François Vinsot m'a
proposé d'échanger, dans le cadre des vases communicants, à partir
de ses, de nos, réactions aux attentats du 13 novembre
en réponse à ces
«petits textes» écrits (peut-être légèrement modifiés, mais je
ne crois pas) sur son site Ecrits au long court
https://francoisvinsot.wordpress.com/2015/12/04/apres-par-brigitte-celerier/
je lui ai envoyé quelques lignes tentant de dire ce que je
ressentais il y a une dizaine de jours, peut-être avec encore un peu
trop de grandiloquence.
Place à ses
méditations
1
Je me suis endormi sans
savoir. Je me réveille en sachant.
Un vendredi soir comme un
autre à Paris mais certains en avaient décidé autrement et s’y
étaient minutieusement préparés; préparés à tuer et à mourir;
ils ont peaufiné leurs armes, pris possession des explosifs, ont
étudié des plans. Et puis ils sont passés à l’action, leur
dernière, celle qui ferait parler d’eux dans le monde entier, qui
les rendraient célèbres.
Un vendredi soir comme un
autre à Paris, une salle de concert pleine à craquer pour un groupe
en tournée européenne coqueluche du moment, et puis dans le
quartier on traine entre soi dans des endroits fait pour ça, le
quartier à forte concentration de journalistes et de gens branchés,
histoire d’être certain que tout sera bien retransmis le mieux
possible.
Et puis un match de foot,
en présence du président; là aussi une attaque; on évacue le
président; on contrôle et le match peut reprendre, et les français
marquer un but.
C’était Paris, hier
soir; et toi, ça va?
2
Quand je lis: « Soyez
joyeux aujourd’hui sinon ils ont gagné » j’ai du mal
Non je ne suis pas joyeux
et n’ai pas envie de faire semblant. Je suis vivant, oui d’accord,
et j’ai bien de la chance. Je ne fais pas partie des victimes; est
ce vraiment une raison d’être joyeux? Ils sont morts et moi pas.
C’est plutôt une source de grande tristesse d’habitude, non?
Que des innocents soient morts.
Je lis que si je montre
que je suis touché et effondré, je donnerais raison aux assassins.
Non mais ça va pas la tête? Je lis que si aujourd’hui je ne sais
plus où j’en suis, ils auraient gagné; non mais vous êtes tous
devenus dingues ou quoi?
Parce que des hommes se
comportent comme des ombres déshumanisées, je devrais avoir honte
de montrer mes fragilités et mes contradictions, mon désarroi et ma
peur face à de tels comportements? Non mais ça va pas la tête!
Oui ils m’ont touché au
coeur ces assassins; oui, ce qu’ils ont fait me force à réfléchir
à ce qui a bien pu les pousser à faire ça. Oui, et c’est comme
ça; et oui, je condamne au fond de moi ,à n’en avoir rien d’autre
à dire, ces assassinats lâches et terribles; et je n’ai aucune
intention de faire comme si cela ne m’affectait pas.
Ils ont visé une ville où
l’on peut encore relativement vivre ensemble et ils ont voulu y
porter la mort, avec la leur; ils ont choisi d’y mourir en y tuant,
devenir des monstres qu’aucun Dieu ne saurait revendiqué comme
l’aimant; ce sont des hommes détruits qui ne croient plus avoir
comme seule option que la destruction de ceux qu’ils haïssent de
les voir différents et vivre ensemble.
Et oui, aujourd’hui, je
suis profondément malheureux et triste et je n’ai aucune intention
de prétendre qu’il en est autrement.
3
Se réveiller en état
d’urgence…
…en état de guerre, se
réveiller les yeux ouverts pour essayer d’y voir clair; oui; et
puis? En urgence de quoi, en guerre contre qui, avec qui,
comment? Tirer des questions sur notre innocence, abattre des
incertitudes, errer parmi nos ombres, chantonner des refrains
populaires.Comprendre, la belle affaire, le temps perdu à ne pas
voir, à s’occuper ailleurs, et même à y réussir. Lorsque
la réalité se trompe, la vie comme un électrochoc, idées
sangsues, ablation à coeur ouvert, transplantation de tout ce
qui ne fonctionne plus, anesthésie généralisée le temps qu’il
faudra. Vivre. Ne plus quitter la salle d’opération; les radios et
les télés et internet montrent à quel point ça se généralise;
même pas peur; ah oui, vraiment? Chacun là où il en est. S’unir
contre; contre l’horreur, la violence aveugle, la déshumanisation
absolue, la sienne, celle de l’autre, du monde ici pour un monde la
bas, pour vivre enfin dit celui qui ne respire plus que l’odeur des
balles.
