Ils sont arrivés, pas
très très nombreux, mais tout de même, et j'en suis ravie pour les
compagnies et la ville, et j'en suis navrée...
J'avais très envie
d'aller entendre, dans la jolie petite chapelle Saint Louis, les
sept dernières paroles du Christ de Haydn en version pour
quatuor à cordes et le livre de la pauvreté et de la mort de
Rilke, à 11 heures 30, je
n'avais pas de billet (cette année ils s'achètent via le festival
ce que j'ignorais au début) mais forte du petit public l'autre jour
à Saint Agricol ne me suis pas spécialement inquiétée... ai fait
presque tout mon repassage en retard, épluché mes légumes..
et
m'en suis allée dans la calme rue Joseph Vernet (même si quelques
boutiques de mode avaient ouvert, exceptionnellement un lundi et qui
plus est un lundi 14 juillet)
mais
le festival prend une allure de croisière, et une demi-heure avant
l'ouverture des portes la queue des avec et sans billet était déjà
conséquente
m'en
suis réjouie pour le festival, m'en suis moins réjouie ensuite
parce qu'ils arrivent oui, tout beaux, tout fringants mais aussi tout
agressifs (déjà je commence à faire attention dans les rues où
sont arrivées vélos et voitures qui ignorent que : rien ne sert de
foncer, seront bloqués, qu'Avignon est une ville de piétons, et de
piétons dans la rue, forts de leur priorité) –
et
sous les yeux des angelots c'étaient phrases qui se veulent encore
polies mais ne le sont guère, bousculade…
comme il était à peu
près certain que n'aurai pas de place, et comme cette ambiance
cassait mon envie, ai renoncé
Je
n'avais en tête que des spectacles à 10 ou 11 heures, suis partie
vers la maison de la parole à toutes fins utiles, nez au vent..
et
suis passée par Saint Martial, chez les protestants (un bel endroit
et une ambiance simple et extrêmement sympathique) où se donnait un
quart d'heure plus tard quelque chose que je n'avais pas relevé, à
quoi je n'aurais pas pensé mais qui m'a semblé séduisant, ou
intéressant, le laboureur de Bohême de
Johann von Saaz ou von Tepl, écrivain en Haut-allemand, qui l'aurait
selon la légende (trouvé cela, en rentrant, sur internet) écrit en une
nuit de détresse, deuil et colère vers 1401
sur
le petit programme de la salle : Il
avance, l’homme. Celui qui se fait appeler "Laboureur de
Bohême".Celui dont la page blanche est le champs qu'il laboure
de sa plume et où il fait couler l'encre dans les sillons...Il crie
sa peine, l’injustice d’avoir perdu celle qu’il aime.Et tout
ça, c’est de sa faute.A elle. la Mort. Il l’appelle, il veut en
découdre, il la provoque. Alors, elle arrive dans la pénombre pour
répondre à cet homme qui veut récupérer sa femme. C’est un
affrontement qui s’ensuit entre un homme qui refuse le deuil et la
Mort qui, avec un humour féroce et sarcastique, va essayer de
raisonner cet homme blessé. Bon
il avance c'est un peu une extrapolation, parce qu'en fait Martin
Debarbat est planté debout ou à genou sur une petite estrade dont
il ne bouge pas... pendant que Manuel Pons, la mort, dans son long
manteau noir, sa cuirasse de cuir repoussée, avec une aile raide de
chauve-souris dans le dos, lui tourne autour, disparaît, revient..
Altercation,
discussion entre un laboureur qui dans son deuil, se croyant du côté
du droit et de Dieu, sans s'en rendre compte, ne veut tenir compte du
cycle de vie et de mort, remet en cause la justesse du choix, etc..
et la mort qui est homme, reitre ou seigneur, arrogant et doucereux
en première réaction, puis de plus en plus persuasif, au prix d'une
franche rudesse parfois, et remporte la victoire, si le laboureur a
celle du coeur, coeur qui se soumet finalement aux règles de la vie et de la mort, et à Dieu
puisque nous sommes en ce terrain.
Et, saveur, sous la langue
des deux débatteurs, transparait le balancement du latin, le non
solum, sed etiam...
retour en marchant aussi
vite que le pouvais (mais de plus en plus certaine de ne pas avoir le
courage de m'en aller avenue de la Trillade dans la nuit... suis
confuse)
en rencontrant place de
l'horloge une manifestation pour la Palestine, en voie de
dissolution..
cuisine, déjeuner
tranquille (je regagne un peu, un petit peu de poids) et sieste
profonde, avant de repartir en fin d'après midi vers le Verbe
incarné (là j'avais retenu)
et, oui, la foule se
densifie rue Saint Agricol, et carcasse a eu la tentation de
renâcler..
la dite carcasse se calmant ensuite, dans
un flux presque aussi abondant mais plus sympathique
prends mon billet et attendre un petit quart
d'heure avec des gens agréables, en regardant passer festivalier et
parades
avant de me féliciter
d'avoir insisté (je m'étais cassé le nez sur une grève une
première fois) pour voir l'enfant de demain que
Serge Amisi, ancien enfant soldat de la république du Congo a tiré
de son livre. (la photo, provenant du site du théâtre lui
appartient) mis en scène par Arnaud Churin avec une belle
efficacité, sur un grand plateau nu borné par un rideau de lanières
souples comme ceux que l'on trouvait dans les cafés du midi, que
Serge Amisi franchit en tenue vaguement militaire, ou avec un grand
masque qui à un moment joue le rôle d'un oncle bienveillant,
Mathieu Genet, plus maigre et tourmenté prenant en charge le
personnage de Serge, l'enfant.
