmena la malheureuse
enfant, lui fit donner un bain chaud et ne la laissa que bien
douillettement installée.
Monsieur
le duc fit donner à Monsieur de Salvador des vêtements secs,
l'installa près d'une cheminée et le quitta pour recevoir une
visite, plein de curiosité sur ce qui avait amené cette irruption,
qu'il tint bien entendu secrète.
Il venait le retrouver quand la femme de chambre vint annoncer que
Mademoiselle de Villeneuve, après les soins qui lui avaient été
donnés, était en état de les recevoir ; ils la rejoignirent,
trouvèrent Madame de Vaucluse à son chevet, et les deux jeunes gens
firent le récit de leur aventure devant le duc qui leur dit qu'ils
avaient eu raison de s'adresser à lui et qu'il les prenait sous sa
protection.
dessin de Boucher
Dès
que la matinée eut atteint l'heure convenable pour des visites, le
fiancé arriva chez sa future belle-mère qui envoya Marinette, sa
femme de chambre, prévenir sa fille. Elle la chercha dans toute la
maison, ne la trouva pas, et revint en informer sa maîtresse et le
futur qui attendait toujours, dans l'espoir d'exprimer à sa promise
sa joyeuse impatience à l'approche de la cérémonie.
La
mère s'écria que c'était impossible, qu'elle était certaine que
sa fille ne saurait vouloir s'opposer à ce qu'elle avait décidé
pour elle.
Le
fiancé était comme assommé, stupéfait, rendu muet par la surprise
et la gène. Sur le conseil de Madame de Villeneuve, lorsqu'elle se
fut un peu calmé, il se retira, bien décidé à rester discret, à
ne rien ébruiter, et assez peu fier du rôle qu'on lui faisait
jouer, pendant qu'elle envoyait des gens par toute la ville en quête
de renseignements.
De
son côté Madame de Vaucluse, pour enlever tout pouvoir à la mère,
se rendait, accompagné de Monsieur de Salvador, chez l’archevêque,
pour le prier de marier les deux amants, ce que, bonhomme et galant
comme il l'était, il accepta ; il en chargea en prêtre qu'ils
ramenèrent dans leur carrosse chez le duc où il bénit le couple,
le mettant ainsi à l'abri des interventions de Madame de Villeneuve.
Quand
ils eurent abondamment loué la générosité de leurs protecteurs et
que ceux ci se furent attendris devant leurs épreuves et leur joie,
Madame de Vaucluse accompagna Madeleine de Villeneuve chez des
religieuses, pour qu'elle y attende que sa mère se calme et que le
mariage puisse être conclu avec, si possible, le consentement de
tous les parents... celui de la famille de Monsieur de Salvador étant
déjà acquis.
Elle
revenait quand on annonça au duc Madame de Villeneuve. Il fit sortir
Monsieur de Salvador, en évitant qu'il ne croise la mère
courroucée, et se prépara à soutenir la colère de cette dernière.
Elle
arriva en tempête, dit qu'elle ne pouvait croire qu'il eut consenti
à donner asile à un enleveur de fille, traita de tous les noms
Monsieur de Salvador, annonça qu'elle allait lui intenter un
procès...
Le
duc la laissa vider son sac, puis décrivit l'état dans lequel était
Madeleine de Villeneuve lorsqu'elle s'était présentée chez lui,
dit que tout le monde l'aurait accueillie, qu'elle était en danger
de mort, ce qui était peut-être un peu exagéré, et Madame de
Vaucluse, calmement, en femme qui s'adresse à une mère, refit
l'histoire de cet amour contrarié, fit appel à sa tendresse, laissa
paraître une pointe de désaccord devant sa sévérité, et pour la
tranquilliser lui assura, appuyée du témoignage de la femme de
chambre, que sa fille était dans un couvent.
