Cueillant ce que je trouve
de Novarina, faute d'avoir pu assister au Vivier des noms, m'en suis
allée, à deux rues de distance, monter les marches de Saint
Agricol,
m'asseoir à l'angle du
transept, à côté, une fois encore, d'une jeune femme avec laquelle
évoquer, notamment, les idiots (même plaisir vague mâtiné de
perplexité, même froid, même longueur un rien excessive)
et écouter Claire
Sermonne, petite, souplement dressée dans le choeur, lire des
passages de la quatrième personne du singulier en
alternance avec des chorals de Brahms
fragments
notés qui, cette fois encore sont loin d'être représentatifs de
tout ce qui m'a frappée
transformer le langage
en ce qu'il est, le drame de la pensée dans l'espace...
peux
pas me relire
ardente compréhension
rythmique
penser avec les
mains...
quand je dis langage,
j'ai toujours l'image du sang, sang dans le corps et dans le cerveau
la circulation incessante
etc...
un etc.. gorgé d'intelligence, de surprises, d'évidence, de beauté
Antonini
joue le choral n°4 «il me réjouira du fond du choeur» – le
choral n°5 «Pare-toi chère âme»
… le verbe venir est
plus présent que le verbe être..
le temps nous tue par
avance..
chorals
6 et 7
au
théâtre nous sommes fixés au milieu du tourbillon..
l'espace
est le lieu de la pensée
au
théâtre quelque chose est touché bien plus que vu, touché par les
mots..
l'action
du langage devenu visible
le
lien entre l'oreille et l'intelligence
autres
chorals
la
poésie chute dans une densité supérieure
une
percée, un ajour, une faille..
l'acteur
homme hors de lui
Le
théâtre est aussi ce lieu où nous venons ensemble nous
désolidariser..
Allez
annoncer partout, l'homme n'a pas encore été capturé.
et
l'orgue déverse des variations sur Weinen, Klagen, Soorgen, Zagen
(Larmes, Plaintes, Angoisses sont le pain amer et quotidien des
chrétiens) de Liszt.
retour
entre lécheurs de glaces et clientes des soldes, dans lumière et
mistral modéré..
départ
en milieu d'après midi vers la rue des Teinturiers, le gymnase du Lycée Saint Joseph, dans la foule qui commence à se
constituer, dans un mistral de moyenne importance, avec belles
bourrasques,
les
pas rythmés par le claquement des chapelets d'affiches lancés sur
les murs.
L'attente,
toujours moyennement agréable (amusement du spectacle, d'échange,
compression des corps sur sol cahoteux)
et un
de ces spectacles modestes (pas mal de sorties sous le sourire
ironique de mes jeunes voisins et le mien) des écoles de théâtre,
qui ne manquent pas - et spécialement celui-ci : el syndrome, spectacle de Sergio Boris metteur en scène portègne avec des
élèves de la troisième promotion de l'Ecole supérieure de théâtre
de Bordeaux-Aquitaine – de qualités, absentes de certains
spectacles que l'on voit dans Avignon.
C'est à partir de ces
conditions réelles – quatorze jeunes Français et un Argentin
réunis autour de la production d'une pièce – que Sergio Boris a
échafaudé une situation dramatique et exploré les symboles
idéologiques rattachés aux deux pays. Venu étudier le théâtre
à Buenos Aires, un groupe d'étudiants français est saisi d'un mal
inconnu qui l'oblige à rester, inexplicablement, là. Deux ans
plus tard, ils habitent une maison abandonnée, sur les rives du
delta du Rio de la Plata, dans la localité de Tigre. En pleine
santé à leur arrivée, ils semblent aujourd'hui atteints d'une
maladie étrange. Ils chassent, pêchent, parlent un espagnol
appauvri, ne peuvent ou ne veulent plus rentrer en France. Leur
seul contact est avec l'Autre, le propriétaire du bateau de
ravitaillement qui passe tous les quinze jours. Mais, une nuit
d'orage, trois nouveaux Français débarquent, cherchant
refuge.À partir de cette situation, Sergio Boris demande
aux élèves acteurs de questionner leur propre rencontre avec
l'étranger et de réfléchir à la notion d'identité,
d'appartenance et de dispersion.
