dans les rues de ma ville,
les plantes qui colonisent les murs hésitent encore entre une
rousseur défaite, ou morte, et la tendresse des jeunes feuilles
dans les rues de ma ville
devant l'opéra les petites boules s'amusent de leurs couleurs
dans les rues de ma ville
suis allée vers le teinturier avec des draps, une parka, un
manteau.. avec le plaisir du changement de saison, le refus paresseux
et boudeur (deviens lourde ou enfin presque) des valises et housses
d'où extraire l'été, où ranger l'hiver.
Et comme j'étais
paresseuse, plongée dans relectures déclenchées par une idée
éphémère de localiser un livre dans ma pagaille, un peu de ménage,
le plaisir de la lenteur poétique de «Printemps, été, automne,
hiver.. et printemps», ce film de Kim Ki-Duk que n'avais pas regardé
depuis longtemps et dont j'ai eu un besoin impérieux au moment où
des projets de tâches m'effleuraient, je reprends des vrais ou faux
souvenirs qui avaient trouvé leur place chez les cosaques
http://lescosaquesdesfrontieres.com
«les Pins maritimes»
Il y a cette
vieille photo, avec le verre cassé qui vient soutenir le corps de
l'homme penché sur le minuscule berceau, la lourde capote courbée,
le képi oublié.
Il y a la
petite fille potelée, frisée, intéressée et impérative qui le
regarde, en silence, satisfaite d'être aidée, servie. Il y a trois
petites fleurs ou une petite branche, on
ne voit pas très bien, dans sa main, et le corps un peu penché, les
jambes prêtes au mouvement, pour reprendre son chemin, suivre son
but, quel qu'il soit, ou son absence de but, sa petite route séparée
mais enchevêtrée à celle de l'état major en perpétuelle
ébullition, tapie ou exhibée selon les heures.
Il
y a ce temps, elle se souvient, où elle jouait de sa puissance.
Elle
se souvient de cette photo perdue, les deux immenses corps noir,
celui de gauche, un peu plus petit, sérieux, portant comme un trésor
légèrement encombrant une petite boule de blanc vêtue, et à
droite le sourire, les scarifications, la force de celui qui regarde
la petite fille, celle qui se souvient, posée sur un de ses bras,
dont il chatouille le pied, qui lève la tête vers son sourire, et
ça ne se voyait pas - elle le croit - sur la photo, mais ses yeux
levés vers lui étaient adoration.
Elle
a des souvenirs très rares, et elle sait que pour la plupart ils lui
ont été inoculés après coup par les adultes... elle s'en méfie
un peu.
Pourtant
il y a cela :
avoir
reçu, plus tard, dans le froid gris de Paris, à ce moment où la
guerre ne survivait plus qu'au loin, un paquet, envoyé par son grand
ami (sa nourrice sèche disait sa mère) qui avait suivi à Ceylan
son général, un paquet avec des savonnettes parfumées et cette
robe de tulle vert clair brodé de grandes fleurs roses, cet
émerveillement, pour elle comme pour lui, qu'elle n'avait
jamais eu le droit de porter.
Il y a cela
aussi :
une fin de
déjeuner un jour au mess des Pins Maritimes,
là, près d'Alger, où se préparait la division, la présentation,
par leur mère, qui tient lieu de maîtresse de maison, de ses filles
à l'archevêque, ou évêque, elle ne sait plus, à l'heure
du café sous les arbres, sur la terrasse... la terre battue, les
plantes grasses et les herbes hautes, des longues jambes en shorts
kakis, ces voix nasillardes, ces sons qui sont un peu étranges, mais
elle ne s'en soucie guère, dont elle a appris plus tard, ou
reconstitué, qu'ils étaient de l'américain, et les jambes celles
d'officiers de liaison, et puis cet homme violet, la main qui se
tend, la mère qui dit d'embrasser une grosse pierre, les yeux levés
pour voir à qui elle appartient cette belle petite masse de couleur
sourde, le sourire.... il a enlevé sa bague, il l'a enfilée sur le
plus grand des petits doigts, elle la sentait flotter, tomber, elle
entendait les rires, elle s'en moquait, c'était la pierre qui
comptait, elle a essayé de la retenir en pliant une phalange mais
c'était trop grand... il y a eu quelques mots gentiment moqueurs, la
main qui lui enlevait ce trésor éphémère, le : dis merci à
Monseigneur.
Et elle n'a pas
pleuré, elle a dit merci, furieuse déjà contre elle d'obéir
ainsi, elle est partie, petit corps enflé de colère.
Il y a cela
aussi :
la toute jeune
petite boule, sa soeur, qui est surtout une force de vie prenant
possession d'un corps, s'y poussant, carrant, le dilatant, ce moment
où le charme, la personnalité, ce devant quoi l'ainée rendra les
armes avec ravissement, admiration, en lui refilant son rôle, ce qui
sera A., est encore en limbe, et où elle, la petite fille de la
photo, est seule à la comprendre, se fait l'interprète, lui
attribue parfois ses idées.
Il y a cela
enfin :
la maison de
plage de son autre grand-père, la terrasse aux azulejos, la
fontaine, les cousins, le regroupement familial, les algérois et
ceux qui sont arrivés depuis la France, parmi eux le couple qu'elle
fait avec son presque jumeau, son compagnon de jeu pensent les
adultes, qu'elle aime, mais qui l'agace parfois et ce jour où il
avait disparu, où tout le monde le cherchait, où elle avait été
punie sous prétexte que, pour avoir la paix, elle l'avait persuadé
de rentrer dans une malle (plutôt une caisse je suppose puisqu'il
respirait correctement) qu'elle avait fermée sur lui, pour aller
vaquer tranquillement.
Et se souvenant
de cela elle s'ahurit de ce temps où elle se découvrait un pouvoir,
où elle l'exerçait, avant de s'en dégoûter pour le reste de sa
vie.
5 commentaires:
Les plantes ne craignent pas les murs, avant que leur "végétalisation" ne soit devenue à la mode !
Qu'elle est émouvante cette petite fille...
elles font rentrer un peu de campagne dans Avignon (bourgeonnent beaucoup nos murs)
un regard peut être un rien partial dans le récit
Régal ! J'ai bien fait d'attendre d'avoir le temps de lire tranquillement.
Enregistrer un commentaire