Ancien enfant soldat en
République du Congo, Serge Amisi a choisi la création artistique
pour témoigner de son histoire. Deux comédiens portent la langue
imagée et brute du jeune de 17 ans tout juste démobilisé, nous
faisant partager, à la façon des enfants jouant à la guerre, cette
tranche de vie volée. Musique, danse et marionnette accompagnent les
mots plein d’humour de ce vétéran en culottes courtes que le
monde des adultes n’a pas su protéger.
Et il
y a toute l'horreur que l'on connaît, l'obligation de tuer les
proches, la drogue, les punitions, la formation, la cruauté, la joie
de la compétition... mais en même temps les mamans de rencontre qui
tentent de sauver, la détresse d'un enfant, les retours sur soi –
et une langue désarticulée, de plus en plus, pour laquelle en
sortant j'ai acheté son livre
Ceci,
vers la fin, quand il est séparé de la troupe, seul dans la forêt,
qui est à peu près exactement ce que j'ai entendu
Alors par la vivacité
que j'avais courue et avec l'affamé que j'étais, ça m'a fait
vertige, mal au ventre, les pieds me tremblaient, je n'avais plus la
force dans le corps, j'ai fermé les yeux et je suis tombé par
terre, je me suis vu que c'est ici que je suis venu mourir la mort
qui n'aura pas la nouvelle...
(«souvenez-vous de moi, l'enfant de demain – Carnets d'un enfant
de la guerre» – chez Vents d'ailleurs)
et
suis partie, dans la superbe lumière frisante, marchant aussi vite que
le pouvais, dans la pensée de tous ces gens qui sont venus nous
rejoindre, vers Calvet, pour assister à la lecture d'un texte de
Pauline Thimonnier librement inspiré du Maître et
Marguerite, accompagné de la
musique et de chansons de Moriarty, retransmis en direct sur France
Culture,
seulement
Ils sont arrivés et puis Moriarty a plus de succès qu'Eschyle sans
compter Kleist.. alors, un quart d'heure avant le début, il y avait
une petite masse de déçus, attendant un miracle, devant les grilles
fermées sur le jardin complet...
Echangé
quelques mots avec deux têtes déjà rencontrées, et suis rentrée,
incapable de trouver l'étincelle qui me propulse de façon
impérative vers un spectacle (d'autant que n'avais pas la bible). Ai
écouté l'émission en préparant ce billet.. aimé assez sans plus, mais surtout, je crois, le concert qui a suivi.- j'étais sans doute gênée par la recherche des mots ici posés..
et
me suis préparée, avec une résignation inquiète, à une nuit à
côté de la fête puisque, cette année, le feu d'artifice sur le
Rhône est remis au 21 (ne le verrai pas, je devrais être à la
Fabrica pendant dix huit heures pour Henri VI), mais le bal, toute la
nuit, a bien lieu, comme l'année dernière, sur les allées de
l'Oulle c'est à dire à quelques centaines de mètres de l'antre, cadre idéal surtout par une si belle nuit…
J'ai regardé la Cerentola avec Cécilia Bartoli, et le bal n'a pas été excessivement bruyant, ou du moins pas encore..
9 commentaires:
bonjour chère Brigitte quelle merveille de poste.
encore je suis la dans tes rues et je te suis la aussi.
quelle richesse de variété par exemple l'agression de la foule le beau guitar jaune la sculpture en bois de ST. Louis.
et pour entendre des pieces par les notes et les magnifiques photos.
sur le laboureur de Boheme j'applaudis a savoir que une presentation peut etre si simple sur un estrade petit et 2 personnages la mort et un home mais en meme temps si complexes parcequil s'agit de la mort et le mortel qui rebelle contre elle.
alors comme j'ai dit j'utilise les ordinateurs publique mais je vais me rattraper de toutes les pieces un jour bien plus bientot que cela.
mercibeacoup Brigitte.
je te souhaite une magnifique continuation.
J'applaudis l'énergie quotidienne déployée par notre correspondante au festival d'Avignon - et son regard toujours en alerte comme l'oreille ouverte...
non solum sed etiam... merci encore. Quelle belle énergie !
merci, suis pourtant en baisse de tonus, une pause relative
Ecouté aussi FC ... en direct mais rien ne vaut la présence dans ce cas pourtant radiophonique
Bravo pour tes abandons chagrinés mais il faut choisir
Courage Je t'embrasse
AA
Suis toujours aussi admirative devant ton parcours festivalier, mois qui rassemble toute mon énergie pour sortir faire trois photos. Merci de partager tes expériences et tes précieuses photos.
Toujours dans l'imprévu et dans l'imprévisible. Le spectacle est dans la rue.
Oui, compliments mérités.
Formidable journal d'une festivalière !
Géniale ta photo du type peint en rouge à quatre pattes
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