sol mouillé en ouvrant
les volets, un moment de bleu infiniment doux où courent de gros
nuages débonnaires, et puis couverture grise reconstituée, petite
pluie persistante
en accord avec l'offensive
matinale de la toux, d'une toute petite fièvre, de courbatures et
idées vagues.. laisser tout doux le pire passer, pas mécontente
d'attendre lâchement le regain
engraisser, faire
connaissance, sans grand enthousiasme, avec jouet neuf, rester
bloquée par manque de connexion... on verra à régler cela
demain... mañana, toujours ce cher mañana
cocoter carcasse, et
tenter aux moments de lucidité de penser à ceux qui vivaient il y a
cent ans
Le 11 novembre, il y a
cent ans, une foule d'individus réunis, joie pure, pour soi, pour
les autres, soucis du lendemain mis en attente, intérêts, douleurs
qui se taisent et sourient ou se cachent
Le 11 novembre, dans les
villages liesse, soulagement et peines partagés entre gens qui se
connaissent
le 10 et le 11 novembre,
la bataille de Vrigny sur Meuse et ses 96 morts français, ne sais
combien d'allemands
le 11 novembre, ceux qui
vont revenir, on le sait, des tranchées, des garnisons, d'Allemagne,
ceux qui ne reviendront pas, on le sait, depuis longtemps parfois,
ceux que l'on attendra avec un espoir de plus en plus tremblant, et
ces corps ou lambeaux qui resteront sans nom, peut-être quelques
uns, aussi, qui en profiteront pour disparaître, changer de vie
ceux qui reviendront vivre
dans les ruines de leur passé, et découvriront en Belgique, au nord
et à l'est de la France, la dévastation
ceux dont on attend le
retour avec joie affichée, sincère un peu, et une petite crainte
qui ne se dit pas
ceux à qui il faut
refaire une place
ceux qui devront
rapprendre leur place
ceux qui venaient de loin,
les indiens des anglais, les vietnamiens des français et les
travailleurs chinois
les «tirailleurs
sénégalais» qui rentreront et puis ceux qui sont morts, et qui, au
chemin des dames par exemple, étaient 477 soudanais comme on le disait, c'est
à dire venant du Mali, 200 sénégalais, 180 guinéens, 136
ivoiriens, 134 bukinabés ou natifs de Haute-Volta, 54 béninois
venus du Dahomey, 29 nigériens, 9 mauritaniens et 5 on ne sait pas
et bientôt cette sottise
qu'est l'espoir des humains : plus jamais ça
et puis les révolutions
chez les vaincus
le 7 novembre 1918 la
République bavaroise, le 9 novembre 1918 dans les rues de Berlin le
début d'émeute, le 9 novembre 1918 le chancelier abdique l'empereur
sans trop lui demander son avis,
le retour à l'ordre
éternel de la société chez les vainqueurs
ma tendresse pour ceux qui
le 11 novembre 1918 étaient sans haine
ma compréhension aux
autres (et puis sous la façade...)
le 13 novembre, lettre
d'Eugène Poézévara à ses parents
dans la nuit du 10,
nous reculons à 1 km de Dieppe....on ne peut plus tenir sur nos
jambes ; j'ai le pied gauche noir comme du charbon et tout le corps
tout violet ; il est grand temps qu'il vienne une décision, ou tout
le monde reste dans les marais, les brancardiers ne pouvant plus
marcher car le Boche tire toujours ; la plaine est plate comme un
billard.
A 9 heures du matin, le
11, on vient nous avertir que tout est signé et que cela finit à 11
heures, deux heures qui parurent durer des jours entiers.
Enfin, 11 heures
arrivent ; d'un seul coup, tout s'arrête, c'est incroyable.
Nous attendons 2 heures
; tout est bien fini ; alors la triste corvée commence, d'aller
chercher les camarades qui y sont restés.
Le 13
novembre l'armistice de Belgrade entre Franchet d'Esperey et le
gouvernement de Mihaly Karolyi après Dobro Polje
mais
déjà le 31 octobre l'armistice de Moudros entre anglais et ottomans
attendre
le 21 novembre pour la reddition de la marine allemande devant le
Firth of Forth
alors
que le torpillage du HMS Brittania avait eu lieu, au large de
Gibraltar le 9 novembre
Reconstruire,
faire le bonheur des ateliers de sculpture, chercher à mettre noms
sur les restes humains
ce qui
vient à la surface en labourant
et
ceux qui échouent à oublier
retrouver
ateliers, reconstituer clientèles, renouer familles
enfouir
les déchirements, faire des enfants
13 commentaires:
Quel magnifique hommage à toutes ces souffrances stupidement inutiles.
Très beau texte.
Je vous conseille la lecture de "Au revoir là-haut" le Goncourt de l'an dernier, de Pierre Lemaitre, qui développe brillamment et avec un humour féroce tout ce dont vous parlez.
Reconstruire en gardant une plaie ouverte à l'âme pour ne pas oublier, et ne pas reproduire. Pensez à ceux qui ont souffert leurs derniers jours dans cette boue et se demander pourquoi. Enfouir la barbarie au fond des champs de bataille et attendre le printemps pour y voir fleurir un champ de coquelicots.
Dures heures à passer ...sur ton réveil d'époque!
Il y a le même à la campagne, que le jeune soldat a regardé sans jamais revenir
je n'en revenais pas d'en trouver un (et puis on peut toujours oublier de le remonter et prendre l'heure)
Tranchées dans le vif...
(Vous êtes passée au PC, ah oui, vous n'aviez pas de micro portable...) ?
Oublier de le remonter et perdre l'heure.
Penser à tous ceux qui ont perdu l'heure et la vie dans la boue des tranchées. Merci, de penser à eux qui ont scellé notre destin.
n'étais certainement pas la seule
Bon là j'ai nez en fusion et fait que je parte dans la ville humide - me suis trompée dans le dernier billet de train
Merci pour votre empathie avec tous, tous ceux qui ont vécu cela et sont encore en nous
PS : c'est très beau chez vous !
bien banalement partagée je pense
pour le PS surtout dans une bienveillante pénombre !
les images des médias ces jours ci nous ont remémoré ces atrocités .
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