Mais
que faire maintenant ? demanda la mère. Plus rien que consentir lui
répondit le duc, elle est mariée et ce mariage n'est pas moindre
que celui que vous envisagiez.
Madame
de Villeneuve s'emporta encore un peu, renia sa fille, dit qu'elle ne
s'en occuperait plus, ce qui équivalait à préciser qu'elle se
passerait de dot... et comme elle n'était visiblement pas encore
prête à accepter la situation de bonne grâce, le duc la laissa
partir.
Dans
les jours suivants, le duc et Madame de Vaucluse se répandirent en
démarches – je pense qu'ils étaient fort contents du rôle qu'ils
jouaient, et secrètement assez satisfaits de la petite agitation que
cela mettait dans leur vie – La mère, la réflexion venant et sur
quelques conseils amis, finit par consentir à rencontrer sa fille et
se réconcilier avec elle, pourvu qu'on ne lui demande pas une dot
trop importante, ce qui fut accepté, d'autant qu'à sa mort, sa
fille rentrerait dans sa part de l'héritage paternel, et un dîner
fut organisé avec Monsieur et Madame de Salvador et leur fils.
Madeleine
sortit du couvent, le notaire fut appelé, le mariage conclu, qui
depuis lors fut le plus heureux du monde.
En
ayant ainsi fini avec le duc d'Ormond, et continué à vider Paumée
de ses lecteurs, m'en suis allée, en début de nuit, à l'opéra,
écouter Milos Karadaglic, dit Milos, un guitariste, beau ténébreux
mais pas que, un éveilleur de sons doux et ronds, jouer Bach, la
suite en do mineur de façon merveilleuse, et puis se lancer dans un
discours en anglais, charmant un moment, un peu agaçant à la
longue, qui s'avérait très longue, ne tenant aucun compte de la
compréhension ou non compréhension de son public, lequel pour une
partie était très fier de rire quand il le fallait, pour une autre,
attendait que cela se passe, pour nous expliquer qu'il ne suivrait
pas le programme, avant, enfin de donner, et jamais je n'avais
entendu si riche guitare, deux morceaux de Manuel de Falla...
Seulement
cela a continué, dix minutes/un quart d'heure de discours que,
furieuse de cette inconsciente grossièreté, cette arrogance
involontaire d'ancien enfant prodige, de beau gars, de bon instrumentiste au succès
mérité, je me suis appliquée à ne pas comprendre, que je ne
comprenais d'ailleurs tout simplement pas parfois, devant une salle
de plus en plus résignée et silencieuse, pour un gros quart d'heure
de musique merveilleuse... des airs argentins, brésiliens etc...
mille fois entendus mais jamais ainsi.
Malheureusement,
peu à peu l'exaspération mettait de plus en plus de temps à
s'effacer en moi, pour laisser place au plaisir, d'autant que les
morceaux étaient tout de même d'inégale qualité, et m'en suis
allée, la première, à grands pas avec des «ta gueule ! joue !» rentrés.
un
lien pour l'écouter http://milosguitar.com/video/
6 commentaires:
merci pour ce cadeau...Milos à la guitare
Ça m'aurait énervée aussi.
Guitare... mais je ne peux m'empêcher de penser à l'interprétation sublime de ce même concerto d'Aranjuez par Miles Davis (que le conte d'Ormond ne devait pas connaître) !
le fait est que j'en doute
Quant à Milos si j'ai bien compris il a été tenté par la guitare jazz avant d'opter pour la guitare classique et latine (avec des essais flamenco)
Je découvre grâce à vous ce concerto … quelle merveille … merci mille fois. Et vous lisant, vous qui contez si bien. Le temps ce soir ainsi passe doucement. Vous avez l'art de conter, et comme ce concert, et votre exaspération (pardon) deviennent amusants, et comme j'aurais aimé vous entendre le lui, ce splendide "ta gueule ! Joue !" !!!
Un petit bonjour en passant et avant de m'absenter pour une petite semaine...
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