Une
certaine gaucherie au début, que la situation justifie. Des
tentatives dans ce dénuement extrème de rebondir, produire un
spectacle qui pourrait être proposé dans les villages, même les
villes, au point de rencontre des pays.. et il y a là quelques
moments de grâce. Le constat qu'il y a trop longtemps que les corps
et les imaginations ne sont plus entrainés, le désir des trois
nouveaux arrivés de rester là, les subventions, la possibilité de
théâtre étant morts en France, le maté, le jeu, les cigarettes
que l'on fabrique, le sexe ou les velléités de... une fraternité
qui s'établit (et une dérisoire et donc jolie copie de la Liberté
de Delacroix pour illustrer le nom qui pourrait être donné à leur
compagnie…)
les deux photos
ci-dessus sont de Christophe Raynaud de Lage pour le festival
très
sympathique, et mieux, un beau travail (même si dans l'histoire, l'avenir est passablement misérable).
retour
par les rues aux affichages malmenés, avec une grande envie de m'arrêter pour écouter un merveilleux pianiste (du coup j'ai gardé la photo floue prise à la sauvette) et le saxo qui l'accompagnait
commencer
à préparer ceci, mettre pantalon rouge, teeshirt à carreaux
d'écolier blanc et rouge, prendre le chandail en laine chaude
d'Hannelore sur les épaules et m'en aller vers la cour d'honneur
pour le spectacle chic du festival, en companie de gens très bien,
trop bien pour qu'un dialogue soit envisageable,
m'installer
au premier rang juste face au pupitre (qui d'ailleurs ne sera pas
utilisé), attendre que les gradins se remplissent, m'amuser avec un
peu d'ironie (honte) de ce que j'entendais, et enfin assister à Juliette et Justine, le vice et la vertu, montage de textes de
Sade par Raphaël Enthoven, joué-dit par Isabelle Huppert.
Pratiquer la
philosophie, c'est formuler à soi-même les meilleures objections,
s'interdire de défendre une thèse sans soutenir aussitôt le
contraire, regarder enfin la vérité en face... Sans la rencontre
des deux soeurs créées par Sade, on peut voir une version de ce
procédé intérieur. Le dialogue entre Justine et Juliette est un
dilemme moral autour de deux tentations (et
la description des sévices que subit la vertu), la vertu
n'étant pas moins tentante que le vice. Entre la figure christique
inaltérée dont le comportement vertueux est sans cesse puni –
Justine – et la fourbe qui se résigne et consent aux supplices
qu'on lui inflige (avec au
passage quelques considérations politiques sur le pouvoir de
l'argent) au point d'en avoir la maîtrise – Juliette –
il y a l'expression de deux chemins possibles de l'existence humaine.
Il était important que ces deux chemins (dans
lumière plate pour Justine et lumière plus chaude, mordorée, pour
Juliette) fussent portés par la même personne, en
l'occurence par une actrce suffisament douée pour, en un sourire, en
un regard, en une fraction de seconde, bascule d'une identité à une
autre… Et bien entendu cela
Isabelle Huppert le possède à la perfection.
Mais
en fait nous avons aussi assisté à une prouesse, parce que j'ai mis
au bout d'un moment mon chandail, on a vu quelques couvertures s
déployer, pendant que le mistral assouvissait le goût qu'il a pour
ce grand plateau, et que la silhouette en grande robe rouge sans
manche, à la longue jupe qui s'épanouissait, montée en plis
cachés, semblait être sur le point d'être emportée, voyait le
tissu se coller à elle, partir en grandes embardées, claquer dans le
vent et les remous, et que les feuilles du cahier qu'elle avait en
main adoptaient un comportement anarchique (l'intelligence du métier
avec laquelle elle s'interrompait deux minutes, de façon visible
mais qui ne créait que sourires complices, avant d'enchainer
souplement, la feuille rétive une fois disciplinée. J'avais un peu
honte, tout en goûtant l'exploit et l'intelligence des changements
de voix, d'attitude, la façon de rendre le texte et de le porter
dans le vent, un peu honte de l'extrême tiédeur douce de mon
chandail.
Longs
applaudissements,
descente
des marches, et retour dans la nuit.
8 commentaires:
St Agricol, le mistral, el syndrome, Sade, Isabelle Huppert, Avignon pavoisé de toutes les couleurs d'Arlequin, tant de diversité chaque année que vous nous faites goûter avec autant de plaisir ! Merci !!
J'aurais bien aimé voir et entendre Isabelle Huppert lisant Sade...
Il faut savoir se mettre dans la peau des personnages et, en l'occurrence, cela doit être un genre d'exploit !
quel bonheur avignon et sa réserve d'images, de couleurs et de pensées... Merci
Dominique, ça aurait pu être encore mieux, là elle avait tout contre elle - c'était déjà très très bien, mais j'étais tellement sensible à l'élégance avec laquelle elle se tirait de cet exploit physique que a primait presque sur le jeu (et faisait oublier le public vraiment très très chic)
Aurais aimé Huppert et l'exploit
Amusant de te lire et suivre le Monde !! parfois , on dirait que vous n'avez pas vu le même spectacle !!
"Il n'y a de vent favorable que pour celui qui sait où il va!" (elle savait...)
Arlette je dois manquer de culture et de jugement
(et surtout j'espère de jugement selon règles, merci ô Quignard cher maître)
La femme au dessus de l'affiche "le médecin " me fait penser à un personnage d'Amarcord de Fellini.
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