J'ai osé me sentir assez
concernée pour sauter sur l'occasion d'accompagner ma soeur,
d'écourter mon séjour toulonnais, un peu, de profiter de sa voiture
pour être à 14 heures 30 devant la gare d'Avignon, la vieille,
celle dite du centre, et descendre avec les autres vers la place de
l'horloge, à l'invitation de la Licra, le MRAP, la Ligue des droits
de l'homme, invitation que la mairie s'était bornée à relayer, s'y
associant ainsi sans la revendiquer, et me suis réjouie en voyant
que une demie heure avant le rendez-vous on marchait à grands pas
rue Joseph Vernet (quartier pas exactement manifestant
Oui, désolée de penser
que certains jugeraient que n'étais pas assez pure pour descendre
dans la rue (seraient un peu esseulés, le savent-ils)
parce que n'étais pas
lectrice de Charlie Hebdo, puisqu'on ne saurait tout lire, mais que
j'étais effrayée, triste, furieuse de leur assassinat
parce que j'aimais leur
esprit frondeur, que j'aimais bien certains dessins, osais me sentir
en sympathie
mais que je passais –
horreur - avec une indifférence un peu dégoutée devant certaines
couvertures
que je pensais avec amour
à ceux qui en étaient heurtés, et qui les prenaient dans la gueule
sans répondre par la violence – n'y pensaient pas –
parce que je reprendrais
volontiers, si je ne chantais pas faux la chanson de Georges Brassens
sur les gens qui sont de quelque part ou celle de ceux qui ne pensent
pas comme nous
qu'ils le savaient
puisqu'étaient humains
Parce que le pire aurait
été la rivalité, ou même la juxtaposition entre ceux qui
pleuraient les dessinateurs, ceux qui pleuraient les policiers, ceux
qui pleuraient les juifs visés comme tels, ceux qui pleuraient l'agent de maintenance victime impuissante
parce que je revendique le
droit d'avoir été bouleversée par leur mort, toutes leurs morts et
en rage impuissante devant cette barbarie qui réussit à être à la
fois froide et folle
parce que face à la
violence imbécile on a peur pour ceux qu'on aime, ceux qu'on aime
moins, ceux que l'on ne connaît pas, et aussi pour soi, et qu'on a
besoin d'être ensemble pour dire non, mêler sa petite voix à
celles des autres, ou se taire ensemble
parce que toutes les
sectes sont haïssables et que c'était me semble-t-il contre cela
que les Charlie dessinaient ou écrivaient et qu'on les aimait
beaucoup ou bien,
parce qu'ils n'ont pas été
les seuls morts, ni même, avec Coulibaly, les seuls visés
parce que je pensais aux
musulmans, aux juifs, aux policiers, aux dessinateurs et à ceux qui
les opposent
parce que tous ces morts
sont au sein de la liberté qui était la victime désignée, mais
qui subsiste et subsistera
et quoique je n'ai pas
affiché «je suis Charlie» puisque, personnellement, à tort sans
doute, je sentais cela comme une façon de m'approprier la vie et la
mort d'autres
et quant à la
récupération par les politiques et à la présence qui heurte de
certains chefs d'état, elle était malheureusement inévitable –
on peut les ignorer
(qu'on aurait dit par
ailleurs si le gouvernement s'était tu et si la police était restée
inactive)
quant à des éventuelles
Marseillaises qui vous choquent, disons que ça pourrait être pour
lui
texte maladroit mais sincère, sorti ce matin, et que tant pis je garde
heurtée que j'étais parce que je percevais comme un enfermement, un rejet, un raidissement, triste et compréhensible s'il s'agit de proches des victimes, navrant quand il vient de certains de ceux qui se les approprient.
heurtée que j'étais parce que je percevais comme un enfermement, un rejet, un raidissement, triste et compréhensible s'il s'agit de proches des victimes, navrant quand il vient de certains de ceux qui se les approprient.
en arrivant en
vue, encore assez loin de la gare, j'ai renoncé, et j'en étais fort
aise, à y accéder pour me faire rembourser mon billet de train, pas venue pour ça, renoncé aussi à chercher des têtes connues
ai
réquisitionné des bras plus longs que les miens pour avoir image de
la petite foule en train de se rassembler
me suis avancée
jusqu'aux remparts, pour constater qu'une partie du trop plein
patientait le long des remparts, nous avons attendu
ai trouvé de
nouveaux bras longs pour constater que le début, avant que la marche
commence était au moins à mi-chemin de la place, et puis nous nous
sommes ébranlés, petite Brigetoun et une autre petite vieille
enfouies au milieu des corps,
faute d'avoir
une vue étendue, ai photographié ceux qui l'avaient
ai trouvé un
plot me permettant de me hisser un peu au dessus du flot, et en me
retournant ai réalisé, en même temps que lui, que j'allais tomber, et il m'a gentiment sauvée..
alors me suis
contentée des jambes,
mais en
arrivant près de la place, ai senti un joli petit coup de pompe, au bout d'un peu moins de deux heures... j'ai
tourné, avec bon nombre d'autres, rue Saint Agricol et un peu soule
de tout cela et du mistral qui se levait pour nous fouetter un peu,
juste un peu, le sang, suis rentrée, ai fait une très courte pause (nous aurions été 20.000, pas faramineux, très très bien pour Avignon qui cette fois ne drainait pas le Vaucluse)
et suis
ressortie, pour remonter dans le temps, et aller écouter une musique
que j'aime, me bercer sur les vagues des polyphonies du début du
16ème siècle dans la quasi intimité de l'Oratoire.
9 commentaires:
Oui, marcher, patienter, marcher en silence et chialer... penser aux proches, aux famille des 17 victimes ... chialer (l'anagramme de Charlie)
la mobilisation générale pour la paix ...ce que hier fut. digne de votre pays.
Il y aura toujours des remparts contre la barbarie (merci pour vos photos).
merci à mes gentils collaborateurs
ai imaginé ce que ça a dû être à Paris
à notre petite échelle ai mis deux heures pour ce court trajet
Impressionnante union et ne pas penser à l'inévitable récupération!
Bravo pour ta marche et ton texte réaliste auquel j'adhère fortement
merci j'en avais un peu honte le soir
mais très réactif le matin (et suis retombée sur les mêmes anars en pantoufle intégristes ce matin..)
Marcher pour être libre
la rue nous appartient.
Marcher parce qu'on ne peut rien faire d'autre pour murmurer notre désarroi, notre révolte et qu'on ressent un immense besoin de se retrouver avec d'autres...
Grande émotion dans cette foule solidaire
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