nuit
agitée dans l'immeuble – matinée un peu comateuse
vaquer,
sourire en voyant le soleil descendre un peu plus chaque jour et
découper une frange lumineuse en haut du mur mitoyen, sourire aux
fragiles touffes blanches clairsemées sur les branches de cette
plante dont j'ignore le nom, écouter musique, être dans le neutre,
le manque d'envie
secouer
cette inertie uniquement pour retrouver le duc d'Ormond, et tant pis
si je suis seule à m'en amuser, un peu.
Le
duc consentit donc, un peu par complaisance, un peu par paresse, et
Madame de Vaucluse prit de plus en plus d'importance dans sa maison,
réglait le domestique, lui choisit un notaire irréprochable, fit
chasser son intendant parce qu'il le volait, ce que le duc savait
bien, mais considérant que cela faisait partie, de toute éternité
et de toute nécessité, de cet emploi, il en fut contrarié, cédant
pourtant par tendresse pour elle. Il refusa cependant de supprimer,
comme elle le suggérait, les déjeuners auxquels il avait coutume
d'inviter, avec un peu de faste, et une libéralité gracieuse, les
personnes les plus aimables de la ville, lui disant qu'il ne saurait
accepter cela, et qu'il craignait de trouver dans cette idée la
marque d'un manque de générosité qu'il ne lui connaissait pas.
Elle se borna donc à une vérification attentive des factures, qui
fit grommeler un peu les fournisseurs, sans que la popularité de
Monsieur d'Ormond, dont il connaissaient la générosité en souffre.
C'est du moins l'opinion que lui attribue son mémorialiste.
Pour
que son influence soit sans partage, elle lui proposa de trouver un
nouveau logement, et comme il n'avait rien objecté contre cette
idée, elle laissa courir le bruit qu'il cherchait un logis à sa
convenance.
Monsieur
le marquis de Caumont vint proposer celui qu'avait occupé sa
belle-soeur Madame de Chigi, ce qui le rapprochait de Madame de
Vaucluse. Le duc l'accepta, se doutant bien que la proposition venait
d'elle.
Il
s'agissait d'une partie de l'hôtel de Donis de Beauchamp qui se
situait rue Dorée, proche de l'hôtel de Sade - construit par la
famille de Doni en 1503 à l'emplacement de l'ancienne livrée du
cardinal Ammanetis, qu'ils avaient achetée en 1481. Après la mort
tragique de Louis et Joseph de Doni, les fils de Louis marquis de
Beauchamp, l'héritier était un cousin Jean Baptiste de Doni, d'une
branche établie à Florence, et il ne restait de la famille
avignonnaise que trois filles, Angélique-Pétronille qui avait
épousé le marquis Chigi, Marie-Balthazare, l'amie du duc, femme de
Paul de Seytres, seigneur de Vaucluse et Elizabeth mariée à Joseph
de Seytres (d'une autre branche), marquis de Caumont, celui qui
faisait bâtir à cette époque par Jean-Baptiste Franque le bel
hôtel qui est aujourd'hui occupé par la collection Lambert, sur un
jardin qui s’étendait de l’hospice Saint-Louis à la rue des
Vieilles-Etudes, planté de platanes et d'orangers.
Cependant,
Monsieur de Villeneuve, qui était alors à la campagne, prit ombrage
de cet arrangement familial, prit ombrage surtout de l'intention du
Duc de déloger de chez lui. Il revint immédiatement, parut admettre
les explications de son invité qui lui représenta qu'il s'agissait
d'intrigues féminines, qui ne portaient pas à conséquence,
bagatelles auxquelles il fallait bien céder.. mais comme il y avait
entre lui et le marquis de Caumont de vieilles querelles, il crût
deviner que ce dernier avait été fort aise de lui faire ce petit
affront, il en sentit la pointe, et il lui écrivit un billet, sans
signature, lui donnant rendez-vous à quelques lieux d'Avignon,
disant que l'auteur de cette missive comptait lui faire part de ses
sentiments, ajoutant que le marquis devait bien savoir ce qu'ils
étaient.
Le
laquais, ou quelle que soit la personne à laquelle il avait confié
ce billet, en l'absence de Monsieur de Caumont, se contenta de le
remettre à un domestique, qui, aussitôt le porta à sa maîtresse.
Madame
de Caumont était fine et sage, et, à la lecture de ces lignes, elle
devina la nature de la rencontre proposée. Après un moment de
désarroi, elle se décida à le faire parvenir au Vice-légat, lui
demandant d'intervenir, ce qu'il fit aussitôt en envoyant deux de
ses gardes chez Monsieur de Villeneuve, qui était déjà hors des
terres pontificales, attendant le marquis, et deux autres chez
Monsieur de Caumont, bien surpris de les trouver en arrivant chez
lui, et encore davantage de se trouver mis aux arrêts.
Quant
il sut de quoi il s'agissait, il montra une grande contrariété
d'être empêché d'en découdre. (Là, le duc, à moins que ce ne
soit son mémorialiste, se permet une allusion au manque de génie
guerrier de la noblesse locale, qui était en effet, pour une bonne
part, noblesse de robe ou créée par la papauté, à part, bien
entendu, le brave Crillon et quelques autres, et je lui dédie un
haussement d'épaules et une grimace).
Monsieur
de Villeneuve attendit toute la nuit son adversaire, rentra, pour
apprendre l'intervention du Vice-légat, se récria, affirma qu'il
n'avait jamais écrit à Monsieur de Caumont, ni eut la moindre
intention de se battre, sans convaincre qui que ce soit, mais
confessa au duc qu'on avait bien deviné.
Ce dernier, qui se sentait un peu responsable de cette querelle, entreprit de
faire la paix entre les deux seigneurs, jura à Monsieur de
Villeneuve qu'il lui garderait éternellement son amitié, qu'il se
souviendrait de la force de sa réaction à l'annonce de son départ,
que, d'ailleurs, il ne quittait son hôtel que pour complaire à un
caprice de femme, et les invita à souper tous les deux.
La
réconciliation se fit, en apparence. Madame de Caumont se réjouit
discrètement d'avoir empêché l'affrontement entre son petit mari,
dont l’embonpoint ne dénotait pas une agilité de bretteur, et le
grand, vigoureux et leste Monsieur de Villeneuve, sa soeur
témoigna, avec force caresses, sa reconnaissance à son ami, et le déménagement se fit.
Dessin
de Fragonard
4 commentaires:
Le duc d'Ormond a de la ressource !
et moi je vous ai gratitude grande
Intrigues et compromis ..... nous y sommes toujours !! on s'y perd un peu mais l'écriture est belle
en gris : retenez moi ou je fais un malheur
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