4
Entrer en résistance…
Oui, d’accord, on fait quoi? On commence déjà par ne pas dire
n’importe quoi; oui c’est un bon début; mais on dit quoi? On
commence par écouter; oui ça me va; écouter quoi? Juste écouter
ce qui passe à portée, sans s’exciter, sans s’énerver. Oui, je
veux bien essayer mais je ne promets rien. Et puis s’écouter;
suivre ses propres traces, essayer de se retrouver, sortir de ses
cachettes, de ses raccourcis qui rallongent, de ses absences qui
prennent des messages pour les écouter plus tard; laisser les
émotions remonter à la surface et s’évaporer lentement dans
l’air du temps; écrire est un exemple. Oui d’accord, et c’est
tout? Et puis, commencer peut être à creuser davantage, pour aérer
a terre, la retourner un peu, pour ne pas y planter à la va vite; et
pendant que le terreau s’anime, écouter une nouvelle fois,
accueillir ce que l’on appelle silence, une manière d’écouter
qui laisserait la place au doute, toute une aventure à portée de
regard, en partage…
5
Moi président, je ne sais
pas ce que je ferais, mais je ne suis pas président. j’essaie
juste d’être un homme et déjà, franchement ce n’est pas
facile; être un homme ce n’est déjà pas facile de définir ce
que ça peut bien être; le contraire oui, on voit déjà mieux, mais
la frontière est poreuse, c’est la vie qui veut ça. Le président
hier, à Versailles, il a été malin, il a dit ce que la majorité
souhaitait entendre, et il a toujours eu la manière; il nous a parlé
comme l’on parle à un cheval que l’on vient calmer dans son
boxe; et je ne suis pas sûr de vouloir que l’on me traite comme un
cheval, mais c’est déjà mieux que de me prendre pour un chien;
enfin c’est une manière de voir. Et puis maintenant il reste
encore deux petits détails à régler: Le premier, c’est de voir
ce qu’il va vraiment pouvoir faire, jusqu’où il ira, car il est
malin le bougre; alors derrière ce qu’il a dit, il faudra être
bien malin pour savoir ce qu’il pense; un président joueur d’échec
c’est bien mais je n’aimerais pas être à la place des pions, ni
des fous, ni de ses reines. Et le second petit détail, c’est de
voir ce que ça va vraiment donner, comme résultat, voir dans quels
mesures il a pu signer avec Harry Potter er Superman et tous les
autres super héros. Et puis sinon il y a la vie au quotidien, les
petits gestes qui font qu’on ne laisse pas la réalité se tromper
sans rien dire, sans rien faire, sans rien échanger,et puis il y a
ceux qui auront quinze ans dans quinze ans. Moi président, je ne
sais pas ce que je ferais, mais je ne suis pas président.
6
Le temps, ça permet de
prendre du recul…
C’est bien connu; le
temps ça permet de prendre du recul; donc dès les premières
minutes déjà tu recules un peu, d’horreur, et puis tu recules
encore, d’impuissance, et puis tu recules encore, pour t’éloigner
un peu, et puis tu recules encore pour te réfugier dans des
souvenirs, et puis tu recules encore et encore et encore et encore…..
Et puis vient le moment de
ne plus reculer; pas avancer, ça tout de suite c’est hors de
portée; mais ne plus reculer; rester sur place; d’où l’importance
de bien choisir sa place, quand on peut; on s’agite on
cherche; on ne trouve pas mais bon le temps manque alors on prend un
peu ce que l’on trouve; et là on ne recule plus; on essaie d’y
rester; sauf que lorsque le monde bouge, si tu restes sur place, tu
découvres que c’est un peu comme si tu reculais; et là si tu
recules, tu risques de de retrouver collé au mur, à force; donc tu
te dis: allez c’est le moment d’avancer.
Donc tu avances; d’abord
avec des mots, tu avances des sensations, des envies, des idées, des
partages, des dessins, des cris, des témoignages, des échos,
d’autres mots, d’autres partages, d’autres sensations, d’autres
envies, d’autres idées, d’autres partages, d’autres dessins,
d’autres cris, d’autres témoignages, d’autres échos,d’autres
mots, d’autres partages, d’autres sensations, d’autres envies,
d’autres idées, d’autres partages, d’autres dessins, d’autres
cris, d’autres témoignages, d’autres échos,d’autres mots,
d’autres partages, d’autres sensations, d’autres envies,
d’autres idées, d’autres partages, d’autres dessins, d’autres
cris, d’autres témoignages, d’autres échos,d’autres mots,
d’autres partages, d’autres sensations, d’autres envies,
d’autres idées, d’autres partages, d’autres dessins, d’autres
cris, d’autres témoignages, d’autres échos,d’autres mots,
d’autres partages, d’autres sensations, d’autres envies,
d’autres idées, d’autres partages, d’autres dessins, d’autres
cris, d’autres témoignages, d’autres échos,d’autres mots,
d’autres partages, d’autres sensations, d’autres envies,
d’autres idées, d’autres partages, d’autres dessins, d’autres
cris, d’autres témoignages, d’autres échos,d’autres mots,
d’autres partages, d’autres sensations, d’autres envies,
d’autres idées, d’autres partages, d’autres dessins, d’autres
cris, d’autres témoignages, d’autres échos…….
