C'était ce matin, ici
aussi, le bleu revenu, une tiédeur sur chairs ronronnantes, et Brigetoun tirant ses pas en
accrochant ses yeux, jusqu'à l'éblouissement, sur cette barrière,
ce balcon dressé en plein ciel.
C'était trop de
gourmandise entre les étals des halles, une charge lourde, un porte-feuille devenu léger et quelques délices (un quart de Coulomiers en si bel
abandon que vais me rendre malade à la poursuite de sa disparition)
et une réserve vertueuse
en traversant la brocante, et les piles de linge, de coton, de métis,
de lin et de broderies.
Ce fut jeudi partir sous
un ciel brouillé, un trajet en bus,
deux stations longues dans
une salle d'attente en la compagnie bienvenue du roman en vers de
Dany Laferrière, chronique de la dérive douce, évoquant
son arrivée, à 23 ans, à Montréal – longues strophes, ponctuées
de paragraphes, disant la quotidienneté de l'errance, du
dépaysement, du dénuement, des souvenirs
Mes voisins entrent
et sortent
de prison comme
dans un moulin
les
petits boulots, l'usine, les modes de survie, les filles, les amis,
les rencontres, l'hiver
Dans ma petite chambre
en plein hiver
je rêve à une île
dénudée
dans la mer des
Caraïbes
avant d'enfouir
ce caillou brûlant
dans mon corps..
et la
décision d'écrire
entre
examen, consultation, rendez-vous pris pour examen approfondi début
mai, avant d'être transmise aux autres membres de ce sacré groupe
de médecins qui se refusent à m'oublier..
et
puis revenir juste à temps pour chasser l'énervement caché sous
des sourires, et repartir vers le théâtre du Chêne noir, voir,
entendre Viktor Lazio, sa beauté et sa voix, dans le spectacle
qu'elle consacre au souvenir, aux reprises de chansons de Billie
Holiday,
et en
revenir sereine et crevée par cette journée.
Ce fut
vendredi soir monter les quelques centaines de mètres me séparant
de l'opéra, dans une éclaircie de la pluie obstinée, pour assister
avec une curiosité d'assez faible intensité, et un ennui croissant
(vais faire hurler les amateurs) à un concert (l'orchestre semble
avoir aimé y travailler si j'en juge par son compte Facebook et par
les sourires des instrumentistes) au rythme du tango comportant
la Musica para charlar de Silvestre Revueltas, deux concerti
de Piazzolla, la danzon n°2 d'Arturo Marquez, avec des
interventions devant l'orchestre, parfois aussi dans la salle ou entre les
instrumentistes, d'un couple de chorégraphes-danseurs que,
contrairement à mes voisins, j'ai trouvé simplement honorable, un peu
inconsistant et sans nécessité quand ils voulaient, naïvement,
suivre les mouvement lents.
J'ai
surtout aimé la découverte du premier morceau, pour le pachwork de
musiques, le manque de prétention, les sourires, ce même sourire
humble mais avide et déterminé que le compositeur (mort à quarante
ans, miné par l'alcoolisme dit le programme) avait peut-être en composant ces
mouvements de belle durée pour répondre à une commande du
gouvernement mexicain qui voulait la musique d'accompagnement de sept
minutes sur la construction d'une voie de chemin de fer…
Mais
ce mardi soir c'est avec une attente heureuse que suis retournée à
l'opéra, attente qui se bornait à savoir de quelle nature seraient
les ingrédients de mon plaisir, comment se traduiraient l'écoute
réciproque, le bonheur de jouer ensemble de ces quatre très bons
musiciens qui ont eu le désir de se rencontrer, de travailler en
commun, de former ce quatuor peut-être éphémère, assez pour
qu'ils ne lui aient pas donné un nom : Renaud Capuçon et Guillaume
Chilemme, violons, Adrien La Marca, merveilleux alto, et le tout
jeune Edgar Moreau au violoncelle
Et
puis il y avait le programme qu'ils avaient choisi
le
long et si beau, quatorzième quatuor de Beethoven, longue coulée,
introduite par une fugue, d'atmosphères, d'incessantes et subtiles
variations, en un nombre de mouvements indécis, liés comme un tissu
moiré qui se déroule en dansant sur un rythme sans cesse modifié(celui que les amis de Schubert lui jouèrent juste avant sa
mort).. phrases réservées qui se répondent d'instrument en
instrument, commentaires.. les trilles du premier violon sur le
corps musical des autres.. miel de châtaigner fort, sombre, laissant
en fond de goût la grâce.. une eau courante sur laquelle dansent
des taches de lumière à travers les branches.. sérénade.. mélodie
et claquements de talons.. vivacité, emportement, échanges
monosyllabiques.. césures et rebonds.. longues phrases mélodieuses
etc..
Et
puis, après l'entracte, le quatuor à cordes n°15 de Schubert, son
dernier, ample, varié... (beau, et puis j'entre, instinctivement,
dès que je vois son nom, avant même les premières notes, en
attention tendre) un quatuor pour violoncelle pour mon plus grand
délice avec le lyrisme de l'allegro molto moderato, sa complexité,
l'harmonie large.. le très beau second mouvement (andante un poco
molto), le chant, la tristesse souriante.. etc..
7 commentaires:
Magnifiques Victor Lazlo et Billy réunies !
Merci de ce partage.
La musique vous a redonné l'envie.
euh ça dépend laquelle
"Du beau monde" pour s'envoler un peu plus loin des contingences quotidiennes
musiques patchwork... mélodieuse vie
Gris et soleil,attente et plongée,
Jazz et Schubert en petites cordes intimes, tout doux ... merci à vous et take good care.
pas de jazz (crois que, c'est mon goût, j'aurais autant ou plus aimé que le tango)
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