bonne humeur et jambes
rétives, sans plus, languides, partir dans la ville entre soleil
dardé et belles ombres désirées,
vers le jardin de la Vierge du
Lycée Saint Joseph
pour le troisième
programme des sujets à vif
avec,
en grand plaisir il se trouve que les oreilles n'ont pas de
paupières (prélude)
l'éloquence
de l'alto de Garth Knox et la musique de Benjamin Duré, dialoguant,
commentant, soutenant, la voix, le visage de Pierre Baux et sa façon
de dire Quignard
tissant la langue de
Pascal Quignard aux notes de la composition musicale de Benjamin
Dupé, le spectacle confronte le concert à une réflexion sur la
musique. Jouant de l'oscillation entre entendre et comprendre, une
mécanique polyphonique et ludique se met en place, qui génère
interférences, réactivité, distance, humour, vertige,
enthousiasme, puissance... À la profondeur du texte, érudit et
sensible, répond l'architecture de la musique. À sa forme
étonnante, entre méditation, conférence, discours, conte et
confession, répondent la virtuosité et la capacité du son à se
transformer en un instant. À l'hypothèse d'un désamour qu'évoque
le titre La Haine de la musique
répond le seul acte possible pour un compositeur : faire sonner,
faire entendre – toucher au plus intime. Car « il se trouve que
les oreilles n'ont pas de paupières », écrit l'auteur...
un
entracte, pendant lequel deux hommes en pantalon noir, chemise
blanche et cravate s'efforcent maladroitement d'installer au fond de
la scène un grand buffet à deux corps, emmailloté de plastique,
sans que l'on réalise immédiatement, du moins mes voisins et moi, que nous sommes entrés dans buffet à vif par Pierre Meunier
et le danseur Raphaël Cottin, et s'enchaînent rires, catastrophes,
maladresses, volonté de destruction (et ce qui passe de la danse
dans ce déchaînement)
détruire
en venir à bout
mettre à mal la chose
qui nous occupe
nous obsède
nous encombre
nous provoque (...)
jusqu'à ce que ça
pète
que ça craque
que ça ne ressemble
plus à rien (...)
à deux
pour
s'épauler dans cette rude tâche..
en avant
et,
après leur salut, devant l'amas de petit bois et de bouts de verre auquel sont parvenus,
les
quatre artistes et l'équipe du festival, venant sur scène, et Pierre
Meunier disant un texte à la belle ironie sur les suppressions
nécessaires pour optimiser la rentabilité de la Symphonie
inachevée,
retour
dans la chaleur des rues qui brûlent, la beauté des lumières,
la
rencontre d'un théâtre-camion et d'un bandit corse...
déjeuner,
mettre cette petite partie du jour sur Paumée, sieste (désolée
mais suis vraiment pleine d'une langueur lasse qu'il me faut effacer
avant lundi les dix huit heures d'Henry VI - sans doute à jeun ou
quasi en ce qui me concerne - et le retour à pieds à quatre heures
du matin mardi.)
Et
repartir vers la rue des teinturiers,
le
gymnase du Lycée Saint Joseph, et la
famille Schroffenstein, pièce
de jeunesse de Kleist, mis en scène par Giorgio Barberio Corsetti,
qui a fait travailler les élèves (qu'ils sont beaux !) de l'Ecole
Régionale d'Acteurs de Cannes,
photo Christophe
Raynaud de Lage (comme la suivante)
un
dispositif simple, plan incliné, astucieux de Francesco Esposito,
une belle énergie, de belles images, et le charme des jeunes acteurs
dans la cruauté de l'histoire
Heinrich von Kleist a
24 ans lorsqu'il publie anonymement La Famille Schroffenstein qu'il
situe dans le royaume de Souabe à la fin du Moyen Âge. Violente
histoire d'une famille dont les branches opposées se détestent et
dont les héritiers respectifs Ottacar et Agnès s'aiment. Un parfum
shakespearien flotte autour de cette aventure qui rappelle Roméo et
Juliette mais dont les dédales d'intrigue l'en distinguent quand
l'humour se mêle à la perversité, le rêve au cauchemar. Pièce
lyrique, violente, cruelle, où les fantasmes des deux familles
nourrissent une paranoïa qui peut devenir extraordinairement comique
pour les spectateurs de cette guerre intestine dont personne ne sait
plus les origines... De méprises en représailles, de malentendus en
erreurs tragiques, Corsetti
aime nous faire cheminer avec les héros vers le drame final, celui
qui rendra la guerre inutile faute de combattants. Pièce folle,
pièce jubilatoire, pièce fascinante...selon
le programme.
Et
Brigetoun, incompréhensive devant des départs qui ont commencé peu
après le début, et furieuse contre elle-même, parce que elle avait
mal regardé les horaires et qu'elle a dû partir après un peu plus
de deux heures, une vingtaine de minutes avant la fin (d'autant plus
que j'ai réalisé juste avant que le noir se fasse, que l'italien
charmant à côté de moi était Corsetti, et que j'étais un petit
coup de plus pour lui - mais comme moi et mon voisin nous avions ri
quand le fallait, spontanément, je pense que ça a adouci la chose)
Parce
que j'ai aimé, parce que ils sont frais mais déjà fort bons
(surtout les rôles principaux, les deux couples de parents, le jeune
couple, l'ami intercesseur qui chaque fois se laisse persuader),
parce que le travail, parce que la cohésion, le rythme, la fougue du
jeune couple etc...