7
Imaginez un monde où l’on
déciderait de se taire pour prendre le temps de réfléchir
Une minute de silence
c’est bien; une heure c’est encore mieux, une semaine ça
commencerait à faire un vrai changement. et plus si affinité.
Imaginez un monde où l’on déciderait de se taire pour prendre le
temps de réfléchir; un monde où l’on écouterait avant
d’emprunter la parole en cas d’absolu nécessité, comme une
pompe à incendie; un monde où la parole ne serait pas devenue une
monnaie de singe dont il faut des heures pour effleurer une idée
juste, juste une idée. Imaginez un monde où la parole aurait de
nouveau de la valeur, serait respectée, refléterait des différences
qui ne seraient pas de façade. Imaginez un monde où les mots ne
seraient pas devenus des pièges à poser, à éviter, à appâter, à
déplacer sans cesse. Imaginez un monde où la parole serait rare, un
évènement, une rencontre, un partage, une promesse. Imaginez un
monde dans lequel l’homme serait à nouveau le coeur, le centre,
l’homme dans son humanité, dans ses fragilités et dans sa force,
un homme parmi les hommes, ni plus, ni moins.
8
Vivre aujourd’hui, c’est
respirer l’air du temps; eh oui, forcément… Inspirer ce qui se
raconte, expirer ce que tu en dis, inspirer ce que tu en lis, expirer
tes mots à toi aussi, inspirer ce qui se montre , expirer tes
émotions et tes cris. Inspirer le monde tel qu’il est, expirer
celui que tu voudrais qu’il soit; inspirer mal, expirer aussi mal;
entre tout vouloir lire et ne plus rien lire du tout, tout vouloir
entendre et avoir soif de silence, entre tout vouloir voir et fermer
les yeux; entre se souvenir et l’oubli; entre deux, marée basse et
marée haute; entre tout arrêter et c’est quoi tout arrêter?
Entre être joyeux pour qu’ils ne se réjouissent pas de m’avoir
rendu triste et puis le visage de ceux qui y ont perdus la vie; entre
les photos de ceux qui sont disparus, entre leurs sourires, inspirer,
expirer, entre les résumés de leur vie, inspirer, expirer, entre le
néant et demain, inspirer, expirer, pas comme si de rien n’était,
non, respirer l’air du temps, car c’est le seul air, et chanter
un refrain qui changerait le monde, en plaçant bien la voix, en
allant bien chercher de l’air dans les poumons, les épaules bien
écartées, doucement sans forcer, inspirer, expirer, respirer, pour
ne pas suffoquer, entre deux cris, entre deux larmes, entre deux
désespoirs, entre deux réveils, entre deux, marée basse, marée
haute; à qui appartient le futur? Respire l’ami(e), respire….
Et ce matin, réveil
lourd, et désir de réunir ce qui précède, en pâle mémoire…..
Tiers Livre et
Scriptopolis sont à l’initiative d’un projet de vases
communicants : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog
d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les
échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des
liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.
Si vous êtes tentés
par l’aventure, faites le savoir sur le groupe dédié sur
Facebook, sur twitter ou sur le blog
http://lerendezvousdesvasescommunicants.blogspot.fr
tenu par Marie-Noelle Bertrand qui a gentiment repris le flambeau
qu'avait maintenu en vie Angèle Casanova
Merci, si vous en avez
le temps, de vous baser sur cette liste pour découvrir les autres
échanges, suis certaine que ne le regretterez pas.
9 commentaires:
Pas facile d'être Président à cette époque (je ne crois pas qu'il nous ai parlé comme à des chevaux, il ne s'appelle pas Bartabas)...
Rendez-vous en 2017 !
un peu peur de 2017 et de dimanche
voilà un texte que j'aimerais avoir écrit
Merci pour votre accueil, Brigitte!
Oui, Dominique, pas facile; le cheval, c'est juste un ressenti du désir de se cabrer face à la réalité... à très chaud, mais à interpréter avec bienveillance...
Sinon, hverdier,l'écriture est aussi et d'abord oeuvre commune...
et merci à chacun.
Et sinon, oui, Dimanche et 2017, je n'aime pas la manière dont cela se présente; et bien sur entre cheval et chien, voir hyène, mon choix est clair!
Ne pas dévier en écoutant les chiens hurlants
Merci à vous pour ces mots là, aussi.
merci à François Vinsot, moi j'étais chez lui
Donc, dimanche, qui que vous soyez, si votre vote peut aider à éviter le pire, et à ne pas laisser le pouvoir à une minorité non représentative, allez voter! On est bien d'accord?
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