parce
que la pièce, le mélange de drame et de rire, les péripéties, la
surprise de trouver, à cette époque, l'amour homosexuel de Jeanne
la soeur du jeune héros pour sa belle, des personnages innocents, ou
faibles, ou dévoués à leur seigneur, et un vrai méchant, au nom
de grands principes habillant son égoïsme, et sa stupide méfiance.
parce
qu'il y a d'autres spectacles, plutôt que celui là, d'où j'aurais
plus sincèrement pu partir en cours de représentation
mais
je savais qu'il me faudrait temps pour regagner l'antre - et en effet
j'ai profité de quelques occasions pour une mini pause photo parce
que mes jambes étaient floues - et que voulais me changer,
arroser, prendre mon billet et m'en aller
vers
la cour d'honneur, le mur, un grand panneau incliné devant, et I am
de Lemi Ponifasio (îles Samoa) et de sa troupe MAU
image
MAU provenant du site du festival et sans rapport avec ce que nous
avons vu, sauf peut être une ambiance
Une parole scandaleuse
autant qu'une imploration. Il y a dans cette locution « I AM » la
fierté de l'homme qui s'affirme sujet. Il y a la ferveur de celui
qui réclame la reconnaissance. Autour de lui, Lemi Ponifasio a réuni
un petit peuple, composé des artistes de sa compagnie, MAU, mais
aussi de personnes rencontrées à Avignon et dans chacune des villes
de sa tournée. Ensemble, dans la Cour d'honneur du Palais des papes,
ils se lèvent. Venus de l'autre bout du monde ou bien des marges
intérieures, ils montrent leur visage à l'Empire, aux puissants,
ils participent à une cérémonie en l'honneur des vingt millions
d'êtres humains morts pendant la Première Guerre mondiale. Ils
deviennent les anonymes et ceux qui ne sont jamais nommés. Ils nous
rappellent que la guerre n'épargne aucune catégorie, ni aucun
continent. Des îles du Pacifique où le conflit est aujourd'hui
toujours commémoré, Lemi Ponifasio convoque le théâtre de mythes
et de cris d'Heiner Müller et d'Antonin Artaud (mais
sous forme d'une voix noyée dans la musique et d'un texte manuscrit
qui, comme elle, est en anglais, affiché de splendide façon sur le
mur, avec des manques et donc quasiment illisible même si on n'est
pas comme moi exaspéré et en refus de cette obligation de
comprendre l'anglais, tout le reste qui est en samoan ou vietnamien
est également incompréhensible si ce n'est que nous sommes pénétrés
par la force du chant et avons l'impression d'être en communion,
sans effort) les visions plastiques de Colin McCahon, la
force des choeurs maoris et samoans et invente les termes et la
grammaire d'un langage universel, le langage d'une conversation entre
Dieu et les morts, mais aussi entre les auteurs du présent et les
fantômes du passé, témoins mélancoliques d'un siècle plein de la
faillite de l'humanité.
MAU est un mot samoan qui signifie «
affirmation solennelle de la vérité d'un sujet » et « révolution
»
Alors,
l'impression réelle d'être embarquée, emportée, dans une
cérémonie.
Parmi
les moments les plus forts, sur une musique tonitruante la force
d'une montagne humaine, chantant, hurlant, longuement, comme un défi
et un appel au ciel, en complet noir, ébauchant quelques pas de
danse pendant que la troupe, par moment, passe lentement derrière
lui... sans doute ce qu'il y a de plus impressionnant, presque sacré
si ce n'était justement l'homme face au sacré, à tout.
Vers
la fin, son pendant féminin, qui, elle, chantant, criant son défi avec
même énergie et presque même puissance, arpente la scène.
Il y a
aussi cet homme européen, un peu un Landru, qui se déshabille et en
barbe et slip noir entre dans une danse heurtée, martyrisée,
véhémente, à la limite de la crise.
La
femme en blanc, blanche, presque albinos, que l'on assied sur un
fauteuil, que le barbu étrangle presque avant de lui planter entre
les lèvres une rose rouge et qui reçoit de chacun, en une longue
procession, le jet d'une fleur blanche et un crachat de sang au
visage.
Le
vietnamien qui évoque vaguement Ho Chi Minh, et son chant profond
et qui, assis devant le plan incliné qui est devenu un peu moins vertical et
sur lequel git, allongé en croix, un superbe corps d'ilien vêtu
d'un seul étui, le regarde intensément, pendant que, avec toujours la très
forte musique de Lemi Ponifasio et Marc Chesterman, le mur se
transforme en une cataracte.
Seulement
cela, et quelques autres passages, s'étire interminablement, et la
force de ce que nous avons vu cède peu à peu en une envie de
couper, couper, la presque demi heure ajoutée à la durée
initialement prévue, qui enlève la force que devraient avoir ces
dernières images et presque, rétrospectivement ce que nous avons
vu.
Petite
exaspération qui devrait s'effacer... vraiment très beau (mais encore
une fois trop long, comme ces invités qui ne savent plus comment
dire adieu)
descendre
sur la place en échangeant impressions, et regagner l'antre.
5 commentaires:
Très belles photos depuis la Cour d'honneur (souvenirs ravivés)...
Mais quelle santé vous avez !
ben justement !
Admiration!!! surtout quand on sent que c'est trop long
Quel souffle ! Quelle passion !
Infatigable
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